On a le même attaché-case!
Un silence de mort (c’est le cas de le dire) règne sur les catacombes, lieu mythique qui a protégé des milliers de pauvres ères persécutés par l’intelligentsia de l’époque. Proche de l’heure de fermeture, les touristes avaient déserté l’endroit. Seuls quelques gardiens se promènent ci et là, et l’empressement de rentrer chez eux se lit sur les visages. Il nous semble qu’ils maintiennent les visites ouvertes pour la forme. Mais, dès que nous posons le pied dans ces sombres tunnels, un problème majeur se pose à nous. Les zones ne sont pas numérotées. À la place, le quadrillage avait été remplacé par des lettres, celles-ci étant découpées en plusieurs zones, ce qui donnait un imbroglio avec des A1, A2, B1, etc.
Frida s’apprête à faire demi-tour. Il y a bien plus de zones que les fameux chiffres scribouillés par Edgard. Elle l’annonce qu’elle préfère essayer d’en trouver encore un aujourd’hui plutôt que de perdre son temps ici. Je ne suis pas convaincu. À bien le regarder, le 4 ressemblait à un A inachevé. Je veux juste essayer de regarder la zone A, qui ne touche qu’aux Cubicula des Sacrements. Sous mon insistance, et constatant que la zone n’est pas énorme, elle accepte.
On inspecte chaque recoin des cryptes, lorgnant dans chaque cavité, y passant nos mains lorsqu’un gardien a les yeux tournés. Après un bon bout de temps, ma main touche un coin d’objet. Il doit être en cuir. Impossible que pareils matériaux aient résisté aux passages du temps, et subsistent encore en l’état, avec toutes les fouilles, les pillages, et les hordes de touristes peu scrupuleux. Je tâtonne encore plus et je tombe sur une poignée, en cuir elle aussi. Je tire dessus sans rencontrer la moindre résistance. Au bout de quelques secondes, j’ai en main un beau porte-document. En frottant la poussière, je me dis que ces formes et contours me sont familiers. En frottant plus, j’ai la confirmation, c’est une copie parfaite de mon vieux porte-document, enfoui dans le coffre de ma voiture, peut-être encore sur place à Uccle. Je m’exclame en souriant :
« Tyler, on a le même attaché-case ! »
Frida, répondit d’un air sarcastique :
« Oui, c’est bien Columbo. Mais tu sais, c’est un porte-document banal, qu’on trouve dans n’importe quel commerce. »
Elle casse mon enthousiasme. Je trouve la coïncidence énorme, que ce ne peut pas être le fruit du hasard. Qu’EF et moi, étions appelés à nous rencontrer. Je l’ouvre sans plus tarder et j’y trouve une enveloppe brune, comme celle que l’on avait récupérée au Colisée, accompagnée d’une chemise en plastique qui renferme une pile de documents. Je referme en hâte et Frida et moi nous éclipsons de ces sombres tunnels.
Il est cependant trop tard pour continuer la visite des autres lieux. La visite du Colisée nous avait pris beaucoup de trop de temps. Nous continuerons demain matin, dès les ouvertures des ruines. Avec un peu de chance, on aura fini avant la fin du jour.
Une fois rentré à l’hôtel, je m’attarde sur cette fameuse enveloppe brune. Elle renferme une lettre.
« Bonjour,
Si vous lisez ce document, c’est qu’il y a de fortes chances que je ne suis plus de ce monde. Certaines personnes m’ont toujours bloqué dans mes recherches, ont voulu me faire taire, m’ont menacé de mort. Pendant plusieurs années, je me suis caché, ici, en Italie, sous couverture. Mais en continuant du mieux que je pouvais mes investigations.
Les nazis n’ont pas perdu la guerre. Selon eux, ils ont perdu une bataille. Ils sont rentrés dès mai 1945 dans la clandestinité. Rappelez-vous, des questions sont depuis restées sans réponse. Hitler est-il réellement mort ? Où est son corps, puisque personne ne l’a vu ? Certains disent avoir vu des dignitaires nazis en Amérique du Sud. Où sont passés les résultats de recherche de certaines opérations nazies ? Nous connaissons leurs noms, mais jamais aucun document prouvant leur existence n’a été trouvé.
Cela fait plusieurs années que je me pose des questions. Depuis le meurtre de cette famille marseillaise. Des connexions bizarres, tues par la presse et ignorées par la police, étaient visibles comme une église au milieu d’un village. Personne ne se posait de questions. Et moi, à force de gratter, j’ai découvert de véritables horreurs tapies sous la surface de milliers de petits faits divers. Oui, les nazis étaient toujours là. Ils ont gangrené la société, se sont infiltrés partout. Ils attendent patiemment leur heure, un signal venant de je ne sais où et je ne sais qui.
Je n’ai pas encore toutes les réponses, mais j’approche du but. J’ai ramassé des centaines et centaines de documents. Le tas que vous voyez, ici, n’est qu’une infime partie. Certains sont uniquement numérisés, planqués dans un appartement avec une carte de Rome. Ce plan contient tous les lieux où les documents ont été cachés ainsi que la clé pour décrypter les fichiers numériques. Si vous trouvez cette mallette, faites-la parvenir à Marcelle deLatour, reporter au journal français Figora. Elle saura quoi en faire, respectera votre anonymat et vous récompensera. Mais surtout, ne la donnez pas à la police, ou à d’autres services de presse. Ils sont partout. Notre monde, notre liberté est menacé par ses fous furieux.
Merci.
EF.
La lettre, en trois exemplaires, répétait identiquement la même chose. Seule la langue diffère : italien, français et anglais.
Je regarde les documents fournis dans la mallette. Ils composent l’ensemble de l’enquête préliminaire d’Edgard. Lammour, ses liens avec certains groupuscules de droite, mais surtout tout ce qui concernait l’affaire de Marseille. La petite fille dotée du don de prescience, les comptes-rendus des auditions, mais surtout le compte-rendu retranscrit des auditions de Derek Vigneron.
On passe une grande partie de la nuit dans les documents, avec une pizza que j’avais été vite chercher. Je tombe sur un papier qui me rend perplexe. Le certificat de naissance de Lammour. Le nom de la mère avait été comme gommé, effacé du certificat. Quant à la case du père, elle était totalement vierge. Ensuite, daté de quelques jours par après, un certificat d’adoption fut émis. Le petit Frédéric fut adopté par Roger Lammour, un ancien homme d’affaires juif réfugié dans le sud de la France en 1939 suite aux barbaries nazies. Ce secret n’était connu de personne, n’était absolument pas public. Tout le monde ignorait qu’il avait été adopté. Sous le certificat d’adoption et de naissance, une marque récente avait été faite au stylo-bille : LA1. Mais après avoir épluché toute la pile, nous n’arrivons pas à une référence équivalente à ce code.
Frida et moi fermons les yeux, gagnés par le sommeil, la tête encore plus remplie de question qu’à notre réveil.
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