4 - Accepte ce qui doit être

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Une présence à la porte de la chambre éveilla l’attention de Yahel.

— Mahdi ? Qu’est-ce que…

— Je peux entrer ?

— Oui, elle dort encore. Comment sais-tu qu’on était là ?

— Le convoi retardé, Tara souffrante, quelle rumeur ! Puis une horde de dragons qui envahit un abri médical… Quand ils ont vu qui était sur leur chariot, tu penses, ils m’ont appelé de suite ! Je n’allais pas rester sans venir. J’ai abusé de mon soi-disant titre pour avoir l’hélico.

— Elle est juste malade… Une complication de sa blessure…

Piètre tentative. Elle le comprit aussitôt.

— Yahel, ne te fous pas de moi !

Il s’approcha de l’autre côté du lit, regarda Tara endormie, allongée sur le côté, dos vers lui, pâle, les yeux cernés, une image rappelant un autre cauchemar pas si vieux, pas assez. Il passa une main sous la couverture, la posa sur son ventre, une autre sur son front après avoir doucement caressé ses cheveux.

Il soupira tristement, toute colère disparut.

— Tu ne risques rien. Ils l’ont assommée, autant pour la douleur que parce qu’ils en avaient probablement assez d’entendre son avis sur leur façon de s’être occupé d’elle. Tu es donc au courant ?

— Il y en a un qui a entendu mon avis sur sa manière de présenter les choses : « Ne vous inquiétez pas, c’est juste une fausse-couche. Elle pourra réessayer » Non mais vraiment, quelle délicatesse !

— Dis-moi qui est ce sombre crétin, et il va m’entendre sur le secret professionnel, ragea Yahel. Quel idiot de parler sans savoir à qui il s’adresse.

— Encore un qui donne trop d’importance au pouvoir. Je sais que pour lui, il me donnait des infos sur un de mes soldats, mais tout de même… Nous avons apparemment encore des progrès à faire de ce côté-là.

Il resta silencieux, se redressa.

— C’est donc vrai ? Elle a perdu un enfant ?

Il devait espérer une réponse négative, mais Yahel ne put la lui donner.

— Elle ne voulait pas que… que tu le saches. Elle n’avait rien prévu, tu imagines bien. Elle-même… Elle ne savait même pas qu’elle pouvait tomber enceinte. Elle se croyait stérile. Elle avait peine à accepter l’idée de cet enfant. Ce n’est qu’au pire moment qu’elle a intégré l’évidence…

Peine et souffrance marquèrent le visage de son ami.

— Mahdi, je suis désolé. Ce qu’elle ne voulait sûrement pas, c’est que tu en souffres… Même si c’est toi qui l’envoies au feu, tu as amené de la douceur dans sa vie. Tu étais sa bouffée d’oxygène. Mais là, pour le coup, ça s’est retourné contre elle. Ça l’a sacrément remuée… Je me dis que c’est quelque chose qui aurait pu bouleverser sa vie de la plus belle des façons… Peut-être…

— Bon sang… Et elle a voulu tout gérer seule au lieu de m’en parler. Qu’est-ce qu’on lui a donc fait pour qu’elle réagisse ainsi ?

— Tu n’y es pour rien. Le problème ne vient pas de toi, loin de là. Sans compter que ce n’était vraiment pas le bon moment, après tout ça… Elle ne le montre pas, mais elle est encore en rage concernant… l’autre affaire.

— Ah oui, c’est sûr ! Elle n’y aurait sûrement pas vu un autre signe lui confirmant qu’il fallait calmer les choses. Imagine si on l’avait laissé faire ! Ça aurait pu lui arriver en plein combat ! Là c’est sûr, ils l’auraient eu, du vrai pain bénit ! Et moi… Je n’ai rien vu… J’aurais dû, pourtant… Cela ne devait pas… Pourquoi ?

Il avait chuchoté ces quelques derniers mots, l’incompréhension alternant avec la peine sur son visage.

— Mahdi, tu ne pouvais pas…

— Excuse-moi, je raconte n'importe quoi, la coupa-t-il pour se rattraper, gêné sans qu’elle puisse expliquer pourquoi.

Plutôt que de répondre par des mots, elle se leva pour l’entourer de ses bras. Les deux amis se serrèrent fort.

— Merci d’avoir été là pour elle au pire moment, ajouta-t-il.

S’il savait que Tara était partie s’isoler dans les bois à ce moment-là…

— Je vais te laisser seul avec elle.

— Merci… répondit-il doucement.

Il s’allongea à côté de Tara, la prit contre lui, son dos contre son torse, une main toujours sur son ventre, passa son autre bras sous sa tête, faisant attention à la perfusion dans son bras. Bien qu’inconsciente, elle réagit en se collant contre lui, comme une vieille habitude bien agréable.

Le visage blotti dans ses cheveux en vrac, il pleura en silence.

Ce toubib inconnu termina son examen de contrôle. Ceux qui s’étaient occupés d’elle à son arrivée n’avaient pas osé se présenter à nouveau, fort heureusement pour eux. Ils se seraient fait accueillir, histoire de leur faire comprendre ce que c’est d’agir avec l’accord du patient. Elle ignorait où elle se trouvait, mais elle aurait dû se méfier quand ces blouses blanches n’arborant pas le symbole des médics du réseau avait fait sortir tout le monde avant de l’examiner. Ils ne s’étaient alors pas gênés pour commenter ouvertement son apparence, alors qu’elle n’était plus qu’un “ça”. Et pour couronner le tout, quand elle leur avait demandé si c’était vraiment obligé qu’ils la trifouillent là-dedans, elle n’avait récolté qu’un “c’est pas vous qui décidez”. Malgré la douleur la clouant à la table d’examen, son bras avait fusé pour choper le plus près, pour qu’il entende bien son avis. Était-ce pour se défendre ? ils lui avaient injecté un sédatif, sans attendre ensuite qu’elle soit complètement endormie pour commencer la suite de leurs opérations.

Elle leur a juré de leur faire goûter de son propre savoir.

À voir si celui-ci rattraperait le niveau.

Elle tâta le matelas de sa main, il lui paraissait encore étrangement chaud, tout comme son ventre l’était à son réveil, comme s’il avait été là, ce qui était impossible.

Parce qu’en plus, il a fallu que je rêve de lui… Vraiment pas le moment.

— Tout va bien. Dans quelques jours, il n’y paraîtra plus.

Ah oui, vraiment ?

Il remballa ses outils, s’installa un instant pour lui parler plus sérieusement.

— Vous n’avez pas à vous inquiéter. Tout est normal. Vous pourrez recommencer…

— Hein ? Pas question !

— Pardon ?

— Pas question de revivre ça.

— Rien ne dit que vous aurez à nouveau ce souci.

— Non. Je parle de tout ça. Je ne veux plus aucun risque. Je veux pouvoir être tranquille. Être libre, définitivement.

— Vous parlez de contraception définitive ? Vous êtes en plein contrecoup de ce qui vous est arrivé, ne prenez pas de décision hâtive. Il y a d’autres…

— Je ne savais même pas que je pouvais. Ce ne serait que confirmer ce que je croyais déjà.

— Réfléchissez-y. Revenez me voir dans quelques semaines, nous en reparlerons.

— Inutile d’attendre. Je vous dis que ce n’est plus à réfléchir depuis longtemps. Pour moi, c’est un fait. Sté-ri-li-té, vous savez ce que ça veut dire, non ? Il n’a jamais été question de revenir là-dessus, encore moins maintenant. C’est la dernière chose dont j’ai besoin.

Il avait bien du mal à cacher son point de vue. Mais il n’avait rien à dire. C’était son corps, c’était à elle de choisir.

— Désolé, nous fonctionnons ainsi. J’ai bien noté que vous m’en avez parlé aujourd’hui. Nous préférons attendre au moins deux mois pour confirmer. Revenez à ce moment-là.

— Et si je reviens, il se passe quoi ?

— Nous en rediscuterons.

— Tss… Je vois.

Elle le laissa sortir.

— Inutile de rester ici, dit-elle à Yahel, restée silencieuse tout du long. On reprend la mission. Je terminerais de récupérer sur le reste du chemin.

— Tu tiens à peine debout.

— Fais-moi au moins sortir d’ici.

Yahel l’écouta, sachant à son ton vindicatif qu’il était inutile de discuter. Ils restèrent à camper dans les environs avant de reprendre la route. Tara mangea peu, dormit beaucoup, isolée dans le camion, passant de son duvet au sofa, et inversement, pelotonnée sous sa couverture et dans son châle, qu’elle s’était mise à porter à nouveau malgré la chaleur. L’inquiétude regagna ses compagnons, sans que cela les étonne vraiment, cette fois-ci.

— C’est sa façon de gérer, expliqua Yahel en regardant la porte du camion ouverte. Je vous parie qu’un jour, elle va se lever comme si de rien n’était. En attendant, elle sait qu’elle est au milieu des siens, c’est ce qui compte. Sinon, croyez-moi, elle ne se laisserait pas aller comme ça !

Et en effet, un matin, elle sortit du camion, harnais sur le dos, s’étira au soleil, les pans de son châle entrouvert, les rejoignit près du feu où un en-cas attendait tout un chacun pour le petit-déjeuner.

— Ça sent trop bon, dit-elle avec enthousiasme, tout en attrapant une cuisse de lapin rôti, mordant aussitôt dedans, le dévorant. Promis, le prochain, c’est moi qui l’attraperai pour vous. Au fait, on part quand ?

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