Je n'ai jamais mis un pied à Amsterdam

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Devrais-je aussi ajouter des couleurs ici ? me suis-je demandé, après avoir verrouillé la porte de mon local, en passant le doigt sur la plaque qui indique en lettres vraiment très sobres le texte qui l’est tout autant ‘Camille Lardinois, diététique’. Non, tu as fait assez de concessions ainsi, mec ! me suis-je tancé. Tout ça pour contrer ce stéréotype à la con

Lorsque je suis rentré du boulot, comme un rituel, je me suis collé à son dos et je l’ai entouré de mes grands bras, pour poser le nez dans ses cheveux, Guilhermo a réagi assez froidement, son corps menu s’est tendu, et il a suspendu sa respiration. Ça fait quelques jours qu’il est distant, en fait. Puis quelques nuits, aussi, lui, tellement demandeur de câlins. Puis tellement insatiable. Comme si… Comme ce que je ne veux pas trop imaginer. Je ferais quoi, s’il me quittait ?

— Ça ne va pas ? Qu’y a-t-il ? ai-je murmuré, alors que cette foutue angoisse remontait lentement.

— Rien…

— Je sens bien que tu me fuis, Guille. On a dit qu’on parlerait toujours de tout, même si c’était inconfortable, même si… Il y a quelqu’un d’autre ? me suis-je étranglé.

Moi, non. Mais toi, je ne sais pas.

— Hein ? Mais moi non plus ! De quoi parles-tu ?

— Ça fait quinze jours que tu rentres à vingt heures passées… Il s’est éloigné un instant, pour revenir avec le carton Amazon que je pensais avoir viré, et dont il a retiré le bordereau, qu’il a lu : ‘Amsterdam Gay Priderainbow flag… Sérieux ? C’est là que tu étais le week-end dernier, à le brandir fièrement ? Depuis quand c’est ton kiff, le milieu, tout ça ?

— Pas du tout ! J’étais à Gand, à la convention organisée par Pharma-City pour leurs nouveaux compléments diététiques, très nuls au final, d’ailleurs ! Et je t’avais proposé de m’y accompagner, tu n’as pas voulu ! Ça, c’est juste… Eh flûte, je te montre, viens !

J’ai conduit plus vite que je ne l’ai jamais fait, mais aussi, à cette heure… C’est surtout que je sentais que je le perdais un peu plus à chaque minute !

— Voilà ce drapeau ridicule ! ai-je dit en ouvrant pour la seconde fois aujourd’hui la porte de mon local de travail sur la salle d’attente, dans le coin de laquelle le tissu pendouille. ‘’J’ai un peu… refait la déco’’ ai-je ajouté en lui prenant la main pour le tirer dans la pièce adjacente, où une photo encadrée traine désormais ostensiblement sur mon bureau.

— C’est… nous, le bisou à Cancun, a murmuré Guilhermo. Je ne comprends pas, on n’est pas… Enfin, toi, tu n’es pas… revendicateur.

— Mais je ne le suis pas ! J’aime le truc discret que nous avons, j’y suis si bien, pour moi, c’est parfait, je te le jure ! Mais il y a les contraintes commerciales, voilà…

— Je ne comprends toujours pas, a-t-il répété, le regard perdu sur notre portrait.

— J’étais au bord du dépôt de bilan, par faute de clients… Surtout de clientes, pour quatre-vingt-dix pour cent. Elles parlent avec Marine, au secrétariat de la clinique, puis arrivées au rendez-vous, elles captent que la diététicienne est un diététicien.

— Plutôt pas mal, m’a glissé Guilhermo, étrangement radouci.

— Si… tu le dis… Bref, sauf que non, stéréotype négatif, là, je suis un mec, donc elles se sentaient jugées, et elles supprimaient presque systématiquement le rendez-vous suivant. Alors, j’ai eu l’idée de m’exposer, puis un peu de nous montrer, mais je suis désolé, je ne t’ai pas demandé si tu…

— Je suis d’accord ! a-t-il claqué. Mais ça le fait ? Je veux dire, ça marche ?

— C’est incroyable. Bon, elles resteront toujours à fond sur le cliché qui veut que ce soit un job de fille, et ce l'est à quatre-vingt-dix-neuf pour cents, mais ici, elles admettent, juste parce que je suis dans cette autre catégorie, comme leur coiffeur, pas tout à fait un mec, quoi. Du coup…

— Oooh, mais pour ça, je peux rédiger une attestation signée devant notaire, tu es tout à fait un mec, Camille. Je la ferai même encadrer, m’a-t-il souri.

— Gentil, ça ! ai-je murmuré, ‘’mais je disais quoi, moi ? Ah oui ! Donc, du coup, elles m’envoient même leurs copines''. J’ai allumé mon ordi de bureau. ‘’Regarde l’appli des rendez-vous, mon calendrier est blindé !’’

— Ah oui, ça explique que tu bosses tard, je comprends, mais depuis quinze jours, tu aurais pu m’en parler.

Je l’ai fixé, toujours un peu triste, désolé, à bout d’arguments.

Ce qu’il a compris, pour murmurer ‘’Je ne te parlais plus trop, moi non plus, c’est ça ?’’

À court de mots, je l’ai serré très fort, pour dire plein de choses, mais sans oser les oraliser. Que oui, absolument, tout ça, mis ensemble, sur un malentendu, aurait pu briser ce qu’on a construit. Mais aussi que, maintenant qu’on avait passé cela, ce serait mieux !

C’était sans compter sur son esprit pétillant, jamais avare d’une vanne…

— Le truc, c’est que tu as un prénom épicène, mais généralement stéréotypé ‘fille’, c’est ironique.

— Maman en voulait une, voilà tout. Et tant qu’on est dans les clichés et les stéréotypes, je n’ai jamais rien porté de rose ni eu les cheveux longs, mais je lui ai tout de même ramené un beau-fils, elle doit bien s’en satisfaire.

— Ta mère m’adore, Camille, tu le sais, elle aime trop me présenter comme son bru ! N’empêche, les femmes sont étranges…

Je dois donner raison à Guilhermo… Mon Guille… Dans le boulot, ou chez mes parents, on semble me préférer avec lui.

— Sorti des cours sur la physiologie différenciée, je n’ai jamais trop creusé le sujet, tu imagines bien.

Après deux pas sur le perron du bâtiment, il m’a fait me retourner pour voir notre reflet dans la porte vitrée, avant de lever son regard dans le mien. ‘’Nos treize centimètres et trente kilos de différence entretiennent surement aussi un stéréotype pour certains, mais je m’en moque, Camille’’.

— Et si on le faisait mentir, celui-ci ? On rentre chez nous ?

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