La vie est courte et ennuyeuse : aussi la passe-t-on à écrire. Etrange amusement que celui-là, où l’on s’escrime à dire, d’une manière délicate et fine, ce qu’il y a de plus ordinaire à l’homme. Un tel veut se raconter : il a faim et écrit, « Je mange » ; un autre a soif : il écrira « Elle boit vite un café chaud » ou « Elle avale en vitesse son café encore chaud ». Tel autre a des envies de meurtre, et le voilà qui annonce, « Ah, les salauds ! Je veux tous les tuer ». La vie est chose pénible ? Quel malheur ! Il faut le dire. L’heure est aux bons sentiments ? Allons, il faut s’inquiéter du « bien-être planétaire ». Chez ceux qui se mêlent d'écrire, voyez-vous, la mode est à l’épanchement. L’on s’applique à parler de tout ; l’on s’exprime à toute heure pour dévoiler le réel : états d’âme, émotions, aspirations nobles ou intentions malveillantes, tout y est si parfaitement marqué que nul n’est en droit de s’en moquer. Fait-on intrusion dans un débat où l’on n’est point convié ? Eh bien, nul ne peut s’ériger en censeur : il faut une opinion sur tout, et de l’autorité sur rien. Ils n’entendent ni la métaphore, ni l’ironie car ils y prennent tout littéralement. Ils aspirent à se « faire auteur », et se persuadent les uns les autres qu’ils ont naturellement le talent de bien écrire.