Chapitre 5 - De retour chez-soi
Ortilâ, an 2711.
Lahynn se laissa bercer par les chauds rayons matinaux. Une brise légère se leva faisant voleter quelques mèches de cheveux, et, doucement, elle s'abandonna au rêve qui l'appelait…
Un petit garçon châtain marchait près d’un immense lac, un arbre semblait avoir poussé de l’eau sans aucun ilot autour. Il était magnifique, blanc nacré, sa cime paraissait être arrêté par un ciel invisible en forme de dôme. Ce qui lui donnait une forme particulière, comme une fumée blanche qui aurait pris la forme d’un obstacle invisible. De loin, l’arbre donnait cette impression particulière d’une fleur dont les pétales s’épanouissent autour de la tige. Mais ce qui attirait le plus l’attention du jeune garçon était plutôt l’intrus qui le suivait partout depuis quelques jours :
— Tu peux sortir, je sais que tu es là !
Une petite boule de poil sorti du buisson, le jeune louveteau s’assit sur son derrière et pencha la tête sur le côté. Il était blanc, avec de grosses pattes chaussées de gris cendre.
— Mais pourquoi tu me suis partout comme ça, hein ?
Le louveteau se mit à remuer la queue, en haletant doucement.
— Bon de toute façon je pars quelque part où tu ne peux pas me suivre, je n’ai pas envie de m’occuper de toi, donc si t’es seul c’est pas ma faute.
L’animal continua de le regarder de ses yeux argent. Le garçon se découragea, lui tourna le dos et continua son chemin. Il l’entendit se remettre en marche derrière lui.
— Bah… pourquoi je te parle, alors que tu comprends rien de c’que j’te dis. Bon au point où en est, moi c’est Tory.
— Valcor, lui répondit une voix dans son dos.
Il se retourna abasourdi, le louveteau remuait toujours son derrière, une sorte de sourire en coin s’étirait sur ses babines cerclées de noir.
Lahynn réintégra subitement son corps, à travers l'effroyable impression d'avoir était arrachée aux mains de l'innocence.
Les voix raisonnaient encore dans sa tête et elle eût l’indescriptible impression d’avoir une présence familière, maternelle à ses côté qui lui soufflait d’avoir confiance. Avoir confiance ?
Elle ouvrît les yeux, s'habituant progressivement à la lumière.
Le soleil était déjà haut dans le ciel.
Lorsqu'un détail plus flagrant la frappa.
Le plafond lui sembla plus bas que la normal, encore un rêve ? Elle dévia son regard pour constater qu'elle se trouvait à l'intérieur d'une minuscule maison, dans laquelle elle pouvait à peine tenir debout.
À sa gauche, les murs étaient bien réels au toucher, la pierre rugueuse blanche-grisâtre, semblait vieille de plusieurs années. Quant à sa longueur, la maisonnette dépassait de peu la taille du lit posé à même le sol, au bout de ses pieds.
Une violente migraine la saisit, lorsque la pièce fut inondée par les rayons de soleil qui perçaient entre deux nuages. Elle se prit la tête entre les mains un instant et avisa un verre posé sur la tablette à côté d’elle. Elle avait terriblement soif. Fit de toutes prudences, elle s’assit et bût d’une traite le verre qui calma sa soif. A peine avait-elle reposé le verre, que sa migraine s’intensifia, amenant avec elle de gros étourdissements. La pièce se mit à tourner autour d’elle, des voix se mirent à parler toutes en même temps dans un capharnaüm assourdissant. Elle sombra dans un vide éternel avec cette angoissante impression de tomber indéfiniment, sans jamais chuter. Les voix arrivèrent par vagues, tantôt confondues, tantôt étouffées. Elle pût saisir quelques bribes, des voix familières qui lui parvinrent :
« Lahynn ! Aller vient, c’est pas comme si on avait jamais fait le mur, hein ! ... »
« Pourquoi on fait cette fête tous les cinq août ?... »
« Alna ! »
Les voix s’étouffèrent, balayées par un vent de silence. Elle sentit plusieurs émotions la traverser de part en part. Une angoisse qui lui étreignit le ventre, une joie euphorique électrisante, une colère aveuglante, une tristesse sans fond, une peur à lui couper le souffle, un amour à lui faire perdre le sens des réalités. Toutes ces émotions prises en même temps, lui donnèrent l’impression d’avoir sombré dans la folie : tout lui échappait et en même temps, la traversait sans y rester. Une paix graduelle la cueillit, une présence plus stable et plus forte que tout, s’avança. Un souvenir. Elle avait de la fièvre, elle n’avait pas quitté le lit depuis quelques jours et se sentait désertée de toute vie. Allait-elle survivre à ce vide ? Après leur déménagement, elle n’avait alors que six ans.
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— Ma luciole… Est-ce que tu te souviens de notre comptine ? lui avait demandé sa tante en caressant tendrement ses cheveux humides de sueur, « belle sera la blanche, un rayon pour l’avoir… »
— « Couverte de pétales d’anges, peny saison pour se mouvoir ». Mais qu’est-ce que ça veut dire tata ?
— C’est la légende de la fleur légendaire qui ne pousse qu’au premier jour du printemps. Ses pétales sont comme des plumes d’anges, elle est très rare et ne pousse qu’à un endroit en particulier, tous les dix ans.
La petite Lahynn fut prise d’une quinte de toux, Alna veilla à son chevet jusqu’à son rétablissement. Puis encore les onze ans qui suivirent, pansant ses plaies physiques et de cœur. Elle avait été sa mère pendant onze années. Mais dans son cœur, elle le resterait toute sa vie.
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Une voix lui apparut, plus nette et lointaine. Son cœur s’emballa, elle avait chaud et froid en même temps. C’était les mêmes symptômes que lorsqu’elle avait six ans. Sauf qu’Alna n’était pas à ses côtés. Non. A sa place, se tenait une silhouette masculine, dans un angle improbable. Lorsqu’elle sentit qu’on remettait son corps dans une position couchée, elle comprit que c’était sa tête qui était en dehors du matelas, le corps de l’homme reprit alors un angle normal. Elle ne vit pas celui qui l’avait remis dans une position plus confortable, sa migraine lui donnait des élancements dans la nuque. Elle se sentait paralysée, ankylosée, son cœur lui faisait mal aux côtes. Elle se rendit compte seulement à ce moment qu’elle respirait à grand bruits. Elle était prise de panique, elle faisait une crise d’angoisse. La silhouette masculine s’approcha et c’est avec toutes les forces qui lui restaient qu’elle tenta de se défendre face à la menace :
— Allez-vous-en ! ... allez-vous-en ! ... allez-vous-en ! ...
La silhouette se stoppa, eu un geste vers la table de chevet. Il fit un nouveau pas vers elle. Lahynn préféra fermer les yeux, une nouvelle salve de souvenirs reprit possession de son esprit, sa peur de mourir fut soufflée. Elle n’avait plus la force de lutter.
Pourtant une main chaude prit la sienne. Elle s’abandonna une nouvelle fois à cette chute sans fin.
— … Hynn
Elle se réveilla, encore prise de nausée et de vertige. La migraine était devenue cotonneuse, comme si sa tête était prise dans une étreinte. La bouche pâteuse, son cœur avait repris un rythme tranquille.
— Lahynn…
Elle tourna la tête vers l’origine de la voix et tomba sur deux yeux émeraude qui la fixaient, inquiets ?
Soutenant le regard de l’homme, elle ne sût dire pourquoi il la troublait, sans doute parce que cette image ne lui était pas inconnue.
Rêvait-elle encore ?
« Tory ! Tory… » Ce nom l’avait frappé. Cherchant à toute vitesse dans sa mémoire, la seule information qui lui revenait était celle de cet ami fantôme. Mais qu’est-ce qu’il se passait ? Il ne lui était jamais apparu aussi clairement. Et pas depuis des années dans ses rêves. Elle eut un tressaillement et sentit que sa main était toujours lovée dans la sienne. Lahynn tenta de la retirer, elle voulait fuir ce qui avait été un pilier, un soutien dans son enfance.
— Tu n’as pas à avoir peur de moi, continua-t-il, tout va bien maintenant. Tu es en sécurité.
Face à son mutisme, il sourit en coin. Reposant la main de la jeune fille sur le lit, il se leva et sortit.
Lahynn sentit la chaleur qu’il avait transmis dans sa main, s’effacer. Comme le souvenir qu’elle en avait de lui autrefois. A présent, il ne lui restait qu’un seul nom de son passé, Alna. Elle fixa le plafond bas, des larmes s’échappèrent malgré elle et se perdirent dans ses cheveux.
Une certitude combla le vide qu’elle avait toujours ressenti. Ce décalage, cette pièce de puzzle qui lui manquait : Elle était rentrée.
Elle était revenue dans son monde natal.
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