Chapitre 5
D’Arnot restait figé de surprise. Derrière son regard délavé, son esprit tentait de raisonner un peu. Il se doutait que le jeune et fougueux Lord anglais aurait eu vite fait de le rattraper, au moins l’avait-il vite espéré quand il avait réalisé qu’il errait sans savoir où il allait. En effet, il ne doutait aucunement des compétences de Tarzan. Des longues conversations qu’ils eurent pendant leur traversée océanique, il avait acquis la certitude que le blondinet n’était pas de ces jeunes écervelés qui, ignorant tout du monde et de ses dangers, prétendaient néanmoins en maîtriser tous les risques.
Le marin s’attendait donc, depuis le début, à ce qu’il fût vite rejoint.
Toutefois, il n’avait pas imaginé un instant qu’il le dépasserait à cette vitesse, et moins encore pour finir sa course dans un bain d’épines acérées, cerné, de plus, d’un gigantesque essaim de bébêtes à dard, fort courroucées d’une visite aussi inattendue que vigoureuse.
Mais…était-il encore vivant ? L’impact avait été violent !
- Tarzan, vous m’entendez ? hasarda D’Arnot, ne sachant que faire.
Aucune réponse, sauf le bruit quasi-mécanique des guêpes.
- Lord Greystoke ? hurla-t-il quelques secondes plus tard.
Toujours le silence. Il fallait pourtant tenter de le retrouver, se dit-il. Aussi, quoiqu’avec grande prudence, fit-il quelques pas en direction du roncier. S’il demeurait circonspect face au nuage d’insectes à quelques mètres devant lui, il ne pouvait se résoudre à laisser son ami dans la détresse. Sa belle culture française, fondée sur l’assistance et l’entraide aux nécessiteux, le poussait naturellement à secourir celui qui, encore invisible sous les épais feuillages, avait tout perdu.
Certes, les terribles guêpes menaçaient de lui tomber dessus par milliers, voire plus, mais comment accepter de ne rien faire pour sauver son ami ?
Que pouvait-il faire d’autre ?
- Tarzan, mon jeune et cher ami, répondez-moi, je vous en conjure. Allons, un effort, réveillez-vous !
Peut-être qu’il était seulement évanoui, pensait D’Arnot pour se rassurer.
- Je vous en supplie, maintenant : faites-moi un signe ! Montrez-moi que nous sommes encore du même monde ! insista-t-il avec désespoir.
Il en avait presque les larmes aux yeux, imaginant le pauvre corps désarticulé de son compagnon de voyage, tel un malheureux pantin de bois tendre, harcelé par des centaines d’insectes qui l’empoisonnaient de leurs dards vénéneux.
Hurlant un peu plus fort à chaque supplique, il avançait comme un automate vers l’essaim, conscient des risques, presque désireux de rejoindre Tarzan dans son malheur…
Le désastre était là, sous ses yeux. Et seul le silence de la Nature se laissait entendre.
Anéanti, il tomba à genoux, les deux mains jointes autour du bâton dont il ne se défaisait plus, tel un patriarche en plein désert. La tête levée vers le ciel, il se mit à prier à voix haute.
- Seigneur, Toi à qui rien n’est impossible, entends ma prière et rends-moi mon ami. Intact, si possible…
Jetant un œil sur ledit bâton, il continua du même ton :
- Toi qui m’as donné ce bout de bois pour me rendre espoir et courage… fasses que ta Volonté me donne la force de sauver mon ami !
Alors, animé d’une détermination sans faille, il s’apprêta à plonger dans la fournaise bourdonnante quand, faiblement d’abord, les taillis remuèrent.
- Jésus ! Tu as entendu ma prière ! Hosannah ! Allez Lou Ya et toute la bande !
La seconde d’après, la main ensanglantée de Tarzan surgissait des ronces. Certes, ce poing serré était couvert de sang, d’estafilades et autres meurtrissures dues à sa chute, mais il était visiblement fort et bien vivant !
- Oh ! Merci, Seigneur ! Que ta grâce soit…
- Dites-moi, D’Arnot, interrompit alors la voix de Tarzan, venue des tréfonds du buisson, quand vous en aurez terminé avec vos bondieuseries, vous penserez à me rendre vous savez quoi ? Je ne pourrais pas rester caché encore bien longtemps dans ces branches piquantes avant que les guêpes ne finissent par me trouver !
- Mais… !
- Vous comprendrez, j’espère, que la bienséance m’interdit, même en ces lieux paradisiaques, de me présenter dans le plus simple appareil !
D’Arnot n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles ! Presque sidéré par la preuve, maintenant incontestable pour lui, de l’existence de Dieu (ne venait-il pas d’exaucer tous ses vœux à l’instant ?) il demeurait incapable de réagir.
- Tarzan, que le Diable m’emporte ! Vous m’avez fait bien peur !
Puis, sans perdre plus de temps, il chercha activement comment satisfaire la demande de son ami. Vite, il trouva. Et, grâce à ce bâton qu’il conservait avec obstination (et dont il pensait de plus en plus qu’il était un véritable don du Ciel) il accrocha le slip panthère à une extrémité et tendit le bras vers la main de son ami.
Ce dernier gloussa d’abord de plaisir en retrouvant son morceau d’étoffe préféré, mais il ne tarda pas à hurler de douleur. Les taillis furent soudain animés de violentes secousses !
- Ah, les vaches ! vociféra Tarzan. Elles m’ont trouvé !
Les cris s’intensifièrent. Les insultes aussi.
Piqué au vif, probablement…
Témoin impuissant, D’Arnot vit la scène se dérouler sous ses yeux ébahis. Le temps sembla presque s’arrêter brusquement, et tout se passa comme au ralenti…
A suivre…
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