Chapitre 8
Que dire de la surprise du beau blond ? Profitant d’un virage dans la jungle, il put jeter un œil derrière lui pour constater que toute l’équipe était là, réunie. Chacun et chacune pendus sous un bout de bois ! D’Arnot continuait de se débattre pour se défaire de ses liens, toujours un bon mot à la bouche pour affirmer tout le bien qu’il pensait des pygmées qui, eux, chantaient sans se soucier du reste. Jane était là, pendue à sa branche, nue comme un ver, elle aussi. Les pygmées profitaient sans vergogne d’un panorama exceptionnel... Mais celle-ci se moquait pas mal de cet exhibitionnisme forcé, se concentrant plutôt sur un moyen de secouer l’amour-propre de son mari qui, le bâton de berger traînant toujours dans la poussière et les feuilles mortes, ressemblait à un simplet un peu égaré. Un peu plus loin, il y avait aussi le père O’Reilly, porté par quatre gardiens qui suaient sous l’effort. Le curé, fort bien nourri depuis trop longtemps au frais de ses paroissiens, devait bien peser dans les trois cents livres, ce qui n’était pas loin de représenter cinq ou six des bonhommes de la tribu des pygmées. Par hasard, ou par respect, il avait pu garder sa soutane. Il y avait encore quelques hommes blancs, des valets, qui terminaient le long cortège qui avançait doucement dans la végétation.
Arrivés, enfin, sur les bords tumultueux du fleuve, il leur fallut encore le traverser, ce qui ne fut pas une simple aventure. Les hippopotames hippopotamaient, les crocodiles crocodilaient d’un air menaçant, et de dangereux rapides auraient pu les engloutir en un instant. Heureusement, les pygmées Hottedaugues savaient le chemin par cœur. Et puis, ils n’avaient qu’à rejoindre l’île , située en plein centre du Congo : l'île Barau (prononcer Ba-Ra-Ou, merci. C’est pour donner un peu plus d’exotisme à ce récit trépidant !) Après bien des efforts, quelques tasses aussi, Tarzan, Jane, le capitaine, le curé et tout le reste de la compagnie se retrouvèrent au sec, au centre d’une vaste clairière tapissée de sable noir et poudreux. Tout autour, des cahutes faites de branches souples, couvertes de feuilles de bananier.
- Alors, John ? rouspétait encore Jane. Ces feuilles ne vous rappellent-elles rien ? Ne nous avez-vous pas entraîné dans cet enfer pour ces maudits fruits ?
Tarzan, pour le moment occupé à souffler comme il le pouvait, et avec bien des gesticulations, sur ses joyeuses pour atténuer le feu qui les consumait, ne répondit pas tout de suite. Les malheureuses étaient boursoufflées comme des potirons, rouges comme des cerises trop mûres, dures comme des noix de coco… Sacré cocktail de fruits !
Mais Jane ne voulait pas lui laisser un moment de répit. Peu lui importait les écorchures de son mari. Elle voyait avec inquiétude les pygmées s’affairer au centre du village…
Ces derniers apportaient en chantant quantité de bûches dont ils eurent vite fait un grand tas. Quelques brindilles d’amadou et un joli feu de joie ne tarda pas à s’inviter. D’Arnot, pas mécontent de ces flammes chaudes, complimenta même les africains de cette belle initiative, sans comprendre la finalité de ce brasier.
- Alors, John ? cria Jane. Pas encore fini de jouer avec votre petit oiseau ? Ne voyez-vous pas que nos hôtes vont bientôt s’occuper de nous ?
- D’abord, Jane… fit enfin Tarzan sans lever les yeux ni cesser de souffler sur son entrecuisse, vous formulerez, à mon intention et dans les plus brefs délais, les excuses que je suis en droit d’attendre. Vous comprenez, ma chérie, qu’il ne siérait pas que mes amis me voient dans cette tenue, accroché comme une serviette à son séchoir, et insulté, de plus, et en termes inacceptables, par sa propre épouse.
- Des excuses ? s’étrangla Jane. Mais vous délirez, mon cher ! Sachez que si ces liens ne me retenaient pas, je me ferais une joie de vous tirer l’ultime pénalty qui vous libèrerait du souci que vous vous faites présentement de vos joyeuses !
- Alors, et compte tenu que vous ne pourrez assouvir cette envie aussi stupide qu’inutile, j’attendrai le temps nécessaire… Quitte à ce que nos hôtes, comme les désignez, nous dévorent du bout des dents.
- Euh, nous dévorer ? s’exclama D’Arnot qui n’avait rien perdu de la conversation.
- En effet, mon capitaine ! répondit Tarzan. Nous sommes les invités malgré eux de la tribu des Hottedaugues, dont je connais bien le chef. Chef qui ne devrait pas tarder à se manifester, d’ailleurs…
D’Arnot en eut le souffle coupé, ce dont tout le monde profita. Il n’y avait plus que le chant des femmes qui préparaient quelques hors d’œuvres dont elles avaient le secret, les rires des enfants qui mimaient les faits et gestes de Tarzan en train de s'aérer les roubignoles, et les craquements joyeux (et prometteurs !) du feu de bois.
- Ces pygmées, dont pas un ne mesure plus d’un mètre-vingt, sont cannibales. Grands chasseurs, discrets et efficaces, ils ont dû nous ramasser pendant que nous tentions de nous soustraire aux guêpes, continua Tarzan, pensant à voix haute. J’ignore bien comment il se fait que je sois encore accroché à cette poutre, cependant… D’Arnot ? N’auriez-vous pas une explication, par le plus pur des hasards ?
- Euh… Si fait, répondit l’intéressé d’un air penaud.
- Eh bien, nous vous écoutons…
- Voilà… Quand j’ai vu que vous alliez succomber sous le nombre de vos ennemies, je me suis lancé à votre secours. Croyez bien que ce ne fut ni simple ni sans danger ! Les sales bêtes tombaient sur nous comme grêle au printemps ! Je vous ai pris sur mon épaule puis dirigé mes pas vers l’inconnu, confiant nos destins au hasard, je l’avoue.
- Et… ?
- Et, au détour d’un arbre, j’ai trébuché. Voilà !
- Comment voilà ? s’étonna Jane.
- Je suis tombé ! Tarzan m’a échappé des mains. Il a vite disparu sous les feuillages bas, pendant que moi je roulais comme un tonneau, le diable sait où ! Ensuite, j’ai heurté quelque chose de dur, et j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, j’étais pendu à cette branche. Voilà toute l’histoire !
- Minable… fit Jane avec dédain.
- Je confirme, affirma le père O’Reilly qui semblait revenir des enfers, le ton et l’air défaits.
- Minable ? Dites-moi, chère madame, vous imagineriez-vous porter ce gros machin en soutane sur vos frêles épaules pour lui porter secours ? Et puis, minable pour minable, auriez-vous l’obligeance de m’expliquer votre présence ? Et les raisons de votre tenue ? Et les raisons, fort évidentes, j’imagine, qui font que vous êtes aussi entravée que je le suis ? Hein… ?
Le capitaine venait de sauver son honneur, portant quelques coups de griffe à celui de la belle anglaise. Le père O’Reilly, quant à lui, protesta faiblement, surtout à propos de la rondeur de ses formes qu’il estimait moins imposantes que celles évoquées par le marin. Tarzan ne dit rien mais attendit la réponse.
Pendant ce temps-là, les pygmées remplissaient deux énormes chaudrons d’une eau jaunâtre, encore chargée des limons du fleuve. D’autres finissaient de piler du manioc, le tout dans une ambiance de fête…
Ce fut le prélat qui prit sur lui de répondre, Jane cachant soudain sa nudité en se tortillant comme elle le pouvait…
- Nous n’avions pas quitté l’hôtel de l’ABC depuis plus de deux jours qu’une embuscade nous fut dressée, au cours de laquelle nos guides s’enfuirent sans tenter de nous protéger un instant. J’ai tenté de calmer ces sauvages, puis j’ai parlementé longuement, avec tact et sagesse. Après bien des salamalecs…
- Votre don inné pour la parlote fit ses preuves et vous vous retrouvâtes tous pendus et transportés jusqu’ici ! coupa D’Arnot avec un mauvais éclat dans le regard. Décidément, les curés ne seront jamais à la hauteur !
L’intéressé, blessé et vexé par le commentaire, baissa les yeux, priant à voix basse quelques prières pour excuser son interlocuteur. Tous les yeux se tournèrent ensuite vers Jane, dont Tarzan attendait non seulement les excuses mais aussi les circonstances de sa captivité.
Les larmes aux yeux, elle allait consentir à ces deux choses quand un grand mouvement s’opéra au fond du village.
Le chef revenait de la pêche.
Pour lui, et ce n’était pas faux, compte tenu des risques encourus à plonger dans les eaux dangereuses du fleuve, il appelait ça, la chasse aux poissons. Plus exactement, il l’appelait « sa chasse d’eau ». C’était son domaine réservé.
Tout le village se figea de respect. Les femmes ne chantaient plus, les mômes ne se tripotaient plus le scoubidou, même le feu se fit discret.
Papa Schizbeurgheur, chef de la tribu des Hottedaugues, redoutable chef de guerre local, s’approcha des prisonniers. Quand il reconnut Tarzan, un immense sourire fendit son visage fatigué.
Tarzan, quant à lui, grimaça de déception…
À suivre…
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