5 - Questions sans réponses
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-Merde ! s'exclama Xenthores. Y a pas de réseau ici !
-Comment ça se fait qu'on ait pas de réseau, alors qu'on est si proche de chez toi ?
On avait traversé le portail, avec une fascination sans pareille. La seule chose dont nous avions besoin, pour le moment, c'était de savoir précisément où ce portail nous avait transportés.
La première chose à laquelle nous avions pensé, c'était Google Maps. Juste en ayant du réseau, on aurait pu localiser notre position sur le globe. Mais c'est comme si aucune onde ne pouvait traverser le portail...
-Comment on va faire, du coup ? demanda mon pote. On marche au hasard, en espérant de trouver la civilisation ?
-Non, on aurait beaucoup trop de chances de se perdre... M'est avis qu'on devrait y réfléchir un peu plus intensément. Autrefois, les marins et voyageurs n'avaient pas toutes ces technologies de précision pour se repérer...
-Quoi ? Tu veux qu'on se repère avec les étoiles ?
-On peut se repérer avec plein de trucs ! affirmai-je. La faune et la flore est différente dans chaque région, ça peut déjà mettre la puce à l'oreille. Et puis, les étoiles, c'est pas con ! Avec un sextant, on pourrait déterminer notre latitude. Je sais pas comment l'utiliser, par contre...
-On fera avec ! Si c'est notre seul moyen de savoir où on est...
-J'imagine que dans tes affaires, tu n'as pas de sextant...
-Absolument pas ! Mais on peut en acheter un.
On retraversa tous deux le portail. Je poussai un soupir de contentement lorsqu'il se révéla que le téléporteur marchait bel et bien dans les deux sens ; nous étions de retour dans la cave de Xenthores.
Les lumières s'étaient rallumées, mais hélas le courant entier grésillait à intervalles réguliers, et ce dans tout le secteur. Pour ne pas gêner trop les voisins, on devait faire vite.
-Il faut qu'on fasse des recherches sur les arbres au-delà du portail, indiquai-je. Mais il faut aussi qu'on aille chercher ce sextant... Je propose qu'on se sépare les tâches.
-Prem's pour l'observation !
-Mais... Ce serait plus facile que tu aille faire les achats ! protestai-je. Je n'ai pas le permis, moi !
-Mouais, avec ou sans permis, tu peux y aller quand même, non ? J'ai envie de rester ici.
-Bon, d'accord... J'imagine qu'une petite sortie ne me ferait pas de mal.
Et me voilà, dans un bus en direction de la gare la plus proche, afin d'aller au seul magasin à des lieues à la ronde qui vend un sextant. Si je détestais les voyages en bus, la partie en train m'a permis de me poser un peu et de réfléchir, après des mois de travail intenses. J'en ai profité pour faire des recherches sur les moyens d'orientation et la manière de les utiliser correctement.
Arrivé au magasin, j'entrai dans une ère ancienne. Les vitrines, les étagères, le comptoir, tout était rempli d'outils et d'objets d'un autre âge. Je discutai un peu avec le vendeur, un vieil homme fort aimable. Je payai les 45€ nécessaires à l'achat du sextant, et quittai le lieu en remerciant chaleureusement le bonhomme.
Sur le retour, rien de spécial... Je manipulai un peu ma nouvelle acquisition, tentant de me familiariser avec son concept. Il était presque midi, donc je décidai, à travers les vitres du train, de déterminer notre latitude en observant le soleil. J'obtint un résultat assez approximatif, mais suffisant.
Lorsque je revins chez Xenthores, mon ami n'était pas là. Il était probablement en train de faire ses observations... Midi était déjà passé et il était un peu tard pour les observations, mais au moins je pouvais donner une estimation. Je pris donc mon manteau malgré la température assez chaude, empoignai un de mes bâtons préférés ―j'ai l'habitude de jouer avec un bout de bois quand je me balade― et traversai la matière fluide qui composait le portail.
Le cerf était de retour devant la structure mystique. Au lieu de s'enfuir, il resta tranquillement à sa place. Saisissant l'occasion de caresser un animal sauvage, je m'approchai ; ce à quoi le cerf me répondit par un baissement de tête, comme s'il voulait se prosterner docilement. Il était si tranquille, je ne résistais pas à l'envie de lui gratouiller le crâne...
L'animal se laissa caresser sans problème. J'étais euphorique : Cette journée avait tout pour être parfaite... Un hibou se fit entendre, plus haut dans les arbres. Il me regardait, lui aussi. Un hibou en plein jour ? Voilà qui est étonnant !
Mais voilà : tous les bons moments ont une fin. A travers la canopée, j'apercevais les nuages doucement s'avancer pour remplacer le soleil. Il me fallait faire vite, si je voulais faire mes observations... Mais avant, appeler Xenthores !
Je m'éloignai un peu des deux sympathiques bêtes avant de crier le nom de mon ami pyromane. A part la fuite de mes deux copains à poils et à plumes, aucune réponse... J'espérais que Xenthores ne s'était pas perdu dans la forêt ! En attendant, qu'il soit perdu ou non, connaître notre position ne ferait que nous aider. Je laissai mon bâton par terre et commençai à grimper dans les arbres, afin d'avoir une meilleure vue sur le soleil. Lorsque j'atteignis une hauteur suffisante pour voir à travers les feuilles, je pris mon sextant, mon bic et mes feuilles de notes.
A peine avais-je noté mes analyses ―qui se révélaient être très proches de mon précédent essai de l'autre côté du portail― que le tonnerre se fit entendre, au loin. Aah, ce bruit résonnait comme une musique dans mes oreilles... Cependant, de massifs nuages noirs se pointaient, du côté de la proche montagne. Tiens ! C'est pas une mauvaise idée, non plus ! Analyser la topographie du terrain... Je constatai la présence d'une autre montagne ―probablement un volcan, au vu de son sommet aplati―, et d'une mer proche. Quel endroit dans le monde, sur à peu près la même latitude que la notre, posséderait tous ces attributs ?
Quoi qu'il en soit, même si cet orage au loin ravissait mes oreilles, sa masse n'en était pas moins menaçante. Il était plus prudent de revenir au portail.
Le temps de descendre de l'arbre, la pluie commençait déjà à tomber. Les flashes, les explosions sonores se faisaient de plus en plus proches... Je sautai sur la terre molle, empoignai mon bâton et courai vers le portail... avant de remarquer qu'il était désactivé.
-non... non, non, non, NON ! criai-je. SALETÉ ! POURQUOI TU T'ARRÊTES MAINTENANT ???!!!???
Désespérément, je chipotai le panneau de commande, mais rien ne répondait. J'enlevai mon manteau et le mis au-dessus de ma tête pour me protéger de l'averse, qui se transformait progressivement en torrent. à ce point, mon pauvre manteau ne servait plus à rien... Qu'est-ce que j'avais, dedans, qui pouvait être ruiné par l'eau ? Eh ben, mes notes, évidemment... Tant pis ! Dès qu'on pourra retourner chez nous, on pourra refaire l'expérience. Et quoi d'autre ? Dans mes poches, il y avait de tout ; des gants, un bonnet avec écouteurs intégrés, des lacets, des jeux de dés, un canif, des papiers en tout genre... Ah ! Et dans mon pantalon, il y avait aussi mon portefeuille et mon téléphone. Je crois que je pouvais donc dire adieu à mes appareils électroniques aussi...
C'est très déconseillé de rester sous un arbre en pleine tempête. Mais est-ce que ça va si on se protège en pleine forêt ? La foudre n'irait-elle pas frapper les arbres plus hauts ? Je n'avais plus qu'à espérer qu'elle le ferait. Mais, malgré la puissance de l'orage, je décelai toujours dans cette situation un sentiment de pure extase. S'il y a bien quelque chose qui me fascine au-delà de tout, c'est de discerner la véritable puissance de la nature, et particulièrement des phénomènes météorologiques. Voilà pourquoi j'aime autant la foudre. Le tonnerre assourdissant, les projections de photons aveuglantes, des ondes de choc si puissantes et pourtant si localisées qu'elle pourraient aisément détruire un arbre, ... Et puis les formes mystiques de ces véritables outils de destruction divins ! Peu de choses arrivent à égaler à mes yeux la beauté d'un éclair.
Mais jusqu'ici, jamais je n'avais vraiment été au cœur d'une tempête... Si la puissance de la chose n'avait pas fini de me fasciner, j'avais quand même un peu peur que Zeus ne me foudroie. J'avais encore tant de choses à faire dans ce monde... J'eus soudainement une pensée pour Xenthores, qui était peut-être, lui aussi, piégé dans la catastrophe. Je priai pour qu'il soit resté hors du portail...
La foudre, les déflagrations, les explosions de lumière, tout devenait de plus en plus frénétique... La pluie me meurtrissait, les éclairs m'aveuglaient, le tonnerre m'assourdissait... Les arbres eux-même pliaient sous l'orage, trop fatigués pour supporter le poids du déluge. Le sol se recouvrait progressivement d'une pellicule d'eau, transformant la terre en une masse boueuse. Entre le harcèlement des flots et cette marée qui montait, il m'était impossible de faire le moindre mouvement...
Dans ce chaos d'eau et de foudre, je laissai s'échapper un rire de folie. Plus le cataclysme augmentait en magnitude, plus j'oubliais ma condition de pathétique être humain. C'était comme si je ne faisais plus qu'un avec la tempête. Mon corps, je ne le sentais plus d'un poil. Tout ce que je ressentais, c'était un énorme fourmillement. Et comme si cela ne suffisait pas, des feux Saint-Elme s'allumèrent autour de moi, me donnant encore plus l'impression que je n'était plus rien d'autre que foudre, perturbations électriques, énergie et discorde aqueuse.
Je n'en pouvais plus. Quand je regardais en l'air, les gouttes me frappaient les globes à un rythme effréné, m'empêchant de voir et même d'ouvrir les yeux. Je n'entendais plus rien, tant le tonnerre grondait autour de moi ; je ne pouvais plus que discerner le feu du ciel que par les flashes à travers mes paupières. J'avais entendu parler de Catatumbo, le lieu où la foudre frappe le plus souvent, là où les éclairs apparaissent environ 150 nuits par an. Est-ce là que le portail nous menait ? Pourquoi Zeus avait-il subitement décidé de déchaîner tout le produit fulgurique annuel de Catatumbo en quelques secondes ? Pourquoi moi ? C'est comme si j'avais été élu des dieux... Après tant d'années, le Dieu de la Foudre a enfin daigné répondre à mes prières...
C'est dans cette pensée que je m'effondrai dans la marée qui stagnait sur le sol. Epuisé, incapable de me relever, je n'avais plus d'autres choix que de me laisser noyer, emporté par le chaos qui m'a toujours fasciné...
Quelle ironie...
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