3 - Saint-Tropez
Les yeux rivés au plafond, je reprends ma respiration, les doigts allant et venant mécaniquement dans le dos de ma conquête d’un soir. Pendant qu’elle couvre mon torse de baisers, je repense pour la millième fois à ma dernière discussion avec Julia. Ses choix de vie radicaux ont mis en lumière la vacuité des miens. Pendant des années, je me suis persuadé que je ne disposais pas d’options différentes alors que j’en ai toujours eu. J’ai embrassé un destin qui ne me correspond pas, tout seul, comme un grand, et maintenant, j’ai l’impression d’être foutu.
— Dis, bébé, c’est quand que je monterai sur un de tes yachts ? me demande la belle blonde, lovée au creux de mes bras.
Encore et toujours la même question… au moins, celle-ci a attendu que je retire la capote, c’est déjà ça.
— Ce ne sont pas les miens, soupiré-je.
— Mais tu es capitaine, donc c’est un peu le cas.
— Je ne fais que les piloter.
— D’ailleurs, comment ça marche ?
Comme si j’avais envie de me lancer dans un cours de navigation juste après avoir baisé… je me mords la langue pour éviter des paroles blessantes.
— Avec un… un joystick.
— Tu m’apprendras ?
— Euh… ouais, un jour.
— Quand ?
Putain, j’en ai ma claque ! Je bondis hors du lit, me rhabille. Je ne refuse jamais les discussions post-sexe, mais je reste très sélectif en la matière et clairement, mademoiselle ne m’inspire pas.
— Tu vas où ?
— On part tôt, demain matin.
— Pourquoi tu ne dors pas ici ?
Parce qu’à part ton corps de rêve, tu ne m’intéresses pas !
— Je dois finir deux trois trucs avant, éludé-je.
— À minuit ?
— Oui.
Je ne m’étale pas et quitte l’appartement en la saluant à peine. Pas hyper galant, je sais, mais ça vaut toujours mieux que mon hypocrisie habituelle.
Malgré l’heure tardive, le port grouille encore de touristes qui se pressent pour admirer les navires. Le Serenity est calme, les clients sont sûrement en train de claquer un smic par minute dans un bar branché de la ville. Tant mieux, pas envie de socialiser. Je grimpe directement au poste de pilotage, m’enferme pour m’isoler du brouhaha extérieur.
Je décroche le micro, lance un appel.
— Ô Capitaine, mon Capitaine ?
Aucune réponse. Julia doit dormir, évidemment. La fatigue de mener un voilier n’est pas la même que de tripoter deux manettes le cul au fond d’un fauteuil. Je m’apprête à quitter la cabine quand une voix sort du haut-parleur.
— On a des insomnies ?
— En quelque sorte, souris-je en m’installant. Comment tu vas ?
— Au top, je suis allongée sur le pont à regarder les étoiles.
— Tu as bien avancé, aujourd’hui ?
— Pas vraiment, Éole n’a pas été très conciliant. Je me suis arrêtée en baie de Cavalaire. Et toi ?
— Saint Trop’.
— Ah, voilà donc la raison de ta présence à cette heure si tardive, tu sors de boite !
— Ce n’est pas trop mon style, les boites de nuit.
— Et c’est quoi, ton style ?
— Allongé sur le pont à regarder les étoiles, ça me convient mieux.
— Le Serenity a assez de place pour ça, non ?
— Ça n’a pas la même saveur que sur un voilier au mouillage.
— Rejoins-moi, j’ai assez de place pour deux.
— C’est une invitation officielle ?
— Oui, mais purement intéressée ! Je ne pense qu’au côté pratique de disposer d’un capitaine à bord.
— L’aube a une capitaine.
— Alors un second. Je me vois déjà donner des ordres, un peu à la Jack Sparrow ! Briquez le pont, moussaillon !
Elle lance un rire qui déclenche le mien. Sa bonne humeur communicative me plaît.
Après avoir discuté de tout et rien pendant un long moment, nous nous quittons, à contrecœur, me concernant. L’envie d’accepter son invitation me tente, mais je ne dois pas rêver, Julia n’a pas besoin d’un pseudo-navigateur qui pilote un yacht aseptisé.
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