Il existe les besoins vitaux que l'on classe souvent au nombre de six dans la philosophie, même si cela reste contestable comme pour tout. Le besoin de respirer, de boire, de manger, d'éliminer, de sexe, et de dormir.

Je me rappelle que le jour où le professeur a expliqué cela, un garçon plein d'ardeur a levé la main.

• Et le bonheur ?

Le professeur a répondu qu'il ne s'agissait pas d'une nécessité. J'ai levé la main quasiment aussitôt, en criant presque :

• Bien sûr que si ! Pour quoi d'autre vit-on si ce n'est pour être heureux ?

Le professeur a levé vers moi des yeux hagards et cernés. Il semblait hésiter, se demandant s'il valait la peine de gaspiller de la salive et de l'air. L'année venait de débuter, peut-être y avait-il quelque chose de semblable à une résolution d'alcoolique qui le poussa à engager le combat. Les résolutions d'alcooliques font risquer les choses les plus absurdes. Toujours est-il qu'au terme d'un débat qui dura quasiment toute une année, il baissa les bras.

• Il y a le bonheur que les hommes sages ressentent en complément de leur recherche. Quelque chose qui auréole la renonciation à la satisfaction de tous les désirs. Mais ce n'est pas le moteur véritable de tout ceci, on ne devient pas un homme de science pour le plaisir... On prend le chemin de la recherche uniquement pour le savoir.
• Et le fait d'arriver au savoir rend heureux. C'est encore le bonheur qui se cache derrière cela Monsieur, l'homme de science ne cherche que pour avoir le plaisir de trouver.

Lucrèce m'aurait-il contredit ? Certainement. Le professeur m'a-t-il approuvé ?

• Je ne parviendrais pas à vous l'expliquer.

Certainement pas.

C'est peut-être quelque chose qui doit se ressentir avec l'expérience, les années et la déception qu'offrent les rêves qui ne se réalisent pas. Nous ne vivons pas pour être heureux. C'est peut-être la raison pour laquelle il a baissé les yeux devant la naïveté de toutes ces jeunes âmes qui espéraient qu'il mente, qu'il réponde que la vie était douce et ne pouvait s'épanouir sans joie. La raison pour laquelle tout s'est terminé comme une tragédie morte avant d'être seulement achevée. Une porte violemment claquée, brutalement, méthodiquement. Définitivement.

• Cette année a été décevante, non ? On pensait qu'il y aurait quelque chose au début, un feu ou une explosion, on ne savait pas trop. Ça paraissait bien, mais il n'y a rien eu.

Il a fermé la porte à clé sans répondre. Cela faisait un moment, déjà, qu'il ne répondait plus.

On le sentait quasiment au point de pouvoir le toucher. Mais nous n'avons fait qu'attendre ce quelque chose qui jamais n'est venu.

Le 2 Septembre 2019