L'ombre
Elle suit chacun de mes pas, pleine des traumatismes d'hier, chargée des peurs de demain. Enchaînée à mes foulées, atteinte de coups que je ne sens plus, souffrant dans ce monde de peurs qu'il faut taire, elle reste silencieuse de blessures inguérissables.
Plus le soleil est fort, et plus elle sombre. Je vais marchant tandis qu'elle s'avoue tremblante et fatalement présente. Cette pauvre chose blessée se couche misérablement quand la lumière s’étiole, honteuse d’être triomphante.
Les cernes en sont l’immanquable symptôme, habillement d’un visage hâve, pâle et misérable. Elle n’est pas exactement seule. Se superposent à sa faible silhouette d’autres qui lui sont semblables. Elles ne peuvent pourtant l’intensifier, ni la renforcer.
Ma vie est faite de ces fantômes, spectres successifs qui passent et que je ne peux retenir. Souvenirs amers et doux par lesquels l’on se construit, et que l’on croit vouloir dire quelque chose. Jalons d’une mémoire poétique morte.
Significations absentes dans des joies consumées, inutiles et douloureuses à remémorer. Éternelles chimères qui resteront comme autant d’étapes de construction d’une maison qui ne tient qu’à de fragiles sommets successivement montés les uns sur les autres.
Éclats de contes mensongers, mythe d’un être-au-monde au demeurant profondément absurde. La fiction cherche à nous faire croire à l’inéluctabilité des fins heureuses, de l’avenir doré, du soleil après la pluie.
Il devrait être déclaré criminel d’élever des êtres, de les acheminer comme des bêtes à l’abattoir sous le joug de la croyance en l’espoir, au bien-fondé de ce qu’il arrive. Soyons vrais et élevons-les à être prêts, à se battre, à survivre, cruellement.
L’ombre est parfois brisée, d'un corps resté débout.
Le 16 décembre 2023
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