Protestation
J’ai en horreur les gens qui se plaignent et jacassent sans arrêt de tracasseries au sujet desquels ils ne font rien, car il me semble que ces gémissements sont à la fois source d’irritation et d’assurance pour ces êtres qui se goinfre de paroles et d’attention, accrochant, telle une tique rusée, le moindre événement anodin de leur existence misérable et insignifiante à une oreille compatissante et attentive qui saura accepter sans un seul soupir d’exaspération de partager leur monotonie quotidienne : en effet, en parasitant sans vergogne et avec une jalousie enfantine la pauvre victime (vous avez certainement déjà entendu le sempiternel « Tu es la SEULE personne à me comprendre »), ils déballent sur elle un flot continu de péroraisons tout en refusant avec entêtement et une adresse sans pareille d’y changer quoi que ce soit pour la simple raison qu’ils font leur bonheur de l’attention et des paroles qu’ils reçoivent de leur bienfaiteur (foin des conseils qu’ils n’utiliseront surtout pas puisqu’ils seraient alors en mesure d’améliorer leur situation, ce qu’ils refusent catégoriquement) et qu’ils n’y voient donc pas une argumentation pour modifier leur expérience; or, ils pourraient « tuer » l’attention de leur victime mais, en bon parasite, ils savent mesurer leur intervention avec une justesse dont ils n’ont pas toujours conscience - une mine piteuse, une lèvre tremblante et un trémolo dans la voix quand ils disent que ça va bien aller et qui nous font hésiter entre leur faire un câlin ou les jeter aux crocodiles - ils savent ruser et permettre à leur victime d’extérioriser ses propres frustrations d’un élan généreux qui commence souvent par un « Tu dois sûrement me comprendre! » qui mène invariablement aux regrets et aux plaintes de la victime, relançant ainsi le cycle des infortunes de la vie quotidienne.
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