Chapitre 6 : Retour à la réalité
Le dimanche se passa sans accroc pour toutes les deux, comme un jour de répit suspendu dans le temps.
Malgré cela, un week-end, n'est jamais interminable, alors que le lundi se réveilla doucement de son rayon de soleil. La routine s’installa progressivement, surtout pour moi, qui venais tout juste d’arriver. En ce lundi matin, je me réveillai avec les premiers rayons de soleil qui traversaient la fine couche de rideau de ma chambre, inondant la pièce d’une couleur dorée. Je me levais alors avec une certaine lenteur, cette lourdeur propre aux débuts de semaine, et entreprenais de me préparer pour une nouvelle journée de travail.
Ce week-end, j’avais tenté de ne pas trop penser à ce qui s’était passé vendredi dernier. J’avais repoussé ces souvenirs inconfortables dans un recoin de mon esprit, m’efforçant de profiter de chaque moment de tranquillité que le dimanche avait à offrir. Mais à présent que je m’apprêtais à retourner au travail, cette tentative d’oubli s’avérait totalement inutile. Le simple fait de reprendre le chemin du bureau faisait ressurgir en moi une multitude d’interrogations, de doutes, et d’incertitudes dans mon esprit. Ces pensées, que j’avais tenté de fuir, revenaient en force, me submergeant de leur poids. Je ne pouvais m'empêcher de me demander comment j’allais affronter cette semaine, sachant que les souvenirs de ce vendredi persistaient, comme une ombre planant au-dessus de ma tête.
Malgré les vilaines pensées qui tournaient dans mon esprit, je m’efforçai de suivre ma routine matinale.
Sous l’eau chaude de la douche, j’essayais de chasser ces sombres réflexions qui s’accrochaient à moi. L’eau ruisselait sur ma peau, lavant au passage les restes de sommeil et les traces de fatigue, mais ne parvenait pas à emporter avec elle le poids de mes pensées. Après la douche matinale, je me maquillai légèrement les yeux et appliquai avec délicatesse une pointe de rouge à lèvre rouge. Enfin, j’enfilai une tenue assez classique avec un jean et un sweat beige. Décidée à reprendre le contrôle de ma journée, je renouai avec mes habitudes d’avant, celles qui m’apportaient un semblant de stabilité. Je quittai l’appartement de bonne heure, avant que la ville ne s’éveille complètement. Le parc, situé à quelques pas de l’immeuble, m’appelait avec son calme matinal et la promesse d’un court répit. Je pris le chemin qui y menait, m’arrêtant en route au Starbucks du coin pour m’offrir un café, ce rituel depuis quelques jours, me réconfortait autant qu’il me réveillait. Je souhaitais ardemment profiter des premiers rayons de soleil, de cette lumière douce qui baignait le parc à cette heure de la journée. C’était un instant que je chérissais, où je pouvais être seule avec moi-même, sans personne pour troubler cette solitude apaisante. Seules les silhouettes discrètes des joggeurs matinaux traversaient parfois mon champ de vision, leurs foulées régulières marquant le rythme tranquille de ce début de journée.
Puis l’heure vint où je devais me rendre au travail. Ce moment que j’avais tenté d’oublier, de repousser par tous les moyens, se présentait désormais devant moi avec certitude. Le trajet vers le bureau se déroula comme dans un brouillard, mes pensées s’entrechoquant entre l’angoisse et une étrange résignation. Mais lorsque je me retrouvai devant le bâtiment imposant de SkyCorp, une vague de panique monta en moi avec une force que je n’avais pas anticipée. Mon souffle devint court, mon cœur s’emballa, et l’impression étouffante de ne plus pouvoir bouger m’envahit.
Je sentis le sol vaciller sous mes pieds, comme si le monde autour de moi s’effondrait. La vision de cette tour de verre et d’acier, qui m’avait toujours semblé si ordinaire, prit soudain des proportions monstrueuses, un obstacle insurmontable que je ne me sentais plus capable de franchir. Chaque fibre de mon être me criait de fuir, de tourner les talons et de m’éloigner aussi vite que possible. Pourtant, au moment où j’étais sur le point de céder à cette impulsion, mon regard croisa celui des personnes rassemblées à l’extérieur, quelques collègues fumant leur cigarette matinale. Leur présence, si banale en apparence, me ramena brutalement à la réalité.
Je savais que je ne pouvais pas laisser la panique prendre le dessus. Je ne voulais pas attirer l’attention, devenir le centre des regards inquisiteurs, ou pire encore, susciter des questions auxquelles je n’avais aucune envie de répondre. Je pris une profonde inspiration, forçant mon corps à se détendre, à retrouver un semblant de calme. Chaque mouvement que je faisais pour me composer une apparence de normalité était un effort immense, mais je parvins, contre toute attente, à me reprendre. Sous le regard indifférent des fumeurs, je fis un pas, puis un autre, et traversai finalement l’entrée de SkyCorp, le cœur battant encore à tout rompre, mais décidée à ne rien laisser paraître.
En prenant une profonde inspiration, je franchis les portes du hall d’entrée. L’air climatisé m’accueillit avec une fraîcheur presque rassurante, et tout semblait se dérouler comme d’habitude. Les employés allaient et venaient, absorbés par leurs propres préoccupations, sans prêter attention à ma présence. Pourtant, à mesure que je m’approchais de l’ascenseur, une série de flashs violents traversa mon esprit, des éclats de mémoire qui me frappaient de plein fouet, m’arrachant à ma façade de calme.
Ces souvenirs remontaient à la surface avec une clarté troublante : des fragments de moments partagés, ses regards, ses paroles... Je sentis mon cœur s’accélérer à nouveau, menaçant de trahir l’apparence de sérénité que j’avais tant de mal à maintenir.
Je ne pouvais pas me permettre de flancher, pas maintenant. Si je laissais ces pensées incertaines m’envahir, elles finiraient par me consumer, par empoisonner chaque journée jusqu’à la fin de ma période de formation. Il fallait à tout prix que je reste indifférente, que je conserve une attitude neutre, impénétrable. Je devais lui prouver ainsi qu’à moi-même, que rien de tout cela ne m’atteignait. Peu importe ce qu’ils pourraient dire où penser, peu importe les rumeurs ou les regards en coin, je devais me montrer forte, inébranlable. Je devais leur faire croire que rien ni personne n’était en mesure de m’ébranler. C’était la seule façon de me protéger, de garder la tête haute, de traverser cette épreuve sans me laisser submerger.
Je pénétrai dans l'ascenseur et restai immobile, les yeux rivés sur le chiffre qui indiquait chaque étage. Le trajet me sembla interminable, chaque seconde s’étirant comme si le temps lui-même s’amusait à me torturer. Lorsque l’ascenseur finit par s’arrêter à mon étage, les portes s’ouvrirent avec un léger tintement. Je sortis, essayant de garder une démarche assurée, et me dirigeai d’un pas rapide vers mon bureau. En chemin, je lançai un bonjour poli à la secrétaire de M. Sky, tout en évitant soigneusement de croiser son regard.
Dès que j’atteignis mon bureau, je fermai la porte derrière moi avec un soupir de soulagement. Une vague de détente me submergea. Heureusement, les volets qui séparaient mon bureau du sien étaient fermés. Je n’avais aucune vue sur celui-ci et sa personne et contre toute attente, je n’avais pas croisé sa route dans les couloirs, et aucune remarque désobligeante ne m’avait été adressée. Pour l’instant, tout se déroulait sans accroc, et cette pensée me donna un bref instant de répit.
Je me laissai tomber sur ma chaise, la sensation familière du cuir sous mes doigts m’apportant un certain réconfort. Allumer mon ordinateur devint un geste presque automatique, un moyen de m’ancrer dans la routine. L’écran s’illumina, et je cliquai immédiatement sur l’icône de ma messagerie, prête à me plonger dans le flot quotidien des courriels. Mais en parcourant les premiers messages, je ne trouvai rien de pertinent, juste des publicités envahissantes et des offres sans intérêt qui encombraient ma boîte de réception. Je cliquai sur chacun d’eux avec une lassitude grandissante, les supprimant sans la moindre hésitation.
C’est alors que, sans prévenir, une tête inconnue apparut dans l’entrebâillement de ma porte, interrompant ma tranquillité. La personne, que je n'avais jamais vue auparavant, sembla hésiter un instant avant de prendre la parole. Un frisson de curiosité, mêlé d’appréhension, me parcourut tandis que je me préparais à découvrir qui était cet intrus et ce qu’il pouvait bien vouloir.
— Bonjour ! Je suis Marco du département « Service Client », est-ce que tu veux prendre un café avec le reste du troupeau ? Lança-t-il d’un ton léger, un sourire au coin des lèvres.
— Pourquoi pas ! Je te suis ! Répondis-je sans hésitation, me levant de ma chaise pour le rejoindre. Après tout, un café ne pourrait que me faire du bien et m’aider à me détendre un peu.
Nous prîmes l’ascenseur ensemble, échangeant quelques mots banals tandis que nous descendions vers la cafétéria de l’entreprise. En arrivant, je remarquai un petit groupe déjà installé autour d’une table, plongé dans une conversation animée.
— Ah, voilà la nouvelle ! S’exclama un homme d’une trentaine d’années dès qu’il m’aperçut.
— Euh…Bonjour tout le monde ! répondis-je, un peu intimidée par leur accueil enthousiaste.
— Victoire, laisse-moi te présenter les membres de notre petite bande, commença Marco, le collègue qui m’avait invitée. Alors, voici Matt, enfin Mathieu pour être exact. C’est un gars sérieux, mais ne te fie pas trop aux apparences : il a un sens de l’humour bien à lui.
Matt hocha la tête avec un sourire en coin, confirmant les paroles de Marco.
— Ensuite, il y a Lucas, continua-t-il en désignant un homme à l’air taciturne, un peu en retrait. Lucas est plutôt du genre sombre, ténébreux… Mieux vaut ne pas le chercher sinon il te trouvera avant que tu ne t’en rendes compte.
Lucas se contenta d’un léger sourire, ses yeux exprimant une profondeur mystérieuse qui me donna envie de comprendre ce qui se cachait derrière cette façade.
— Et voilà Josh, le clown de service, ajouta Marco en pointant du doigt un homme qui riait déjà, comme s’il savait qu’on parlait de lui. Toujours à sortir des blagues de mauvais goût, mais bon, on fait avec.
— Quoi !? Qu’est-ce qu’elles ont mes blagues ? Protesta Josh en feignant l’indignation.
— Rien, rien du tout ! Tes blagues sont parfaites, comme toujours, répondit Marco en me lançant un clin d’œil complice.
— Pff, tu ne sais même pas apprécier mon humour ! Dit Josh en simulant une moue boudeuse qui déclencha des rires autour de la table.
— Bon, et voici le reste de la troupe, enchaîna Marco. Là, c’est Marianne, la toute-puissante. Attention à elle, mieux vaut éviter de s’attirer dans ses filets, sinon elle ne te lâchera plus.
— Ah, c’est la petite peste du groupe, en gros ? Plaisantai-je, me laissant emporter par l’ambiance détendue.
— Je t’aime bien, dis donc ! Répondit Marco en ébouriffant mes cheveux avec un sourire taquin. Oui, en gros, c’est ça.
— Il doit y avoir une drôle d’ambiance quand elle est dans les parages, ajoutai-je en riant.
— Tu n’imagines même pas, répondit-il en rigolant à son tour.
— Et enfin, voilà Sophie, le petit dernier avant toi, continua Marco en désignant une jeune femme qui me souriait chaleureusement. Elle est super sympa, je suis sûr que vous allez bien vous entendre toutes les deux.
— Oui, il y a de fortes chances qu’on devienne amies, acquiesçai-je, sentant déjà une affinité naturelle avec elle.
— Et pour finir, il y a moi, le “chef” autoproclamé de cette joyeuse troupe, conclut-il en se donnant un air faussement important. Si tu as besoin de quoi que ce soit ou si tu as des questions, n’hésite pas. Je serai toujours là pour venir à la rescousse d’une jeune demoiselle en détresse, dit-il avec un sourire charmeur.
— Euh… D’accord, répondis-je, un peu déconcertée par son ton légèrement théâtral.
— Allez, allons boire ce foutu café ! Lança-t-il finalement, levant sa tasse comme pour sceller notre rencontre.
Je me joignis à leur table, sentant petit à petit une certaine chaleur humaine m’envelopper, une camaraderie naissante qui, je l’espérais, m’aiderait à traverser cette période incertaine.
Pendant le reste de la demi-heure, nous avons bu le reste du café avec les viennoiseries que la cuisinière nous a gentiment données.
La porte de la cafétéria retentit soudain et Brandon en sortie. Je détournais la tête pour ne pas croiser son regard. Mes mains sont chaudes et moites. Mon cœur tambourine fort dans ma poitrine.
Je sens la présence de Brandon derrière moi comme s’il attendait une réaction de ma part, mais je restais statique.
— Est-ce que je peux te parler une minute Victoire, s’il te plaît ? Me dit Brandon.
— Euh… Oui bien sûr. Lui dis-je tout en le suivant et pas très sûr de moi.
Je le suivis jusqu’à son bureau où le souvenir de cette nuit me revient en mémoire.
— Voilà. Commença-t-il gêné. Ce qui s’est passé vendredi soir était une énorme erreur. Je ne sais vraiment pas ce qu’il m’a pris et je te demande de bien vouloir m’en excuser.
Alors là, j’étais carrément médusé. Je restai cloué sur place tellement que c’est propos mon abasourdi. Je ne savais vraiment pas quoi dire. Je suis soulagée de sa réaction, je savais qu’on avait quelque chose de mal, que ça ne devait pas se reproduire.
— Ne t’en fais pas Brandon, sais tout oublier pour moi. Ce n’était qu’un petit moment de faiblesse et ont cédé à nos pulsions. Ne t’en fais pas, cela n’arrivera plus, je t’en fais la promesse. Lui dis-je, alors qu’au fond de moi, un poids énorme s’était volatilisé de mes épaules.
— Bien, comme c’est réglé, je t’ai envoyé un mail concernant le travail que tu as à faire aujourd’hui.
Je retournais jusqu’à mon bureau et consultai mes mails. En effet, je vis plusieurs messages de Brandon m’indiquant le travail à fournir pour aujourd'hui.
Durant toute la journée, je me suis mis à travailler d’arrache-pied pour satisfaire au mieux les clients et ne pas perdre trop de temps sur les nouveaux projets à venir.
Vers 19 h 30, alors que la nuit enveloppait déjà la ville, j’éteignis mon ordinateur, marquant la fin d’une longue journée de travail. Je pris le temps de classer méticuleusement mes derniers dossiers clients, mon esprit flottant entre la satisfaction du devoir accompli et une fatigue pesante qui commençait à s’installer. Mon regard se tourna instinctivement vers le bureau de Brandon, mais les lumières étaient éteintes depuis un moment déjà. Il avait dû partir bien avant moi, me laissant seule dans l’immensité silencieuse de l’étage. Un soupir s’échappa de mes lèvres tandis que je m’étirais, basculant ma tête en arrière pour détendre mes muscles raides.
Je me levai enfin de ma chaise, un peu engourdie, et attrapai mon gros manteau sur le porte-manteau. Le froid de l’hiver s’était glissé dans les murs, rendant la perspective de sortir encore plus désagréable. Je récupérai également mon sac à main et me dirigeai vers la porte. En sortant de mon bureau, je fus frappée par le silence oppressant qui régnait dans les locaux. Les couloirs, habituellement animés par les allées et venues
des employés, étaient désormais plongés dans l’obscurité. Seules les lumières de sécurité projetaient de longues ombres inquiétantes sur les murs.
Je marchai vers l'ascenseur, chaque pas résonnant sinistrement dans ce silence total. L’atmosphère était lourde, presque suffocante, et le bruit mécanique de l’ascenseur qui descendait ne faisait qu’amplifier mon malaise. Mon cœur battait à un rythme irrégulier, trahissant une angoisse que j’essayais de contenir. Lorsque l’ascenseur arriva enfin, le tintement de la clochette me fit sursauter violemment, mes nerfs déjà à fleur de peau. Je m’extirpai presque précipitamment de la cabine métallique, et me forçai à marcher lentement dans les couloirs de l’entreprise, tentant de reprendre le contrôle de moi-même.
Mais alors que je me dirigeais vers le grand hall d’entrée, une sensation d’oppression m’envahit soudainement, me glaçant le sang. Je m’arrêtai net et me retournai brusquement, scrutant l’obscurité derrière moi. Rien. Il n’y avait personne. Mon cœur battait encore plus fort, chaque pulsation résonnant dans mes tempes. Je secouai la tête, essayant de me convaincre que je me faisais des films, que c’était seulement l’effet du silence et de la solitude. Je devais vraiment arrêter de me faire peur toute seule.
Je repris ma marche, atteignant finalement la porte d’entrée. Je l’ouvris et sortis, mais à peine avais-je mis un pied dehors qu’un courant d’air glacé me frappa de plein fouet, me faisant frissonner de la tête aux pieds. L’atmosphère à l’extérieur était tout aussi oppressante, presque glauque, comme si quelque chose d’invisible pesait sur mes épaules. Une étrange sensation de présence me fit frémir, comme si quelqu’un se tenait juste derrière moi. Instinctivement, je baissai les yeux pour regarder mes chaussures, espérant trouver un point de repère rassurant, mais à la place, je vis une grande ombre noire se dessiner sur le sol devant moi.
Le souffle coupé, je me retournai précipitamment, le cœur prêt à exploser. Ce que je vis me foudroya sur place, me paralysant de stupeur. Une silhouette se tenait là, sombre et menaçante, se découpant dans la pénombre de la nuit. Mon esprit tenta désespérément de comprendre, de trouver une explication rationnelle, mais rien ne semblait logique.
La terreur me saisit, me clouant sur place, incapable de bouger ou de crier.
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