VII - La mère
La Solange, c’est comme cela que tout le monde l’appelle.
Marque de respect pour beaucoup.
75 ans.
Elle en a vu des choses. Des belles, des pas belles.
Et ce soir, elle a de la peur qui tenaille son estomac.
Comme tu es rangée ma pauvre Charlotte. Jour après jour tu te fanes. Je t’ai connue belle et gaie pourtant.
Il y a longtemps maintenant.
Elle a eu deux fils.
Elle leur a donné de l’affection, de l’amour.
En quantité égale.
C’est ce qu’elle dit à qui veut l’entendre.
Et pourtant.
Tu as rencontré le Vincent en premier, ma fille. Le destin est parfois mal inspiré.
Et pourtant, son cœur la porte naturellement vers Guillaume.
C’est vrai qu’elle a une préférence pour celui-là.
Guillaume lui ressemble.
Guillaume lui rappelle des souvenirs.
J’ai glissé dans un abyme quand, il y a vingt ans, Vincent m’a annoncé que Guillaume devait quitter la ferme. Le coeur brisé J’ai donné mon accord. Il était impensable qu’un de mes fils prenne la femme de l’autre.
Car la Solange connaît tout de l’histoire de ses fils.
La mère a les oreilles.
La mère a les yeux.
Mais la mère se tait. Et c’est pourquoi elle a la confiance de tous.
Il n’y a qu’un imbécile pour ne pas s’apercevoir que Pauline a les traits de Guillaume.
Son silence est complice de ce qui se passe dans la ferme.
Elle le sait.
Mais l’honneur de la famille passe avant tout.
C’était ce qu’elle croyait bien de faire. Son devoir.
C’était.
Je t’aime Charlotte. Je crois me revoir.
Et tu n’es plus que l’ombre de toi-même.
– Partir, Solange ! Pour aller où ? Et je ne sais rien faire.
– Es-tu certaine que personne ne voudra de toi ?
Depuis vingt ans, je suis en contact avec Guillaume. Je voulais le revoir. Ma vie approche de son terme. L’anniversaire de Pauline a été une occasion pour lui demander de revenir. Pour un jour.
Pour deux jours.
Pour toujours, je voulais.
– Qui voudrait de moi ? Une femme paumée sans le sou.
– Il faut rester optimiste et je t’aiderai.
Est-ce qu’à l’époque j’aurais du partir avec le collecteur de lait ? Il ne sait même pas que je lui ai donné un fils !
– M’aider Solange ? Vous qui avez toujours protégé votre famille des qu’en-dira-t-on ! Pourquoi aujourd’hui ?
– Disons que l’âge porte conseil.
Des remords qui s’accumulent, des souvenirs qui remontent.
Des regrets.
De la culpabilité.
Je dois mettre de l’ordre dans ma vie.
– Je ne peux abandonner Pauline. Vincent ne la laissera pas partir.
– Pauline va bientôt voler de ses propres ailes.
– Vincent va me harceler.
– Vincent m’obéira.
Solange semble certaine de son autorité.
Des nuages noirs s’accumulent sur la maison. Me suis-je trompée quand j’ai refusé à Guillaume qu’il emmène Charlotte ?
– Pour aller ou ?
– Quelqu’un t’attend.
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