Chapitre 16
Iznarum
Noria et Ozia s’approchaient d’Iznarum d’un pas tendu. Autour d’elle, les champs semblaient morts depuis bien longtemps. Les plantes flétries luisaient d’une légère lueur rouge qui bravait l’obscurité, les guidant sur un chemin sinistre jusquaux premières maisons d’Iznarum. La nature reprenait ses droits sur les murs de pierres envahis de mousses et de lianes. En passant entre deux d’entre bâtiments, les deux Titanomancienne arrivèrent au milieu d’une rue pavée.
Aucun cadavre en vue, comme si la ville n’avait jamais été habitée. Pas le moindre bruit parvenait à leurs oreilles. Des tentacules tâchetés de croûtes ouges sortaient du sol par endroit, traversaient certaines maisons, et terminaient leur course dans les cieux. Un spectacle incroyable dont Noria n’avait jamais assisté. Une brume vermaille émanait de ces plaques ressemblant à des blessures.
– C’est quoi tout ça ? demanda-t-elle.
Elle espérait qu’Ozia en sache davantage, mais au vu de ses grands yeux ébahis, ce n’était pas le cas.
– Honnêtement, je n’en sais rien, avoua Ozia. On dirait de la corruption, non ?
– Tu crois ?
– J’ai l’impression qu’il s’agit d’essence.
Noria s’en approcha. Elle aurait bien aimé y toucher pour voir de quoi il s’agissait, mais le danger la rabroua. Sa mauvaise idée la poussa à s’écarter de cette chose, alors qu’elle observait les alentours à la recherche de ses autres amis, mais visiblement, ils n’étaient toujours pas sortis de la forêt.
– Les autres sont encore là-bas… murmura-t-elle en se tournant vers les bois.
– On ne peut pas savoir, répondit Ozia. Ils sont peut-être ici, eux aussi.
Ses amis avaient-ils eux aussi des souvenirs aussi douloureux ? Dans un coin de son esprit, elle aimait à penser qu’ils avaient été transparent avec elle, contrairement aux secrets que Noria avait gardés. Néanmoins, le doute s’immisça dans son esprit et malgré la peur qui lui collait au ventre, elle emboita le pas d’Ozia déjà partie s’aventurer dans la rue.
Elles passèrent devant une série de commodités délabrées, abandonnées. Autrefois, la ville devait être prospère. La population pouvait se rendre dans les divers restaurants qui bordaient l’allés, ainsi que les nombreux magasins divers et variés. Mais maintenant, il s’agissait lus d’une ville fantôme dépourvue du moindre cadavre. Comment était-ce possible ? Pourtant, tant d’aventuriers avaient tenté de la trouver pour y dénicher des trésors enfouis. L’épreuve de la forêt était déjà difficile en soi, et comme l’avait souligné Ozia, qui sait ce qu’il se passait si on s’endormait dans cet endroit ?
– Regarde, je crois que c’était l’auberge. Déclara Ozia en tendant le doigt.
La jeune femme s’avança devant une bâtisse en ruine, dont il ne restait plus que le panneau en fer représentant un lit. Noria ne se sentait pas à l’aise de dormir à l’intérieur, mais elle était harassée.
– On va vraiment passer la nuit ici ? demanda Noria.
Ozia haussa les épaules.
– Tu as une meilleure idée ?
– Pas vraiment…
Ozia lui fit signe de la suivre et elles pénétrèrent dans le bâtiment. En poussant le battant, le grincement de la porte perça le silence. À l’intérieur, aucune trace de lutte ou de combat n’étaient visible. Le comptoir, malgré la mousse et la poussière, semblait encore en parfait état. Il restait encore une sonnette et des papiers jaunits par le temps. Le tableau avec toutes les clés se trouvait toujours derrière. Comme si la population s’était volatilisée du jour au lendemain.
Les deux jeunes femmes grimpèrent l’escalier de bois sur le côté. Les lattes vétustes craquèrent sous leur botte. Une fois en haut, un tapis au sol cachait le plancher et étouffait le bruit de leur pas, tandis que Noria ouvrait chaque porte. Elle avait le fol espoir de retrouver un de ses amis dans le bâtiment, mais elle n’y décela que des chambres vides.
– On sera bien ici.
La voix d’Ozia, déjà bien loin dans l’allée, la ramena à la réalité. Noria courut la rejoindre, le cœur haletant. Elle ne voulait pas se retrouver à nouveau seule dans cet endroit maudit. Une fois dans la pièce, elle resta bouche bée face au choix de son compagnon.
Un lit double encandré de voiles poussiéreux digne des rois se trouvait au centre de la chambre. Baignée par la lueur rouge inquiétante venant des tentacules, Ozia en profita pour fouiller les différents meubles rongés par la mousse, malheureusement vides. Elle abandonna ses recherches et se laissa tomber dans le canapé qui se trouvait dans un coin. Elle posa les pieds sur la petite table et laissa échapper un long et bruyant soupir. Noria observa la ville par la fenêtre, à la fois horrifiée et curieuse. Les ruines de la ville s’étendaient au loin, détruite depuis des années, tandis qu’au loin, la brume rouge pâle s’étalait à la lisière de la forêt.
– Ne t’en fais pas, nous allons les retrouver, la rassura Ozia.
Noria resta figée sur le ciel. Aucune lune. Aucune étoile. Rien n’apparaissait à leurs yeux hormis un ciel devenu aussi sombre que les ténèbres, comme si cet endroit n’obéissait pas aux lois du temps et de l’espace. Comme si la vie elle-même avait abandonné Iznarum aux mains du Titan de la corruption.
Elle ne croyait pas Ozia. La peur de ne jamais revoir ses deux comparses la brûlait de l’intérieur. Ces deux amis lui manquaient et elle n’aimait pas les savoir en danger.
– Ne réfléchis pas trop. On verra demain ce qu’on peut faire, d’accord ?
Elle enviait Ozia et son calme olympien. Noria sentait son cœur battre à tout rompre en imaginant le pire. Et si Hirelda et Allen avaient subi les mêmes illusions qu’elle ? Avaient-ils réussi à survivre face à cette épreuve ? Si personne n’était revenu d’ici, c’était bien pour une raison.
Ozia se leva et se dirigea vers le lit. Elle secoua les draps pour en débarrasser la poussière.
– Fais chier ! C’est Kain qui a la nourriture, se plaignit-elle. J’ai faim et il n’y a rien à manger nulle part !
– On pourrait fouiller les maisons ? proposa Noria, en se tournant vers elle.
Ozia s’allongea sur le matelas.
– Tout doit être pourri. Il va falloir vite partir d’ici, on ne va pas tenir longtemps sans boire.
Noria n’y avait pas pensé, l’esprit embrumé par le sort de ses amis. Mais leur situation ne présageait rien de bon. Elle se mordit les lèvres, à la recherche d’une solution. Peut-être que la ville possédait un puits où elles pouvaient se ravitailler ? Avec un peu de chance, ils trouveront de la nourriture comestible, mais elle en doutait. Rien ne pouvait tenir autant d’années sans pourrir.
Elle s’allongea aux côtés d’Ozia. Les yeux déjà fermés, elle se laissa bercer par le sommeil après tant d’épreuves. Après tout ce qu’elle venait de vivre, Noria s’endormit aussi rapidement.
Noria se réveilla en pleine nuit, après avoir entendu un grincement dans l’auberge. Elle se redressa et scruta leur porte. Bien ouverte. Elle était pourtant sûre de l’avoir fermé la veille pour éviter d’être dérangée par quoi que ce soit.
En regardant de l’autre côté du matelas, elle remarqua l’absence d’Ozia. Son sang se glaça dans ses veines. La pièce était vide, sans la moindre trace d’elle. Elle se leva en trombe, attrapa le ceinturon et son arme qu’elle avait posés sur le côté, puis dégaina sa lame. D’un pas feutré, elle s’aventura silencieusement dans le couloir éclairé par les flots de lumière rouge qui sortaient par les portes déjà ouvertes.
– Ozia ? appela-t-elle d’une voix fébrile.
Personne ne lui répondit. Elle marchait d’un pas lent, scrutant chaque chambre avec attention. Ne voyant toujours personne, elle descendit les marches de bois qui craquaient sous ses pieds. Une fois à l’extérieur, elle se retrouva seule au milieu de la rue.
– Ozia ! cria-t-elle.
Elle vit, au loin, une ombre se mouvoir dans un restaurant. La main crispée sur son arme, elle s’avança vers cet inconnu, en espérant y trouver Ozia saine et sauve. Tout comme l’auberge, l’intérieur ne présentait aucun signe de lutte. La poussière et la mousse rongeaient les tables dont la vaisselle encore présente attendait des clients.
Un sanglot résonna dans la pièce. Noria se figea, gardant la lame près d’elle, comme pour se protéger de tout mal. Elle observa tous les recoins, à la recherche de la source des pleurs. À la lueur rouge passant par une fenêtre, Noria vit des pieds dépasser d’un coin sombre.
– Tout va bien ? demanda-t-elle.
Elle s’approcha, pas à pas, les yeux rivés sur cet étranger.
– Vous me manquez tellement… Pourquoi êtes-vous partis si tôt ?
Noria ouvrit la bouche, à la fois surprise et rassurée. Il s’agissait de la voix d’Hirelda. Elle s’empressa de la rejoindre et la trouva dans un piteux état. Recroquevillée par terre, elle se tenait les jambes, le corps tremblant. Des larmes ruisselaient sur ses joues, alors qu’elle regardait dans le vide en se balançant d’avant en arrière.
Noria rangea son arme avant de s’accroupir près de son amie. Elle posa une main sur son épaule, mais Hirelda sursauta pour la lui retirer.
– Hirelda, c’est moi.
Hirelda secoua la tête.
– Ce n’est pas réel… Sinon… Mes parents…
Noria s’installa face à elle. Elle ne savait rien de sa famille. Mais qu’avait-elle vu pour finir dans un état pareil ?
– C’est bien moi, Hirelda, la rassura-t-elle en lui prenant la main. Je suis là, tu n’es plus seule.
Cette phrase l’interloqua. Ses lèvres tremblotèrent, puis elle se mit à pleurer. Elle se jeta dans les bras de son amie et la serra fort contre elle.
– Noria… J’en peux plus, je veux rentrer.
Noria lui caressa le dos. Elle la laissa pleurer quelques instants avant de l’emmener à l’auberge où elle dormait. Toujours aucune trace d’Ozia, mais au moins, elle avait retrouvé une autre de ses amis.
Une fois dans la chambre, elle allongea Hirelda dans le lit. Alors qu’elle allait partir à la recherche d’Ozia, Hirelda lui demanda de rester. Un léger sourire au coin et Noria la rejoignit sur le matelat. Son corps blottit contre le sien, elle réussit à calmer ses tremblements en lui offrant tout le réconfort possible. Au vu de son état de choc, elle aurait aimé lui demander ce qu’il s’était passé, mais la Titanomancienne s’endormit paisiblement dans ses bras.
Le lendemain matin, Noria se réveilla la première. Et contre toute attente, Ozia dormait dans le canapé. Perplexe, elle la rejoignit et la secoua doucement. Après un grognement, Ozia sursauta et empoigna la main de Noria, prête à lui sauter dessus.
– T’es dingue, tu m’as fait peur !
– En parlant de ça, tu peux me dire où tu étais cette nuit ? demanda Noria d’un ton sec.
Ozia arqua un sourcil.
– Tu peux te calmer ? demanda-t-elle. Je n’aime pas vraiment le ton que tu emploies.
– Tu m’as laissée toute seule !
– Tu dormais, dit-elle en bâillant.
Ozia se leva et s’étira de tout son long.
– Ce n’est pas une raison, s’énerva Noria. Pourquoi es-tu partie ?
Ozia l’observa quelques instants.
– J’avais faim ! gronda la Titanomage de foudre. Et je n’ai rien trouvé à part de la nourriture avariée. Si on ne veut pas mourir, il va falloir au moins dénicher de l’eau. Ça te va comme réponse ? Ou tu veux que je te décrive chacun de mes pas ?
Noria ne prit pas la peine de répondre. Elle secoua la tête, lassée de son comportement. Elle dépassa Ozia sans faire attention à ses excuses pathétiques, puis s’agenouilla au chevet d’Hirelda.
– Elle va bien ? demanda Ozia.
– Ah ? Ça te préoccupe maintenant ?
Ozia croisa les bras.
– Tu me prends pour qui ? Bien sûr !
– Pour quelqu’un qui nous abandonne en pleine nuit.
– Oh, ça va, se plaignit Ozia en s’éloignant vers la fenêtre.
Noria caressa la chevelure verte d’Hirelda qui dormait paisiblement.
– Arrête donc de faire ta gamine, soupira Ozia.
Ce mot de trop l’énerva au plus haut point. Noria se releva et la rejoignit à la hâte. Sentant la colère de la Titanomancienne, Ozia lui fit signe de se calmer, mais rien ne pourrait l’arrêter.
– Moi ? La gamine ? répéta Noria. C’est toi qui n’arrêtes pas de nous repousser avec ton caractère de merde.
Ozia allait répondre, mais Noria la coupa :
– Non, c’est moi qui parle. Toi, tu te tais et tu écoutes ! Je sais qu’on a besoin d’eau et de nourriture, mais on est une équipe bon sang. Il faut qu’on s’entraide, pas disparaître du jour au lendemain comme bon te semble. Tu ne peux pas supporter les Titanomanciens parce que tu es recherchée ? Grand bien te fasse. Mais moi, je ne t’ai rien demandé ! Ni même de venir ! Alors si c’est pour m’emmerder comme tu le fais, va-t’en !
Noria resta face à une Ozia bouche bée. Elle détourna le regard, honteuse de s’en être pris autant dans la figure.
– Euh… les filles ? appela Hirelda.
Noria fit volteface, et passa d’une colère noire à une mine radieuse. Il ne lui fallut que quelques secondes pour faire les quelques pas jusqu’à son lit et la prendre dans ses bras.
– Vous ne pouvez pas vous disputer dehors ? Vous faites trop de bruit…
Hirelda lui tapota le dos. Noria était si heureuse d’avoir enfin retrouvé une de ses amis. Elle sentit un poids s’allonger au fond de son être, même si Allen et Kain manquaient toujours à l’appel. Après cette violente dispute, Noria ne se voyait pas arpenter les rues d’Iznarum en compagnie d’Ozia.
Hirelda se leva et s’étira. Son estomac gronda bruyamment.
– Vous n’auriez pas à manger, par hasard ? demanda-t-elle en se tenant le ventre.
Ozia haussa les épaules.
– Tout est périmé dans la ville. Il faudrait qu’on trouve un puits, on a besoin de boire.
– Et nos provisions ? s’étonna Hirelda.
– C’est Kain qui les a, soupira Noria.
Elles restèrent un moment en silence, accusant le coup.
– Ça n’aurait pas été plus intelligent d’avoir chacun les nôtres ? demanda Hirelda.
Noria et Ozia la dévisagèrent. La honte les submergea fa ce à la première bonne idée de la Titanomage. Personne n’avait pensé à prendre sa nourriture dans un sac, et maintenant leur sort dépendait de Kain. Laissant de côté cet instant gênant, les trois jeunes femmes s’aventurèrent dans les rues d’Iznarum.
Maintenant qu’il y avait suffisamment de lumière en ville, même si le soleil restait dissimulé derrière un ciel couvert de nuages, cela facilitait leur recherche. Ozia prenait la tête, avec un peu d’avance, comme si elle préférait s’écarter des autres. Dehors, aucun signe de vie en vue pour les aider à dénicher un puits, pas le moindre cris d’animaux, seul un silence morbide s’emparait de la cité. Noria se demandait toujours pourquoi Ozia voulait tant les accompagner, après tout, elle ne semblait pas les porter dans son cœur.
– Comment as-tu fait pour sortir de la brume ? demanda Hirelda.
Sa question raviva les souvenirs de son père. Automatiquement, elle détourna le regard pour scruter les bâtiments détruits par les tentacules. Elle préférait dissimuler son passé douloureux aux yeux de tous, ne voulant pas leur causer de problème. Hirelda était certes sa meilleure amie, mais comment lui avouer tout ce qu’elle avait subi ?
– Je ne sais pas trop, cacha-t-elle.
– Tu as vu des souvenirs horribles toi aussi ?
Noria l’observa du coin de l’œil. Son visage triste lui faisait tant de peine.
– Oui…
Elles restèrent silencieuses, ralentissent le pas pour qu’Ozia n’entende pas leur conversation. Bien qu’elle avait confiance en elle après lui avoir sauvé la vie, Noria n’était pas prête à lui confesser les moindres partielles de sa vie. Après tout, Ozia gardait son passé sous silence, comme ils le faisaient tous.
– Je… J’ai vu mon père.
Hirelda hoqueta de surprise.
– C’est un mauvais souvenir ça ?
Noria soupira, hésitante. Si elle commençait à s’ouvrir à Hirelda, elle allait être obligée de lui dévoiler son secret.
– Oui. Tu sais, je déteste mon père, avoua-t-elle, une boule dans la gorge. Il m’a forcé à apprendre la politique par tous les moyens, et il refusait que j’aie le moindre ami. J’ai passé mon enfance cloitrée dans un bureau. Pas d’anniversaire, pas de cadeau, pas de lecture le soir… Et s’il me surprenait en train de faire autre chose que de réviser, il me punissait… Sévèrement, je veux dire.
Hirelda resta sans voix. Elle ne savait rien de son passé, et de voir qu’elle avait tant souffert lui brisait le cœur.
– Désolée, je n’en ai jamais parlé, avoua Noria.
– Ce n’est pas grave. Je ne t’ai jamais parlé du miens non plus.
– Qu’est-ce que tu as vu toi ?
La question donna des frissons à Hirelda. Son regard balaya les alentours, comme pour essayer de fuir la conversation devenue trop gênante. Noria n’avait pas l’intention de la pousser à tout lui dire, aussi, elle continua ses recherches en évitant le sujet.
– J’ai revu mon enfance… avoua-t-elle. Je n’en ai jamais parlé, mais… Quand j’étais petite, mon village a été attaqué par des brigands. En voulant le défendre, mes parents sont morts sous mes yeux.
Noria, surprise, resta bouche bée face à cette révélation. Les traits tirés par la tristesse, Hirelda réprima un sanglot face à ses souvenirs douloureux.
– J’ai rejoint un clan de Titanomancien pour essayer de devenir plus forte, mais je n’étais vraiment pas doué. J’ai subi un bizutage particulièrement violent par les autres enfants. Et c’est le sage Gavion qui m’a recueilli, puis entrainé.
Noria ne savait pas comment son amie faisait pour vivre avec un tel fardeau. Elle ne pensait pas en découvrir autant. Pour la rassurer l’espace d’un instant, Noria passa son bras autour de ses épaules. Hirelda lui sourit, même si le chagrin s’emparait d’elle.
– Désolée, je ne t’ai jamais raconté tout ça. En vérité, j’ai déjà essayé plusieurs fois, mais je n’y parvenais pas.
Noria lui tapota le dos.
– Ne t’en fais pas, je ne t’en veux pas. Ça n’a pas dû être facile d’en parler aujourd’hui…
Hirelda soupira. Elle passa son bras sur les hanches de Noria.
– En fait, continua-t-elle. Ce que j’ai revu dans cette forêt m’a un peu poussé à en parler. Je garde ça depuis tellement longtemps…
Noria ne savait pas quoi dire pour lui remonter le moral. C’était un traumatisme vraiment important, et elle n’en connaissait que la partie émergée du problème. Elle pouvait essayer de lui demander plus de détail, mais ce n’était pas vraiment le moment de parler de tout ça. Elle préféra rester près d’elle, et lui dire qu’elle serait toujours là pour en discuter. Hirelda, hésitante au début, lui sourit et avoua qu’elle le ferait une fois qu’elles seraient sorties de ce cauchemar.
– Vous sentez ça ? demanda Ozia d’une voix forte.
Après avoir rejoint Ozia, Noria et Hirelda sentirent une odeur de viande grillée flotter dans les airs. L’estomac des filles gronda. Cela réveilla la faim qu’elles tentaient péniblement d’oublier. Il n’y avait pourtant aucun feu dans les alentours, alors d’où cela pouvait-il venir ?
Les jeunes femmes s’élancèrent à travers une ruelle sombre, située entre deux maisons. Ozia les guidait d’un pas rapide. Impossible de se concentrer sur autre chose que cette odeur alléchante qui réveillait leur papille.
Elles arrivèrent à l’arrière de la ville, devant un immense manoir à deux étages. Noria aperçut un feu de camp et des tranches de viande, piquées par dans des morceaux de bois, en train de griller. Le plus surprenant, et elle en resta paralysée, c’était de voir Kain et Allen manger comme si de rien n’était. Une larme perla aux yeux de Noria. Revoir son ami Allen lui faisait un bien fou. Elle courut le rejoindre en hurlant son nom. La voyant, Allen laissa tomber sa nourriture pour faire de même. Il la prise dans ses bras et la serra bien fort.
– Noria ! J’avais tellement peur de t’avoir perdu !
Hirelda et Ozia se jetèrent sur le sac de Kain. Il leur laissa, peur qu’elle se mette à le dévorer s’il ne leur lâchait pas de la viande. Hirelda vola même celui qu’il faisait griller et le dévora en quelques secondes. Elle engloutit ensuite une partie d’une gourde qu’Ozia se permit de terminer d’un seul trait. Kain avait beau se plaindre, les deux jeunes femmes mangeaient un fruit qu’il avait pensé à prendre avant de partir, puis elles s’assirent sur le tronc devant le feu.
– Dis donc, Allen, appela Hirelda. Je ne t’ai jamais vu aussi tactile avec Noria !
Allen retira ses mains, les joues rouges de honte. Il détourna le regard en ricanant alors qu’Hirelda pouffait de sa bêtise. Noria la dévisagea, les mains sur les hanches, et secoua la tête, mécontente de son attitude. Pour une fois qu’il n’hésitait pas, elle le trouvait si craquant et adorable de voir sa réaction face à sa disparition. Il l’invita à le suivre et lui donna sa nourriture bien cuite et de l’eau, que Noria accepta volontiers.
– Vous étiez où ? demanda Kain. On vous attend depuis un moment…
– Comment ça ? s’étonna Hirelda. On a traversé cette maudite forêt et on est arrivé dans cette foutue ville. On a passé la soirée d’hier à hurler pour trouver quelqu’un.
Kain et Allen s’observèrent un instant.
– On n’a rien entendu, avoua Allen. Pourtant, on vous a cherché…
– Nous étions dans l’auberge, continua Ozia. C’était le meilleur endroit pour y passer la nuit.
Il y eut un long blanc avant que Kain avoue avec gêne.
– On n’a pas pensé à y aller, on a dormi dehors.
Les trois femmes les scrutèrent avec étonnement. Noria se retint de rire, alors qu’Hirelda plaqua sa main sur la figure. Ozia soupira en secouant la tête.
– Y’en a pas un pour rattraper l’autre, signala Hirelda. Et qu’est-ce que vous faites là d’ailleurs ?
Kain se leva et montra la boite aux lettres du doigt. Le nom d’Arvald Norum y était inscrit.
– Pas de doute, c’est bien lui qu’on cherche ! décréta-t-il.
Noria sentit son cœur rater un battement. Elle ouvrit grand les yeux, scrutant l’immense maison sur deux étages. Elle était si près du but…
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