Létagadalanus
Paul, c'était la terreur de l'école. Le genre de mec cruel qui te volait ton goûter a la récré sans que tu puisses rien dire, mis a part peut être « aiiiie », après son revers slicé vigoureusement placé dans ta face.
C'était le plus fort, il appliquait la loi qui allait avec, un régime Stalinien, manquait que la moustache. Moi, j'ai toujours pensé qu'il aurait mieux fait s'en appliquer un a lui-même, mais alimentaire.
Il était en surpoids mais aussi en sur taille, le genre de gars qui pousse plus vite, on aurait dis que ses vieux le bourrait d'OGM, c'était peut être grâce aux goûters réquisitionnés qui flottaient dans son estomac, toujours était il que la balance était déséquilibrée entre lui, et le reste du monde, par conséquent, le reste du monde gardait ses remarques infâmes et cruelles dans le coin de la boite crânienne réservé a la lâcheté.
C'est grâce a Paul, cette grosse forme d'autorité, que j'appris qu'il n'y a pas que les bonbons qui font tomber les dents et que les dentistes sont des menteurs.
Il était en CM2 le requin, et moi, une sardine tout droit sorti d'une boite pleine d'huile remplie de CE2. Quoique, je ne me conduisais pas comme tel : Ne trouvant rien d'intéressant a la communauté me rendant bien la pareille, j'étais plutôt un louveteau solitaire, sauvage, seul, a part, qui ne parlait a personne et a qui personne ne parlait. Je cherchais pas ma place et ça me convenais, j'avais le sentiment de ne pas avoir le temps pour ça, je préférais rester seul et observer les efforts des autres pour trouver la leurs. Je trouvais ça ridicule.
J'étais donc seul, on me prêtais rarement attention. Sûrement pour ça que j'étais le seul a déguster mon 4H en regardant les autres chialer sur le sort de leurs joues rouges.
Un beau jour, je sais pas, il avait peut être envie de nouvelles saveurs, Paul s'est dirigé vers moi et mon sandwich au kiri, avec son regard vide de vache dépressive, son Q.I de mouette et surtout, sa carrure a défoncer des portes blindées :
- File moi ton goûter.
- Non.
- Tu t'fous d'ma gueule demi portion ?
- Non.
- File moi ton goûter j't'ai dis !!
- Écoute, je pense pas que ça sois une bonne idée, pense a l'avenir, a force de bouffer, tu pourras plus courir et tu seras incapable d'attraper des demi portions, tu devrais faire un break..
Au moment précis ou j'ai arrêté de parler, je connaissais déjà la suite des réjouissances :
Paulo allait devenir vert de rage, il commencera par me frapper sur le crane puis me jettera par terre en m'arrachant ma chemise. S'en suivra ensuite une série de 20 pénalités de rugby avec, en guise de ballon, ma tête. Ya eu 30 pénalités, il était perfectionniste. Ça m'a paru assez long mais j'ai subi l'orage en attendant le chant des petits oiseaux, plus il cognait, plus j'avais mal mais plus il s'essoufflait. Je n'ai poussé un cri, ni moi, ni la vingtaine de spectateurs sardines et requins qui nous regardaient d'ailleurs. Il s'est arrêté tout seul et m'a pris le sandwich des mains, a bout de force, avant de me lancer : « Ça t'apprendras a jouer au malin, demi portion ».
Je me suis relevé et je suis reparti sous le préau, sans rien dire. Les autres me regardaient tous. Je les ai gratifier de mon plus beau sourire pourpre.
Ma mère était du genre hystérique, et ce trait de personnalité fusionnait parfois avec d'autres, elle était donc par exemple hystériquement sévère. Pour ça, je lui dois beaucoup. C'est grâce a elle que je suis passé a côté de nombreux sentiments et que je suis donc imperméable a toutes situations. Elle ne nous défendaient jamais a moi et mon frère. Elle était la reine de la déduction : « vous êtes des bons a rien doublés de voyous, pas besoin de test de paternité pour vous 2 ». Le voyou bon a rien, je ne le connaissais pas. Je la trouvais belle quand elle était en pétard et avec moi, elle était rayonnante tous les jours. Elle était plutôt du genre a nous pousser la tête sous l'eau et a la maintenir telle quelle.
C'est donc naturellement que ce jour la, en rentrant de l'école, je me pris ma 2eme dérouillée de la journée. L'alibi ? Ma chemise déchiquetée. Je faisais pas attention a mes affaires, et a ces yeux, c'était impardonnable. Elle me fit plus mal que Paul. Ma vieille avait du nerf et en a toujours d'ailleurs, elle estimait que vu qu'elle faisait parti de la gente féminine, elle pouvait frapper a fond. A cette époque j'en ai déduis un résultat scientifique : un bras lancé dans la gueule a toute vitesse reste un bras lancé dans ta gueule a toute vitesse, et ce, même s'il appartient a n'importe quel être humain vivant sur ce caillou merdique. Bref, j'ai même pas tenté de me justifier. Non, je pensais plutôt ce soir la, a ma contre attaque.
Je savais que Paulo allait revenir a la charge dès le lendemain, vu que la demi portion de l'ombre que j'étais lui avait tenu tête dans la lumière. A vrai dire, c'était lui le projecteur, moi, j'en avais que foutre.
Ce matin la, avant de sortir de la maison, j'ai volé un sachet de fraises tagada dans le placard de la maison pour appâter et aller nourrir le gros poisson. Mon triste bout de pain-kiri que me confectionnais ma mère tous les matins a fait le bonheur d'un chien sur le chemin de l'école.
Les heures étaient plus longues que d'habitude en classe, j'attendais la récréation avec hâte, excitation, mon côté vicelard s'impatientait. Quand l'horloge a retenti, j'ai couru en direction des WC, avec mon sachet de tagada. Une fois enfermé, j'ai baissé mon froc, frotté unes par unes ces délicieuses friandises sur mon trou d'balle de demi portion, en prenant des airs de Machiavel, la sensation était plutôt désagréable, rapeusement parlant, mais la jubilation que ça m'apportais, tout autre.
Une fois fini, j'ai tout remis dans le sachet et je me suis dirigé vers la cour, en me pavanant, mon air serein, mon œil malin, mon sachet empoisonné dans les mains. J'ai fait ce jour la une autre découverte scientifique, le trou de balle attire le trou de balle : Paul se dirigea ilico presto procto vers mon sachet.
-Oooooh qu'elle est mignoooone, aujourd'hui c'est des fraises tagada ! File me les !
-Va t'faire voir.
Mon dieu, ce fut pire que la fois précédente. Il m'a passé a tabac, sans opposition, bravo champion, cette fois ci ça a bien due durer trois bonnes minutes, de l'acharnement, touché dans son orgueil, il a mis les bouchées doubles, j'ai encore attendu mais cette fois ci je sentais bien qu'il avait pris un shoot de ventoline avant la récré, ça s'arretais jamais, je priais pour qu'il m'en mette une bonne dans la tempe, que ça cesse, il a opté pour un coup de genou dans les dents, ce dernier m'a séché par terre. K.O technique, match arrêté. Le goût du sang dans la bouche, le regard divagant dans le beau ciel bleue de cette journée, je m'épris d'un fou rire. Il a duré une bonne minute et couvrait amplement le silence strident qui régnait dans la cour a ce moment la. Il eut le mérite de déstabiliser mon bourreau, qui s'empressa d'arracher son gain de mes mains avant de prendre la fuite, déstabilisé.
Je suis resté au sol un moment. Personne ne m'est venu en aide. Quand je me suis relevé en souriant, parce que je suis un garçon souriant, j'ai pu voir la stupeur sur le visage des spectateurs choqués et apeurés par la scène a laquelle ils venaient d'assister. Me prenaient ils certainement pour un fou.
Je suis rentré chez moi, rien de plus qu'une journée banale. Inutile de vous dire que j'eus a faire a la mère fouettard en rentrant.
Le lendemain, le petit ce2 qui passait d'habitude inaperçu était devenu l'objet de tous les regards. Je n'aimais pas ça. Sarah V, la plus jolie fille (et de loin) de l'école s'est assise a côté de moi.
-Ça va mieux ?
-Nickel !
-Je te trouves courageux.
Je ne répondis rien. C'était donc ça, ce qu'ils appelaient le courage, inconscient, stupide et tuméfié, tu parles d'un héro, mais agréablement surpris que ça plaise aux filles, le courage.
-Ils ont puni Paul, je l'ai dénoncé.
-Pourquoi t'as fait ça ?
-Paul est un gros con.
-Pas plus que toi, moi, ou tous ceux qui lui lèchent les bottes.
-..Hum, si tu l'dis….
J'ai rien dis, justement.
-Bon… Bye.
-Bye.
Paul lui, m'a plus jamais causé de problèmes, probablement parce qu'il s'était fait punir ou qu'il avait un goût bizarre dans la bouche, probablement les deux. En tout cas, ce qui était sûr, c'est qu'il était soit peureux, soit méfiant.
J'ai alors compris ce jour la que les « forts » avaient bien des faiblesses et vice-versa. J'ai surtout compris qu'il n'existait pas de catégories pré-établies pour les cour de récré de tout ce foutu pays.
Et je me suis juré de retenir cette leçon toute ma vie.
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