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Non Lindsay n’avait pas fait un accident vasculaire cérébral (AVC quand on veut faire pro) : elle avait bien vu la vierge Marie, petit Jésus tout niais, et les animaux : c’était les personnages d’une crèche, abrutissement programmé des masses, entassés dans ce grenier. Renversée sur le lit par cet agité de Lorenzonounet, secouée, ballotté, jetée, projetée comme un sac de patate, les jambes tordues dans des positions incroyables. Jamais de sa vie, elle n’aurait imaginé qu’un mec puisse faire ça à une fille. De temps en temps, elle demandait : « tu m’aimes ? » et il grognait, tout en s’affairant : « ouais, ta gueule, tu causes trop, couine ! ».

Vous êtes scandalisée ? Moi aussi. Si, je vous jure !

Ce jour-là fut pour Lindsay un tournant dans sa vie. Elle venait de découvrir des plaisirs que son corps pouvait lui procurer qu’elle ne soupçonnait même pas. C’était à la fois un bien et un mal. Car de ce jour, elle aurait besoin d’un amant à la hauteur : quand on a goûté une bonne dope, il en faut toujours plus et avec les mecs sans imagination clones-vax, ce n’était pas gagné. Mais à ce moment précis, elle ne s’en souciait guère, sa vie s’était entièrement tournée sur Lorenzo. Elle était raide dingue, sous influence, subjuguée, entrée en religion Lorenzotienne.

Vous vous dites que Lorenzo n’est, après tout, qu’un animal vicieux et lubrique. Pourtant, en intégrant le groupe, c’est un univers qui s’ouvrit à elle et lui permit de s’émanciper. Des merveilles s’étalaient sous ses yeux adorables et innocents.

D’abord, le masturbateur frénétique Jo le colosse. En réalité, la création est un acte sexuel par essence, une masturbation, cela relativise son penchant réprouvé par la morale. Et Jo était un grand poète injustement méconnu, comme ils le sont tous.

Il avait des sentences qui vrillaient l’âme : si la société ne veut pas de nous, qu’elle se rassure, on ne veut pas d’elle ! Parfois il était énigmatique : je vais te baiser, te bouffer et te baisser encore ! D’autres fois, il confinait au cryptique : le monde n’est que souffrance ; j’ai mal aux burnes !

Les garçons riaient tout le temps, parfois terrassés par des fous rires incoercibles. Surtout avec l’asticot Fabrice, toujours sur la brèche, préparant un coup, fuyant quelque chose ou draguant toute femelle à sa portée (sur un malentendu, ça peut le faire).

Il régnait une joie incroyable dans ce groupe improbable. C’était une déconnade perpétuelle. Lindsay et Marie s’y amusaient follement, cela éclaircissait leurs vies mornes et monotones.

Et puis il y avait les discussions enflammées entre Lorenzo et JP : le cartésianisme, Spinoza, le pari de Pascal, des noms étranges Schopenhauer, Kant, Hegel… Lindsay écoutait avidement, absorbant comme une éponge sans rien comprendre sur le moment, méditant longuement par la suite, notant sur de petits carnets spirale, saoulant Lorenzo de questions. C’était comme s’il savait tout, qu’il avait une connaissance infinie. Il pouvait parler des heures, puis baisait un coup, puis reprenait là où il s’était interrompu. C’était grand.

Politiquement ça bardait souvent entre Lorenzo et le reste du groupe, surtout avec Seb. Lorenzo agaçait avec son penchant pour le luxe, son snobisme outrancier, son mépris des « gueux ». Seb était un pur anarchiste de gauche, tendance trotskiste, JP un anarchiste révolutionnaire (« il faut combattre la violence par la violence »), Fabrice un anarchiste nihiliste (il voulait tout péter parce que c’est marrant), Jo un pacifiste illuminé et branlé à blanc (faites l’amour pas la guerre, bande de cons).

Lindsay se fit rapidement une opinion sur la pensée profonde de Lorenzo : un pur épicurien qui voulait jouir de tout et surtout jouir, un opportuniste invétéré, un pragmatique purement égoïste et ne s’en cachant pas, fondamentalement polygame, un exégète de la vie en un mot.

En résumé, les discussions se terminaient souvent en bagarres terribles chacun ayant sa spécialité de combat : arts martiaux pour Fabrice, surin pour Seb, matraque pour JP, manipulation mentale pour Lorenzo. Et Jo ? Il était depuis petit, insensible à la douleur, une curiosité constitutionnelle. Les garçons s’en servaient comme d’un blindé dans les bagarres, le poussant dans la mêlée. Il épuisait les adversaires qui se trouvaient ensuite à la merci de la bande. Aussi, Jo participait peu aux bagarres, préférant s’astiquer le poireau. Mais quand il lui prenait une colère, on appelait Lorenzo pour qu’il l’hypnotise, sinon, il était capable de tout casser, y compris les murs et les fondations des bâtiments.

Rapidement Lindsay ne put plus supporter de ne pas être avec l’amour de sa vie. Elle lui rappelait sans cesse qu’ils étaient « en couple », ce qui faisait hausser les épaules de Lorenzo. Elle vint vivre avec lui dans le grenier de l’église désaffectée. Elle était entrée dans le pécher le plus complet !

Pauvre fille !

Vous pensez qu’elle n’était qu’une esclave au service de ce sale type ? Certes, elle se tapait toutes les corvées… ce qui est normal, non ? Je plaisante !

Pourtant, elle allait de surprise en surprise. Ainsi, de temps en temps il se mettait à son tableau noir et le remplissait d’équations et de signes cabalistiques étranges, se grattant le menton, les yeux fous. Il parlait de géométrie non Euclidienne, d’espace de Riemann, de surface hyper sphérique à quatre dimensions, d’incertitude d’Heisenberg… Lindsay était stupéfaite, à ses yeux, il devenait un Dieu.

Régulièrement, Lorenzo posait un regard sévère sur elle, sourcils froncés :

— T’es pas en train de t’attacher, hein ma belle ? demandait-il.

— Tu me demandes quoi ?

— T’es pas amoureuse au moins ? Faut pas ! Je suis pas un mec fiable.

— T’es complètement con ! s’indignait la belle.

Oui, elle prenait des habitudes de voyoute ! Elle était pervertie, souillée, contaminée, infâme pécheresse. D’ailleurs, elle avait des pratiques sexuelles que la morale réprouve ! Même moi ! On a beau dire que le sexe n’est pas sale… Là quand même, c’est choquant !

Je suis choqué !

Vous vous dites, madame, mademoiselle, mais putain, pourquoi elle reste avec ce salaud ?

Rapidement, elle apprit le poker hold’em : c’est-à-dire à lire les micro-expressions faciales pour déceler le bluff. Elle devint une joueuse honnête.

Les rudiments du billard lui furent enseignés pas Seb, avec quelques mains au panier au passage. Elle se débrouillait passablement et quand elle s’allongeait sur la table pour un coup, Jo hululait et parlait à l’envers.

Lorenzo lui apprit à conduire : moto, voiture, trottinette… Elle put passer son permis rapidement car il se chargea de payer.

— Le fric c’est bon en ce moment, ça tombe, c'est cool. Mais faudra que tu me rembourses. Je ne sais pas quand, ni si cela arrivera un jour, mais il est possible que je te demande un service. Il faudra faire ce que je te demande, même si c’est mentir à la police. Capice ?

Lindsay ouvrit des yeux comme des soucoupes, à la fois scandalisée, outrée, apeurée, énervée. Oui, elle cumulait les émotions avec ce mec.

— Dis-voir, comme on est en pleines confidences, tu sais qu’avec les potes, on partage tout, c’est le collectivisme.

— Et ? demanda-t-elle méfiante.

— Tu pourrais coucher un peu avec Fabrice et Seb. Mais gentiment, pas obligé de sentiments. Juste tu écartes les cuisses, tu couines…

— T’es sérieux, là ?

— Bah ouais…

Lindsay claqua le beignet de Lorenzo avec amour mais aussi avec une détermination sans faille. Avec les femmes vous leur donnez ça, elles vous prennent tout ! C’est une misère !

Oui, Lindsay avait bien changé. Et pas en bien. Était-elle heureuse ? Elle se l’imaginait.

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