Ils ont fini par l’acheter cette baraque…
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Ils ont fini par l’acheter cette baraque,
Dans son jus, mobilier du temps jadis et toiles d’araignées comprise et depuis c’est plan et re-plan, défilé d’architectes plus ou moins inspirés, plus ou moins talentueux, mais tous hors de prix… évidemment ils s’en foutent du prix, « budgets illimités » qu’ils ont dit, y sont pété de tunes ces vieux cons ! Surtout ne pas toucher au « cachet » de la cahutte, tout en lui faisant faire une cure de jouvence, passant de l’époque Napoléonienne au troisième millénaire d’un coup de crayon, écologique, domotique, acoustique, à énergie passive et j’en passe.
Cela durait depuis la toussaint, en sortant du cimetière ils avaient changé d’itinéraire pour ne pas repasser par la voirie en travaux traversée en venant, et ils avaient croisé le panneau mis là la veille, l’héritier récalcitrant, au bout de six ans de tractations, venait de signer avec les autres la vente de la propriété de l’aïeul passé de vie à trépas à l’âge de 101 ans, d’ailleurs ce ne sont pas ses neveux les héritiers mais les petits neveux, leurs parents mangeaient déjà des pissenlits par la racine alors que le vieillard pinçait toujours les fesses qui passaient à sa portée. « vieux cochons » disaient les mauvaises langues, « gentil et généreux » selon ses proches.
L’achat fut ratifié le lendemain et depuis la photo trône en bonne place dans l’entrée.
puis moi, je n’aime pas ce manoir.
Il y avait toujours quatre concurrents en lisses, trois grosses boites d’architectes et un outsider, jeune et beau débutant plein d’idées novatrices et collant au cahier des charges à la virgule prêt.
on était fin juin et à part le remue-ménage des aller et venue de ces porteurs de tubes à dessins à l’appartement, rien n’avait été bougé sur place, seule une équipe de nettoyage était passée au début enlever les détritus du jardins et juste dépoussiérer le manoir, sans toucher à « l’authentique » disposition des lieux, pour que le visiteur éventuel s’en imprègne. Malgré le temps l’intérieur avait été épargné et peu de traces de squatteurs ou d’autres dégradations y étaient visibles, « ce qui en fait tout son intérêt ! » clamaient les proprios à qui avait la mauvaise idée d’en effleurer le sujet et ce malheureux avait droit, en long, en large et en travers au pédigré de la vieille bicoque -notre bébé, l’appelaient-ils- jusqu’aux désidératas des futurs travaux.
« Pour ma part on y fout le feu et on construit du neuf ! » osais-je dire un soir où ils étaient reparti sur La discutions, signatures ayant été apposées avec l’un des postulants maître-d ’œuvre. La fatigue, un reste de stress du bac, une poussée d’hormones ? Je ne saurais jamais exactement pourquoi mon masque avait craqué ce soir-là !
Mais, Dieux que je n’aime pas ce manoir !
que n’avais-je dit, exaspéré de les entendre tous les jours, du matin au soir ; on vivait manoir, on mangeait manoir, on dormait manoir et moi… je chiais manoir… ça leur suffisait pas l’appart à New-York, le chalet de 250m² à Courchevel, la villa à Saint-Trop -yacht à quai face à "Sénéquier"- et notre petit pied à terre parisien de tous les jours, loft de 300m² avec vue sur la tour Eiffel ?
Ben non ! Et du haut de ma majorité toute fraiche ( quatre petits jours) je le clamais haut et fort mon raz le bol de l’acquisition immobilière de mes bourges de parents ! Entre plats et dessert, comme on demande le sel, le souk complet et total en six secondes, d’une phrase j’étais passé de fils aimant et aimable, unique héritier de la fortune familiale, à … petit ingrat égoïste qui n’en fout pas une, … le cul dans le beurre trop longtemps … et sans considération pour le « dur » labeur de ses géniteurs … , patati -paternel- et patata -maternel- et patatras -pauvre de moi-, annulé le voyage aux Seychelles, confisquées les cartes de crédits, renvoyé au garage le 4X4 flambant neuf reçu en soufflant mes bougies, torpillé par le fond le mois d’août sur le yacht et le mot qui tue fut prononcé :
—Tu es majeur et peut partir voir si c’est mieux ailleurs, mais si tu restes tu ne récupèreras tes privilèges qu’après le travail que l’on va te confier...
Oh l’horrible menace, accompagnée des postillons de mon père, sa figure rouge vif à une dizaine de centimètres de la mienne qui devait être livide devant la perspective de mon inscription prochaine aux restos du cœur -pas comme donateur ou même bénévole, non- dans la file avec les autres !
—… et en attendant tu es consigné en chambre, tu as une heure pour choisir, dans l’immédiat j’exige ton portable et ton ordinateur sur mon bureau dans deux minutes … Bouge-toi, allez ! cent trois secondes…
Fini l’ado blasé, rebelle et révolutionnaire dans sa tête, choc brutal avec la réalité des choses, ils me tenaient par les couilles en tenant les cordons de la bourse !
Cinquante sept minutes après y avoir déposé ma vie sociale virtuelle, et une migraine me vrillant les tympans, je toquais à la porte du bureau de mon père avec autant d’enthousiasme que Louis monta à l’échafaud, bien que ses maux de crane y furent soignés d’une façon radicale, je m’étais contenté de deux cachets effervescents dans un verre d’eau.
—Entre ! … Quel est ton choix ? attaqua mon bourreau dés mon entrée dans l’arène.
C’est la tête basse et enfoncée entre mes épaules -protégeant mes oreilles-, mes mains tremblantes aux fonds des poches de mon jeans -protégeant ma q…- que je donnais réponse au matador me faisant face :
— Le travail, papa ! soufflais-je, en levant les yeux.
— À la bonne heure, fiston, nous allons pouvoir causer. Se détendit-il. Voilà ce que nous avons décidé ta mère et moi, pour cette réponse : tu as jusqu’au 15 août pour inventorier les biens et mobiliers du manoir, de la cave au grenier, pièce par pièce, avant leurs mises en gardiennage le temps des travaux. Ce sera ta punition ainsi que ta participation au chantier. Qu’en dis-tu ?
— Heuuu, je suis d’accord bien sûr, mais seul je ne pense pas y arriver … j’ai déjà pas idée de comment faire !
— Pas de soucis pour ça, tu ne seras pas seul mon grand, reprend tes affaires -pointant du regard mes gadgets électronique sur l’angle de sa table de travail- et prépare tes bagages, je t’y amène demain matin !
— ok, à demain ! Bonsoir, papa !
— Bonsoir Junior, dors bien.
Qu'est-ce que je n’aime pas ce manoir !
***
Nous étions là vers les onze heures et mon père me faisait faire le tour des dernières pièces, vérifiant l’électricité et l’eau au passage tout en m’expliquant ce qu’il attendait de mon labeur, quand le bruit d’un moteur et quelques coups de clacksons se firent entendre, « Ah, le voici qui arrive » fit le paternel en se dirigeant précipitamment vers la sortie, moi sur ses talons, mais de loin, pensif à la tâche ingrate qui m’était insidieusement tombée dessus. Dieux que je n’aime pas ce manoir !
J’entendais son speech au débit rapide alors que je n’étais pas à la porte.
— Bonjour, vous avez fait bonne route ? Nous n’attendions plus que vous. Je vous abandonne avec Junior, ses bagages sont dans sa chambre, celle d’à côté vous attend, je me sauve j’ai tout juste le temps d’arriver au bureau pour ma vidéo-conférence. Bonne journée à vous deux. Bisous fiston ! cria-t-il pour finir.
— Bisous papa ! accompagna le bruit de sa portière et il démarrait en trombe que je n’avais pas encore vu le nouvel arrivant, caché par sa voiture, la tête penchée dans son coffre à la pèche aux valises.
Le *clac* du haillon fit échos à la claque visuelle résultant de la disparition métallique de mon champ de vision, j’avais devant moi le jeune architecte tout sourire. Jamais je ne l’avais vu de si près, ni regardé avec autant d’attention.
Fini le costume informe et terne de ses visites à mes parents. Il portait une chemise à carreau largement ouverte sur son torse musclé et glabre, avec un bermuda beige qui révélait des cuisses puissantes de sportif.
Aussi brun que j’étais blond, l’œil noisette et une fossette au menton. J’estimais entre 25 et 30 ans cette représentation parfaite de l’icône mâle. D’ailleurs si j’étais planté, en version Horse Guards aux grilles de Buckingham Palace, sur le perron du manoir. Je n’étais pas seul au garde à vous, une érection, aussi soudaine qu’inopinée et douloureuse, déformait très visiblement l’entre jambes de mon pantalon, et ce sans que je ne pense à le cacher, ma pauvre cervelle ne parvenant pas à reprendre le contrôle de mon corps.
— Bonjour moi c’est Fabrizio, tu me montre le chemin si tu veux bien ! … Oh, j’espère que ça ne te dérange pas que je te tutoie, on va vivre à deux jusqu’à la mi-août et j’aimerais autant que nous nous sentions bien ensemble, sans chichis ni tralala ! fit-il en me fixant sous la ceinture, une lueur grivoise dans le regard.
C’est comme ça que débuta les deux mois les plus merveilleux de ma vie, enchainant sur des années de bonheur et à l’âge de prendre ma pension avec mon architecte de mari, c’est vers notre coin de paradis que la balance de nos cœurs a penché.
J’ai toujours dit que j’aimais ce manoir !...
Fin
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