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L'homme enlaça tendrement sa femme pendant au moins deux bonnes minutes. Leurs haleines se transformèrent en buée dans l'air glacé de l'hiver. Il finit par trouver la force de repousser son épouse qui s'accrocha à lui en plantant ses doigts dans les épaisses couches de cuir et de fourrure qui le recouvraient. Il la regarda droit dans les yeux sans vaciller, et vit dans son regard l'angoisse qu'elle éprouvait. Il ne put se permettre de lui montrer qu'il la ressentait tout autant qu'elle, aussi esquissa-t-il un mince sourire. Il lui murmura des mots d'amour, et que tout irait bien. Elle hocha à peine la tête sans répondre. Il retira avec délicatesse les mains nues de sa femme encore sur ses épaules et les baisa une dernière fois du bout des lèvres.


  • Les enfants sont bien couchés ?


Elle hocha à peine la tête. Il fit de même.


  • Bien. Chauffe bien le lit en m'attendant.


Il la regarda avec amour pendant quelques secondes de plus, s'imprégnant de son visage. Au cas où le pire arriverait... C'était la dernière image qu'il voulait emporter, ça, et celle de ses enfants jouant au coin du feu après le dîner. Il les avait longuement tenu contre lui avant que leur mère n'aille les coucher, et seule l'aînée avait semblé comprendre quelque chose dans cette lourde affection dont il les enveloppait soudainement : son regard avait trahi qu'elle se doutait de quelque chose. Elle était déjà bien assez intelligente pour savoir que certaines questions ne se posaient qu'en certaines circonstances, si tant est qu'elles dussent jamais être posées.


Il s'éloigna vers la grange à grands pas en saluant sa femme de la main, toujours un mince sourire sur le visage. Elle le guetta depuis l'embrasure, ignorant le froid qui s'engouffrait dans la maisonnée. Lorsqu'il commença à retirer la barre qui bloquait l'entrée de la grange, elle finit enfin par refermer la porte — il l'entendit grincer puis claquer dans le silence pesant de la nuit. Il souffla lourdement avant de pénétrer dans le petit bâtiment.


L'air y était un peu plus chaud. Aussitôt qu'il y était entré, les animaux s'étaient agités. Dans la pénombre, leurs yeux luisaient, observant celui qui interrompait leur repos. Il s'avança lentement vers l'enclos où se trouvaient entassés plusieurs cochons. L'un d'eux était un peu à l'écart, et ce volontairement depuis le début de la soirée. C'était un jeune porcelet d'à peine quelques semaines, le plus gros d'une portée hivernale. Il couinait d'être ainsi éloigné des autres, attaché à un pic plus loin. L'homme le caressa et l'animal, docile, se frotta à lui, cherchant le contact avant tout. Dans l'ombre, l'homme récupéra de quoi museler et maintenir l'animal et, à gestes efficaces et rapides, lui lia les pattes et le groin. Surpris, le jeune cochon gémit de cette trahison nouvelle, mais l'homme ignora ses couinements de détresse. Il le détacha du pic et le cala avec fermeté sous son bras, l'empêchant tant bien que mal de gigoter. Il replaça la barre sur la porte de la grange et s'en alla à pas lourds dans la neige en direction du sous-bois tout proche, sans se retourner pour jeter un dernier regard vers sa maison baignée par la lueur lunaire.


S'il l'avait fait, peut-être aurait-il aperçu son plus jeune fils, âgé d'à peine six années qu'il venait tout juste d'atteindre deux semaines plus tôt, l'observant dans l'ombre de la grange. Il ne tarda pas à suivre son père tout aussi discrètement qu'il l'avait fait jusque-là.

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