L'affaire ne prit pas très longtemps. C'est sans émotion qu'il mit fin à la brève existence du porcelet, et il ne ressentit rien lorsque l'animal poussa des cris horribles dans la nuit. Avec des gestes économes mais précis, fruits d'une longue habitude, il transforme le corps en une simple carcasse, vidée de son sang et débarrassée de sa viande. Il prit soin de la jeter en bordure de forêt, où un quelconque prédateur en ferait son festin cette nuit. Quant à la viande, il la ramena avec lui, après avoir bien rangé son matériel. Il faudrait sécher l'excédent pour ne pas le gaspiller, ou bien le mettre au frais, mais sa femme ou ses enfants s'en chargeraient.

Son épouse lui jeta un regard étrange lorsqu'elle le vit rentrer, mais ne dit rien. Il posa la viande emballée dans du tissu sur la table, et lui laissa le soin de choisir les morceaux qu'elle voudrait cuire pour le repas de ce soir. Quant à lui, il retourna dehors pour se rincer et se laver.

Il ne savait pas ce qui l'avait pris. Il sentait, toutefois, au fond de lui, que c'était la chose à faire. C'était le fruit de sa propre volonté, ou tout du moins en avait-il l'impression. Mais alors qu'il frottait ses vêtements avec de la neige pour en retirer le sang, les mains gelées même à travers le gant, il se demandait ce qui l'avait poussé à faire cela, au final. Cela lui avait semblé la chose à faire, pourtant. Pas de la même manière que les derniers jours. Comme s'il se devait de mettre fin aux jours du porcelet, afin de pouvoir le manger.

Immobile, perdu dans ses pensées, il sursauta lorsqu'il remarqua un mouvement à l'orée du bois. Pendant un bref instant, il craignit le pire, mais ce n'était qu'un renard gris ayant trouvé la carcasse qu'il avait laissé là plus tôt. Il secoua la tête et retourna chez lui, troublé, et ferma bien la porte derrière lui.

Il ne vit pas le hibou qui s'abattit sur le renard pour le chasser afin de s'approprier ce qui restait du porcelet, ni le cerf qui scrutait la scène au loin.