GABRIEL
Gabriel est un jeune homme, en apparence, tout ce qu’il y a de plus classique, étudiant de son état en master de lettres. Une année supplémentaire lui est nécessaire afin de valider les trois matières qu’il a loupé l’année dernière, et enfin, obtenir son diplôme.
Il a des parents aimants qui lui paient le loyer de son studio. Comme il a beaucoup de temps disponibles, ils lui ont dit de se trouver un travail pour subvenir à ses besoins. Gabriel s’est donc inscrit dans des agences d’intérim. Sa motivation a fait mouche, il a régulièrement des missions.
Il poursuit également ses missions de « cobaye » comme il les nomme, participant régulièrement à des essais médicaux. C’est quelque chose dont il avait eu connaissance par le biais d’un reportage à la télé. Dans la mesure où il habite dans une grande ville disposant d’un C.H.U et d’un certain nombre de laboratoires, il n’a pas tardé à avoir des opportunités. En bonne santé, soucieux d’aider son prochain, et ne détestant un petit bonus financier quand il y en a un à prendre, il s’est donc lancé. Deux laboratoires font régulièrement appel à lui.
D’apparence plutôt malingre, à l’allure dégingandé avec son mètre soixante-dix-sept, les cheveux châtains clairs, des yeux gris, des traits fins, il aurait pu être beau s’il ne se voyait moche, en raison de deux complexes. A bientôt un quart de siècle, il a toujours ses traits de préadolescent et sa voix n’a pas mué. Aussi, il prenait peu la parole lors de ses cours car, à chaque fois, il entendait des personnes pouffer pour se retenir de rire ouvertement.
Ce qui le perturbe aussi, c’est que son visage, au lieu d'avoir les traits anguleux des hommes de la famille, avait ceux arrondis de sa mère. Il avait coupé très court ses cheveux, alors un peu longs, quand on lui avait dit, deux fois dans la même journée, « bonjour madame ». Lui qui était plutôt jean, tee-shirt, blouson, misait maintenant sur un look hipster façon soixante-huitard sur le retour pour paraître plus masculin, et surtout, plus vieux avec un effet miteux voulu ! Il voulait que cette allure androgyne qu’on lui prêtait cesse.
Son effet « jeunesse éternelle » faisait des envieuses. Même attifé comme il l’était, il devait montrer sa carte d’identité au cinéma pour voir un film interdit au moins de douze ans ou acheter un ticket de jeu à gratter. Il se faisait régulièrement refouler des bars, quant à aller en boîte, il n’y pensait même plus. Il avait atteint un niveau de frustration tel, qu’en plus de se trouver laid, il se détestait. Plus il avait horreur de lui-même, plus il se renfermait, en arrivant même à haïr ses parents de l’avoir ainsi conçu. A leur grand désarroi, ils voyaient leur relation s’étioler sans trop ne savoir quoi faire de cet amour que leur enfant rejetait. Ce dernier fuyait également toutes les réunions familiales avec son frère, sa sœur, ses neveux et nièces.
Il s’enfonçait toujours plus profondément une dépression qui avait fait le vide autour de lui. Pour y ajouter encore, Gabriel n’était jamais parvenu à nouer de relations sentimentales. Il avait bien eu quelques fréquentations, sans que ce ne soit jamais sérieux. Il avait bien vite compris que ces personnes l’avaient côtoyé par curiosité, voir même à l’occasion d’un pari. Autant dire que ça ne l’avait pas aider à se trouver.
Il avait un troisième complexe, bien que dans l’impossibilité de l'assumer, il souffrait d’un micro-pénis. C’était là que la haine envers ses parents avait pris naissance. Lorsqu'il avait souhaité devenir « testeur » son dossier médical avait révélé qu’il avait été opéré trop tard pour des testicules qui n’étaient pas descendues, origine de sa malformation. Quand il avait été opéré, des anomalies avaient entraîné leurs ablations. Il avait donc aussi découvert son infertilité. Depuis cette annonce, il se sentait moins qu’un homme. Il rêvait ainsi parfois que ses parents puissent le refaire, mais chaque réveil ajoutait un peu plus au sentiment de haine qu’il ressentait.
Gabriel, plus seul que jamais, ne savait pas où sa chute, dans les profondeurs de son être, pourrait s’arrêter. Il se demandait souvent ce que sa sexualité aurait pu être si les injections de testostérone avaient fonctionné, si, si… Il ne trouvait jamais de réponse. Il en voulait à ses parents qui ignoraient qu’il savait tout autant qu’ils n’avaient pas connaissance de son statut de « cobaye ». S’il y avait quelque chose qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi brillait encore en lui l’espoir de jours meilleurs qui l’empêchait de sombrer totalement.
Sa sexualité, c’était aussi pour lui un problème d’orientation où son manque d’expérience lui faisait cruellement défaut. Il n’avait que ses pensées, et lorsqu’il était avec un homme, il ne pensait qu’au sexe de celui-ci dans sa bouche ou dans son cul. Avec une femme, il ne pensait qu’à la baiser et à lui procurer tous les plaisirs possibles. De ces deux équations, il en était absent, son plaisir n’était nul part.
Gabriel travaillait pour vivre, sans rechigner, avec le seul but de donner satisfaction. Il continuait de participer aux essais médicaux tout en révisant pour son dernier partiel. Il venait passé les deux premiers avec succès, selon lui. Le reste du temps, il se noyait dans ses lectures. Son imagination était telle qu’il devenait le héros à l’énorme queue qui faisait jouir toute les ravissantes demoiselles qu’il croisait. Il pouvait aussi devenir l’héroïne qui faisait des pipes d’enfer et tirait sans soucis son plaisir du pile ou face.
Il pensait d’ailleurs à un sujet pour une thèse : la place de la femme, de l’homme et du sexe dans la littérature de midinette. Que ce soit des romans à l’eau de rose, bit-lit, fantasy, bdsm, dark romance… il lisait tout ce qu’il trouvait, s’évadant dans les plaisirs d’une masturbation littéraire. Cartésien, heureusement il avait encore cette force, il savait compartimenter ses journées, et s’y tenir. Cependant, il était devenu accro, dépendant des pages qui prenaient vie dans son esprit. Les mots et les phrases devenaient celle du personnage qu’il endossait.
Il était conscient du danger de cette vie parallèle qui le coupait toujours plus d’un monde « réel » où ses activités professionnelles étaient parmi ses seules interactions. Lorsque la fiction prenait les traits de la réalité dans son esprit, il se sentait bien, tout en sachant que ce n’était qu’un placebo. Il était une personne exceptionnelle qui luttait vers un dénouement heureux. Cela lui maintenait le nez hors de l’eau, c’était le moyen qu’il avait à sa disposition pour l’instant.
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