Je vois venir vers moi un grand type en treillis militaire, son pantalon rentré dans des bottes lacées. Il n’est pas armé, ne porte sur son épaule droite qu’un écusson que je connais bien, puisque c’est moi qui l’ai inventé.
Il est canon… magnifique… divin… Je vois deux yeux bleus presque violets qui me fixent, je vois ses longs cheveux, une cascade d’or en fusion qui descend jusque sous son cul… son cul, c’est une œuvre d’art. Putain, qu’il est beau ! Il a l’air en pétard, aussi.
Il se poste devant moi, et ça me surprend. Je ne m’attendais pas à ce qu’un mec aussi canon soit intéressé par ma silhouette fatiguée.
De près, il est encore plus grand que je le croyais. Il me fixe toujours et sa colère semble s’apaiser.
- Je peux ? demande-t-il, une main sur le dossier de la chaise en face de moi.
Je ne peux rien dire, mais je hoche la tête. Il plie sa grande carcasse sur la petite chaise et, d’un seul coup, tout a l’air très petit.
Au bistrotier qui passe, il demande un café. Long.
Il me fixe, silencieux, remerciant d’un hochement de tête le serveur. Ses grandes mains autour de la petite tasse à café, il continue à m’observer et je suis toujours aussi muette. Il soupire.
- J’aimerais comprendre…
Sa voix me fait presque mouiller ma petite culotte. Putain… Qu’est-ce qui m’a pris ? Je l’ai reconnu, tout de suite. Mais difficile d’imaginer que je le verrais un jour. En chair et en os.
- Que… et je couine.
Je rougis, je me gratte la gorge, il patiente.
- Que voudriez-vous comprendre ?
- Je pense qu’on peut se tutoyer, créatrice.
Ah merde. Il sait qui je suis, moi aussi.
- Si tu veux. Que veux-tu comprendre, alors, Erik Hellason ?
- Pourquoi as-tu décidé de me faire aussi beau ? Pourquoi me faire souffrir, aussi ?
- Oh. Pour la beauté, j’ai une réponse assez simple. Dans trop d’histoires les hommes ou les femmes sont beaux, et en ont conscience, en abusent. Et on ne nous raconte que les côtés positifs de la beauté. Mais… j’aime la beauté, j’aime les beaux mecs. Et, je crois que j’ai un type.
- Un type ? Viking ? Grand, blond aux yeux bleus ?
Je rougis.
- Ça se pourrait bien. Je voulais aussi montrer que la beauté n’est pas un remède miracle, qu’être très beau a aussi son lot d’emmerdes…
- Et tu as choisi de faire de moi la cible de sadiques, homosexuels, prêts à tout pour me baiser ?
- Euh, des femmes aussi.
- Ah ? Je n’ai vu que des hommes…
- Lullaby.
- Elle a tiré sur Kris, pas sur moi.
- Elle voulait te punir d’avoir tué le capitaine et le lieutenant, ses amants.
- Ah. Bon. Et elle aussi, elle était prête à tout pour me baiser ?
Il a un sourire plus que narquois. Je n’ose pas lui raconter les projets de Lullaby pour lui et Kris, alors je hoche la tête. Je l’ai créé, et pourtant, je n’arrive pas à détourner mon regard de ses extraordinaires yeux bleus.
- Eh bien… Et les souffrances ? Physiques, mentales… tout ça, pourquoi ?
- Tu es militaire, tu sais bien que tu vas en chier.
- Mais à ce point-là ? Le tigre en Sibérie ? Le pieu, à Milan ? La balle en Guyane ? Le… le fouet, dans la forteresse des FER ? Et Kris ? Les angoisses de Kris ? Cet amour qu’il me porte et que je ne comprends pas…
- C’est…
Je baisse le regard sur ma tasse, vide. Comment expliquer à sa création que ses souffrances sont nécessaires… Putain, je ne vaux pas plus cher que les salopards qui courent après son cul.
- Je te demande pardon, Erik. Ce sont des idées qui courent dans ma tête, qui donnent des…
Je suis rouge, ma voix se fait toute fluette.
-… des histoires intéressantes.
- Des histoires intéressantes ? Ce sont mes souffrances qui… ?
Il secoue la tête.
- Erik, tu ne peux pas passer entre les balles sans aucune conséquence. Ce… ce n’est pas possible.
- Je crois que je comprends. Tu dois accrocher tes lecteurs. C’est sûr que si tu racontais nos patrouilles inintéressantes par le menu, tu lasserais tes lecteurs…
- C’est ça.
- Dis-moi, cette histoire de paladin, qui me ressemble beaucoup, c’est toi, aussi ?
- Oui. Je te disais que j’avais un type…
Il a un grand sourire éblouissant et je perds le fil. J’ai beau l’avoir créé, rien à faire, il me fait le même effet qu’aux autres.
Il ricane, il m’a eue et ça me fait chier d’être tombée dans mon propre piège.
- Dis-moi, créatrice, j’imagine que je vais encore en chier ?
- Oui. Je suis désolée.
- Est-ce que tu peux me faire quelque chose pour moi ?
- Dis toujours.
- Peux-tu épargner Kris ? Physiquement ? Je sais qu’il souffre quand je suis blessé. Mais peux-tu lui éviter des blessures physiques ?
- Je vais voir ce que je peux faire.
- C’est pour ça que je ne te demande pas de promesse. Juste de faire au mieux.
- Oui, ça, je peux te le promettre.
Il regarde au loin, puis :
- Dis-moi, est-ce que mon avenir est sombre, ou aurai-je droit à un peu de joie ?
- Je peux te dire que tu auras de grandes joies. Car je suis incapable, je crois, d’écrire des histoires sans espoir.
- Merci.
- Je… je t’en prie.
Il s’en va. Il n’a pas bu son café. Je le bois, moi. Pas sucré, comme il l’aime.
Pardonne-moi, Erik Hellason, ma muse.