Le procès de Renard
« Renard, levez-vous !
—Votre seigneurie.
—Ah non ! Cela suffit, fieffé coquin ! Je ne suis ni seigneur ni évêque. Je suis Maître Blaireau, juge des animaux par votation universelle et je mène les débats de justice entre les rivières de l’Our et de l’Adour. Donnez-moi encore une fois de la seigneurie et j’ordonne que l’on ceigne, moi, votre museau de lierre et de rosier ! »
Le président du tribunal se tourna vers la foule qui acquiesçait en silence.
« Oyez, oyez, peuple des bois et des marais. En ce jour de grâce de l’an 1715, Renard ici présent comparaît devant notre cour pour vol de fromage.
—Il a chu, votre seign…
—Suffit ! Bien mal acquis ne profite jamais et il faudra que vous vous acquittiez d’une peine juste et proportionnée à votre délit ! Maître Pic-Vert assurera la fonction d’avocat général et il semble que vous ayez choisi de vous défendre seul, ce qui n’étonnera personne dans cette honorable assemblée. Je vous laisse la parole, n’en abusez point et surtout ne nous abusez point.
—Ce lundi, commença Renard d’une voix sirupeuse, je vaquais de-ci de-là dans le bois de la coulemelle quand j’aperçus Corbeau tout en haut de son chêne. Comme à son habitude, ce stupide volatile imbu de sa personne feignit de m’ignorer. Savez-vous, votre seign…Maître Blaireau, que Corbeau méprise ceux qui n’atteignent point les nuages ; les sans-ailes persifle-t-il à la moindre occasion.
—C’est un mensonge ! clama Maître Pic-Vert. Corbeau est le plus affable des compagnons et ce fourbe personnage veut le discréditer !
—Continuez, Maître Renard, reprit le juge, mais soyez concis, bref et précis.
—Je ne désirais en aucune façon vous induire en erreur. Je connais votre sagacité, la pertinence de vos jugements, la…
—Suffit ! Continuez !
—Euh, bien. Je découvre Corbeau, disais-je, en haut de son arbre, un coulant dans le bec. À vue d’œil -et j’ai la vue perçante- une vue de lynx me félicitait pas plus tard qu’il y a six mois…
—Maître Blaireau, s’écria le Pic-Vert, vous me pardonnerez l’expression mais il faudrait que Renard cesse de couper les poils en quatre, sinon nous serons encore présents à la nuit tombée ! Bien que parfois rude, je reste toujours courtois, mais la vérité m'oblige à vous le dire : ce Renard commence à me les briser menu !
—On se calme, Maître Pic-Vert, il y a des marcassins et des lapereaux dans cette assemblée. Veuillez surveiller votre langage. Je ne vous absoudrai point si de tels propos sont répétés !
—Pardonnez-moi mais cet individu à la rousse fourrure m’insupporte. Chaque fois qu’il ouvre son joli petit museau, c’est pour leurrer et profiter d’autrui, sans coup férir, tout au moins jusqu’à ce jour.
—Qu’on lui close la gueule ! hurla une belette.
—Silence, fit le juge d’une voix sévère, ou j’évacue la clairière ! Renard, reprenez mais c’est votre dernière chance.
—À vue d’œil, disais-je, un camembert cinq ans d’âge, une pure merveille coulante et parfumée, bref -fit Renard en voyant Blaireau froncer ses sourcils épais et broussailleux- un fromage. À peine m’approchais-je que Corbeau proposa de me le donner, au nom de notre grande amitié…
—Quoi ?! pépia le Pic-Vert, écoutez ce coquin qui moud du sable de rivière en nous faisant croire qu’il s’agit de farine.
—Renard, ajouta Maître Blaireau, sans mentir, si votre verbiage se rapporte à votre pelage, vous êtes la honte de ces bois. Nous avons tous lu La Fontaine et nous connaissons la vérité sur les évènements du bois de la coulemelle. Greffier, veuillez noter : par la présente, Renard est condamné à six jours de pilori. Le bois de la coulemelle lui est désormais interdit et il devra faire vœu de silence durant les huit prochains mois. On aura peut-être la paix. La séance est levée ! »
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