Chapitre 9
Whélos réajusta ses lunettes sur son nez. Enfin, il arrivait à Sheyral. Il accueillit cette vision avec soulagement, ses vieux os commençaient à fatiguer. Bien qu’entraîné au vu des nombreux voyages qu’il avait effectué dans sa vie, il sentait que son corps perdait peu à peu en vigueur, même si sa constitution restait très acceptable. Il empoigna son grand bâton et pénétra dans la petite cité.
Cette ville était principalement marchande, l’Académie de Sorcellerie constituant un pôle attirant beaucoup de monde. Whélos se dirigea vers quelques étalages afin de refaire ses stocks de provision et gagner un peu d’argent en vendant quelques-unes de ses trouvailles. Si ses théories étaient bonnes, l’homme qu’il recherchait se trouvait peut-être ici. Les rumeurs sur la catastrophe survenue à Var lui était parvenue. Un village qui abritait un jeune Sorcier particulier. Var était la prochaine destination du vieil homme.
Whélos était un érudit. Il ne disposait d’aucun pouvoir magique, mais il compensait par un grand savoir sur le sujet. Peut-être que les Dragons avaient laissé des indices après leur passage ? Whélos tenait à cette quête. Il était temps que la Prophétie s’accomplisse, Weylor étant de plus en plus menacé.
Ses stocks à nouveau acceptables, il entra dans une auberge des environs et rejoignit le comptoir. La salle était pleine de monde. Whélos commanda une chambre pour la nuit ainsi qu’un repas. Cela fait, il ressortit, souhaitant profiter du beau temps et de l’animation extérieure.
Il chercha une table libre au milieu des clients qui discutaient joyeusement de choses et d’autres en partageant une boisson alcoolisée. Whélos aimait certes ses voyages, mais revoir un peu de civilisation lui faisait du bien. Voir cette agitation le motivait davantage à chercher un moyen d’accomplir la Prophétie pour sauver Weylor. À son seul niveau, il ne pourrait pas grand-chose, surtout en étant un Sans-Pouvoir. Mais cela ne le freinait pas. Il savait ce qu’il fallait faire.
Il aperçut dans un coin un peu plus éloigné une personne singulière : contrairement aux autres, elle était seule et semblait préoccupée. Une attitude qui dénotait fortement des autres clients. La personne était plutôt jeune et semblait venir d’un milieu plutôt modeste au vu de sa tunique simple d’un vert délavé. Le reste de sa tenue portait dans les tons ocres, et était dans le même état que sa tunique, témoignant d’une jeunesse passée depuis longtemps. Ses cheveux châtains et raides, attachés négligemment au niveau de sa nuque, descendaient jusqu’à ses omoplates. Quelques mèches avaient glissé hors du lien rudimentaire. Un rapide coup d’œil à l’épée dans son dos indiqua à Whélos qu’il s’agissait d’un Sorcier. Ce qui n’avait rien d’exceptionnel ici, mais son sixième sens lui indiquait qu’il tenait peut-être quelque chose. L’attitude de ce jeune homme dénotait trop des autres et ne consommait pas.
Whélos se dirigea vers lui.
— Bonjour, jeune homme, puis-je m’asseoir un instant ? Il fait tellement beau qu’il n’y a plus d’autre place de libre !
Sans surprise, le jeune homme en question sembla se réveiller, reconnectant à la réalité. La surprise passée, il lui fit signe que cela ne le dérangeait pas en lui désignant la chaise libre en face de lui.
Whélos s’installa en soupirant d’aise. Voilà plusieurs jours qu’il marchait sans s’arrêter.
— Avez-vous mangé ? demanda-t-il de bonne humeur. Je me suis commandé un petit quelque chose. Est-ce que je peux vous inviter ?
Son interlocuteur parut embarrassé, mais il ne répondit pas. Il secoua légèrement la tête pour refuser.
— Allez, pour me faire plaisir ! insista Whélos, amusé.
Le Sorcier le regarda étrangement.
— Je sais, ce n’est pas grand-chose de partager une table, mais j’apprécie le geste. Puis j’ose espérer que vous me pardonnerez du dérangement ! Acceptez donc, cela me fera plaisir ! Voilà un petit moment que je n’ai plus parlé à personne, partager donc quelque chose me fera du bien !
Léger rictus amusé sur le visage de son interlocuteur silencieux.
« Tiens donc ? Se pourrait-il que… »
Whélos était à la recherche d’une personne en particulier, devenue introuvable toutes ces années. D’après ses calculs, cette personne devait avoir dans la vingtaine, et en regardant le jeune homme en face de lui, cela semblait plutôt bien correspondre.
« Doucement. Rien n’est certain. »
Il pouvait très bien être tombé sur un introverti atteint d’une timidité maladive ou souffrant d’anxiété sociale.
— Allez, ne te gêne pas ! Ça fait longtemps que je n’ai plus rien partagé avec qui que ce soit, insista Whélos en lui tendant le menu. Et ne sors pas ta monnaie, ou ça va me vexer !
Aussitôt, le mouvement entamé par le jeune homme s’arrêta. Whélos sourit, amusé. Son interlocuteur céda et désigna du doigt ce qui le tentait.
« Aucun réflexe pour répondre par l’oral ? » observa-t-il. « Même un timide maladif m’aurait naturellement répondu ou gémi à minima. »
Quelques instants plus tard, un serveur les rejoignit. Whélos passa commande et paya le serveur à l’avance.
— Je te remercie, fit-il au Sorcier. C’est vraiment gentil de bien vouloir accepter ma compagnie.
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