Chapitre 14 - 2
— Dis-moi, Uriel, que fais-tu aussi loin de chez toi ? questionna Lya.
— Nous sommes une tribu marchande. Il est donc naturel pour nous de voyager très loin.
— Sauf que tu n’as pas l’air d’être un marchand. Où est ta cargaison ?
Elle trouvait décidément étrange d’être tombée sur lui comme par hasard à un moment crucial d’une conversation. Mais le Sorcier ne se démonta pas.
— Je ne le suis pas, en effet, mais rien n’empêche de voyager. Cette ville est principalement marchande. Je suis venu voir les tendances actuelles pour conclure quelques accords. Malheureusement, je vais devoir réviser mes projets.
Lya soupira. Elle se sentait tendue, à la fois inquiète et en colère contre Karel.
« Franchement, tout ça parce que tu n’as rien dit ! À cause de ton silence, te voilà poursuivi par les pires habitants de Weylor ! »
C’était sans compter les deux hommes qui l’accompagnaient. Lya songeait qu’il y avait un peu trop de personnes à la recherche de son frère à son goût, et cela n’était pas sans l’inquiéter. Au moins avait-elle ces deux-là à l’œil. Elle devait prévenir Karel. Mais comment le retrouver dans une cohue aussi dense ?
— Et si nous nous dirigions vers les portes ? proposa Uriel. Il a peut-être trouvé un moyen de s’en aller d’ici. Nous pourrons toujours demander aux gardes s’ils l’ont aperçu.
— C’est à tenter, concéda Lya.
— Oh, je ne crois pas, intervint une voix féminine. Autrement, nous l’aurions déjà capturé !
Le petit groupe se tourna dans la direction de la voix.
— Nom d’un Dragon… jura Whélos, les doigts crispés sur son bâton.
Face à eux, une grande femme élancée aux longs cheveux de feu, les bras recouverts de tatouages tribaux et d’une beauté sauvage, malgré la grosse cicatrice cruciforme en plein milieu de son visage. Sa robe noire ostentatoire couvrait au minimum certains de ses attributs tels que sa poitrine, son ventre plat et ses longues jambes galbées.
Son apparition soudaine affola les passants qui disparurent aussitôt en hurlant que le bouclier de la ville était détruit. Lya et Uriel brandirent aussitôt leurs artéfacts, prêts à se défendre.
— Personne ne sortira de cette ville avant que nous ne le décidions, expliqua la démone, l’air mauvais. Et… Nous avons ardemment besoin que vous fassiez quelque chose pour nous.
— Alors là, tu rêves ! cracha Lya. Retourne dans ton bordel !
— Oh, tu es jalouse ? ricana la femme en face d’elle.
La démone écarta aussitôt les deux hommes avec des lianes de flammes du bout de ses doigts. Elle saisit Lya par le bas du visage et la souleva du sol. La jeune fille dût s’accrocher afin de ne pas étouffer. Comment cette démone avait-elle fait pour pénétrer dans la ville ? Aurait-elle vaincu les Mages de l’Académie qui alimentaient la barrière ? Lya ne voyait que cette explication. Elle n’osa pas imaginer la scène de carnage qu’il devait y avoir quelque part en ville…
Phényxia la scruta de haut en bas d’un œil critique.
— Mh, je comprends. Tu as passé ta majorité, mais tu as encore le corps d’une gamine. Pas étonnant. Un peu de mise en valeur ne te ferait pas de mal. Mais même avec ça, je doute que tu deviennes plaisante pour un homme un jour. Ces immondes taches de rousseur gâchent tout, et ces jambes de cavalière, quelle horreur… Tu n’as pas trouvé mieux pour t’enlaidir ? Quel dommage, il n’y a rien à faire de toi… je devrai te mettre au rebut si tu ne m’obéis pas.
Lya refusait d’imaginer à quoi ressemblait ces rebuts et essaya d’ignorer ces moqueries. Phényxia touchait à un complexe que même son frère n’avait su effacer, et elle ressentit pleinement la présence de l’anneau qu’il lui avait offert en ce sens. Elle se rendit compte qu’elle n’éprouvait aucune peur pour elle-même, mais pour ce que devait lui réserver la Cheffe de Clan.
— Je vous ordonne de lâcher cette jeune fille immédiatement ! menaça Whélos.
Phényxia rit à gorge déployée en resserrant sa prise.
— Comment ? Un Sans-Pouvoir qui ose m’affronter ? Serais-tu suicidaire ?
— J’ai dit : lâche-la ! réitéra Whélos, en jetant vivement un objet dans sa direction.
Phényxia répondit par une vague de flammes. Uriel se jeta sur Whélos en les protégeant d’un bouclier aqueux.
— Whélos, qu’est-ce que vous faites, bon sang ?
— Je sais ce que je fais ! s’insurgea le chercheur. Et au lieu de me protéger, tu aurais pu en profiter pour l’attaquer ! Les sorts jetables coûtent chers, par les Dragons !
Phényxia fut surprise de voir ses flammes presque s’éteindre, ce qui avait épargné les deux hommes. Sans ça, elle aurait pu aisément évaporer ce bouclier aqueux. Un feu, magique ou non, avait besoin d’oxygène pour prendre vie. Phényxia reprit vite son attitude méprisante.
— Un sort pour annihiler momentanément l’air ? Bien tenté, le Sans-Pouvoir… Tu es plus intelligent qu’il n’y paraît. Dommage que tu aies des imbéciles en guise d’alliés.
Lya tenta de se dégager, mais Phényxia la jeta dans des mains aussi larges que sa taille.
— Lâchez-moi ! se débattit-elle avec colère.
Whélos et Uriel voulurent attaquer, mais Phényxia souffla avec élégance sur sa paume et les emprisonna tous les deux dans un cercle enflammé.
— Vous aussi, vous allez servir. Nous allons maintenant parler affaire.
— Hors de question ! riposta Uriel.
Ses bracelets brillèrent. Il invoqua une vague aqueuse pour éteindre les flammes puis une salve d’eau droit vers Phényxia qui tendit un bras pour le repousser avec un vent ardent. Les deux hommes furent soufflés. Le rideau de feu leur lécha la peau et Uriel hurla de douleur. Les attributs spécifiques de sa Tribu étaient très vulnérables à la chaleur.
— Attention, mes chers… ou je risque de vous faire fondre.
Lya donna un coup de tête au colosse qui la maintenait, mais sa prise se resserra et manqua de lui briser les poignets. Une liane de feu la ligota de la tête aux pieds, menaçant de la brûler vive. À la merci de la démone, Lya n’osa plus bouger ni respirer. Il suffirait d’un seul geste à son adversaire pour l’anéantir.
— J’ai dit : nous allons parler affaire, répéta lentement Phényxia, d’un ton qui ne tolérait aucune contradiction. N’espérez pas compter sur les Mages présents ici : nous leur avons… préconisé un repos longue durée, dirons-nous.
Elle appuya ses propos avec une lueur jouissive dans ses yeux jaunes de fauve.
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