Chapitre 14 - 3

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  Les puissantes vibrations d’une explosion déstabilisèrent Karel et Aquilée alors qu’ils approchaient des remparts. L’agitation régnait dans les rues. Le Clan attaquait et les Mages de l’Académie devaient avoir du mal à les contenir. La foule tenta de se disperser, leurs cris de terreur résonnaient dans toute la ville.

— Fuyez ! leur exhorta un garde. Courez, mettez-vous à l’abri, tous les deux !

— Mais que… Que s’est-il passé ? s’inquiéta Aquilée, blême et tremblante. Et le bouclier ?

— Le Clan est venu avec une dizaine de ses membres, dont leur cheffe ! expliqua le garde terrifié. Je ne sais pas comment ils s’y sont pris pour vaincre la barrière de plusieurs personnes ! La ville est perdue, fuyez, avant qu’il ne soit trop tard !

  Ses avertissements donnés, le garde courut dans une autre direction pour évacuer d’autres habitants.

— Non… Ce n’est pas vrai…

  Karel se demanda encore si Aquilée n’était pas la réelle cause de toute cette agitation. Il garda son calme par pure habitude, même si, dans le fond, il n’en menait pas large. Mais perdre son sang-froid ne les sortirait pas de cette situation.

  Soudain, il aperçut au loin les poursuivants d’Aquilée. À leur vue, cette dernière chercha à s’enfuir. Karel l’agrippa vivement par une épaule pour l’attirer derrière un mur donnant sur une petite ruelle étroite et sombre. Avant qu’elle puisse protester, il lui plaqua une main sur la bouche en attendant que ses poursuivants disparaissent. Cela fait, il la relâcha.

— Que… ?

  Karel lui intima de se taire en posant un doigt sur ses lèvres, et la fixa dans les yeux très sérieusement.

« Foncer tête baissée ne t’aidera pas, Aquilée. Ils n’attendent que ça. »

  Une fois certain qu’elle n’agirait pas sans réfléchir, il jeta un œil dans l’allée.

— Bon, d’accord, comment comptes-tu t’y prendre ?

Le jeune homme pointa du doigt les toits.

— Parce que tu sais escalader des murs, toi ?

  Lui non. Lya oui. Sa sœur lui manquerait, c’était certain. Il voulut saisir son artéfact afin de lancer un sort, mais Aquilée l’interrompit.

— Attend, je viens de comprendre où tu voulais en venir. Laisse-moi faire ! Accroche-toi !

  Karel ramassa très vite un peu de terre et laissa Aquilée lui saisir le bras. Elle pointa sa main qui portait son anneau droit vers le ciel. Aussitôt, une rafale de vent les souleva du sol. Ce fut si rapide et si soudain qu’ils furent projetés sur les toits en moins de deux secondes. Karel sauta et courut vers les remparts. Il n’y avait plus de temps à perdre ! Aquilée le suivit, aussi pressée de quitter les lieux.

  Au bout de quelques mètres, Karel aperçut un gouffre beaucoup trop large pour sauter par-dessus sans danger. Le jeune homme devança Aquilée en sortant son épée. Dans son élan, Karel jeta la motte de terre vers le gouffre et pointa son artéfact dans la même direction : une plateforme se créa à partir des particules de terre et Karel la fit léviter avec son pouvoir psychique. Sous le regard surpris d’Aquilée, il bondit rapidement sur sa plateforme temporaire qui se désagrégea dès qu’il atterrit sur le toit suivant.

— Comment… ? s’exclama-t-elle, interloquée en le rejoignant. Deux pouvoirs différents ? Comment cela se peut-il ?

  Elle n’eut pas de réponse. Karel lui saisit le bras pour lui intimer de courir.

« Ce n’est pas le moment de discuter, il faut échapper au Clan du Feu ! »

  Cette fille ne semblait pas avoir beaucoup d’expérience pour se laisser distraire ! Qu’est-ce que le Clan lui voulait ?

  Ils arrivèrent enfin sur le chemin de ronde, désert. Karel reprit de l’élan afin d’atterrir dessus, Aquilée le suivit aisément grâce à ses pouvoirs.

  Karel se pencha par-dessus les créneaux. Ses yeux s’agrandirent de stupeur en voyant ce qu’il y avait tout en bas : des douves de lave suffisamment larges pour empêcher quiconque de sauter par-dessus avaient été créées autour de la ville. Il était incapable de téléporter d’autres personnes, et encore moins en même temps que lui-même. Ce sort était maîtrisé par les Mages.

— Allons-y ! lui intima Aquilée. Il faut que nous partions d’ici tout de suite !

  Au moment où la jeune fille escalada le créneau pour sauter, Karel la tira vivement vers l’arrière. Ne comprenait-elle donc rien ?

— Quoi ? paniqua-t-elle. Lâche-moi, il faut que je fuie cette ville, c’est une question de vie ou de mort !

  Karel lutta. Comment lui faire comprendre que la panique lui faisait perdre ses moyens ? Pour créer ce genre de sort sur une aussi grande distance, même pour des personnes de la trempe des Clans, il fallait s’y mettre à plusieurs. Il y avait donc des membres en-dehors des remparts, derrière cette terrifiante rivière de lave artificielle, prêts à les cueillir.

  L’anneau d’Aquilée brilla. Karel lui plaqua la main contre le sol, l’empêchant ainsi d’utiliser ses pouvoirs contre lui. Aquilée cria, gagnée par la panique. Karel pouvait bien comprendre son désespoir si un Clan était à ses trousses.

— Je ne veux pas mourir… gémit-elle. Je t’en supplie, laisse-moi partir ! Je ne veux pas te faire de mal, mais ne m’y oblige pas, je t’en prie !

« Ne m’y oblige pas non-plus, Aquilée, tu ne les vois pas, mais ils sont là, prêts à t’attraper ! Si seulement je pouvais te le faire comprendre, bon sang ! Tu es cernée ! »

  Karel maudissait de toute son âme son incapacité à parler. C’était vraiment dans ces moments-là que cela lui était le plus insupportable. Il ne pouvait pas en vouloir à Aquilée de ne pas comprendre ses intentions, surtout avec la terreur qui l’habitait.

  Elle se débattit de plus belle. Karel fit de son mieux pour lui immobiliser les bras en esquivant ses coups de pied.

— Lâche-moi, je t’en supplie, laisse-moi PARTIR !

« TU VAS MOURIR, si tu y vas, Aquilée ! »

  Réfléchir, vite. Ils étaient piégés. Que pouvaient-ils faire ? Il était pourtant hors de question de se rendre. Attendre que cela passe n’était pas envisageable non-plus : lorsque les Clans attaquaient, ils harcelaient leurs victimes jusqu’à obtenir ce qu’ils souhaitaient. Ils ne pouvaient donc pas se permettre de mettre en danger la vie des habitants.

  Soudain, une idée lui vint.

« Maître Valkor. »

  Combattre. C’était le seul moyen. Aider Valkor et son équipe à défendre la ville. Ils ne pourraient certes pas faire grand-chose contre les membres du Clan, mais dans une situation pareille, toute aide serait la bienvenue, et l’Apokeraos n’y verrait aucun inconvénient. Si la barrière de ses Mages avait été détruite par le Clan, cela signifiait qu’il y avait sûrement eu des pertes du côté de ses alliés et qu’ils étaient sûrement dominés quelque part en ville.

  Karel se releva et tendit la main vers Aquilée. Il lui jeta un regard sérieux, mais aussi encourageant, espérant lui redonner espoir.

  Aquilée recula, hésitante. Afin d’être plus clair, Karel tira son artéfact de son dos et la tint fermement dans sa main en pointant les échos d’un combat de magie plus loin dans la ville.

— Mais tu es complètement fou ! Comment veux-tu faire face à ces monstres ?

  Karel soupira. Bon, au moins, elle ne pensait plus qu’il souhaitait l’agresser, déjà ça de pris. Il la fixa sévèrement et pointa d’abord un doigt au-delà de la rivière de lave avant de la désigner. Puis il ramena son doigt vers sa gorge pour imiter le signe de la décapitation, ce qui fit frissonner Aquilée. Elle avait désormais compris pourquoi il l’empêchait de partir. Karel n’appréciait pas cette approche, mais la situation ne lui laissait pas vraiment le choix. Il devait adapter ses signes.

  Après un long silence, Aquilée regarda Karel.

— D’accord. J’ai compris.

  Karel s’adoucit et lui tendit de nouveau la main. Aquilée la prit et il l’aida à se relever. Les deux Sorciers coururent le long du chemin de ronde à la recherche des Mages de l’Académie des Sorciers.

  Ce ne fut qu’après plusieurs mètres qu’Aquilée tira Karel par la manche.

— Regarde, un combat se déroule par là-bas !

  Karel opina. Il la prit par le bras et ils sautèrent en bas du chemin de ronde, aidés par Aquilée qui amortit leur chute. Ils se précipitèrent à toute vitesse afin de rejoindre l’affrontement. S’allier à Valkor était leur seule chance.

  Soudain, Aquilée tira vivement Karel en arrière et ils trébuchèrent.

— Attention !

  Karel eut la surprise de voir un rideau de flammes surgir devant eux, juste à l’endroit où il avait posé le pied une seconde plus tôt. Il se releva très vite et jeta un œil à Aquilée, dont l’expression affichait le désespoir et la peur.

  Karel comprit aussitôt ce que cela signifiait. Ils étaient piégés.

« Ne laisse pas tomber, Aquilée ! » lui intima-t-il en la tirant pour la relever. « Il n’est pas question que tu te soumettes ! »

  Aquilée retint ses larmes et ils se collèrent aussitôt dos à dos, artéfacts brandis. Si elle tremblait, son regard violet était désormais déterminé : elle lutterait jusqu’au bout. Cette fois, elle n’était pas seule.

  Une voix s’éleva dans les alentours.

— Oh, regardez donc ce que nous avons attrapé en plus de la fille !

  Les deux Sorciers se tournèrent dans un même mouvement en direction de la voix doucereuse. Aucun des deux ne s’exprima. Karel resserra la garde de son épée comme par réflexe. Rester calme. Analyser. Savoir ce que son ennemi et lui disposaient, jauger le niveau de danger, trouver un plan.

  Karel manqua de défaillir lorsqu’il aperçut une grande femme élancée à l’allure aussi sensuelle que bestiale. C’était comme s’il était sous l’emprise d’un sort de paralysie.

« C’est elle ! C’est elle qui me négociait comme du bétail avec le Maître ! »

  La voir le renvoyait au souvenir le plus douloureux de son passé. Il en était sûr, c’était elle qu’il avait brièvement aperçu parler avec son ancien mentor. Malgré cette cicatrice en croix qui lui barrait le visage, il la reconnaissait. Et elle le fixait avec beaucoup d’insistance.

« Elle n’est pas là que pour Aquilée… » comprit-il. « Toutes ces années, elle me cherchait ? Est-ce que ma vie aurait été marchandée, ce jour-là ? »

  D’après ses souvenirs, la discussion n’avait pas été très amicale entre elle et son ancien mentor.

  D’une démarche provoquante, Phényxia se rapprocha d’eux. Les deux Sorciers ne bougèrent pas, bien que Karel sentît Aquilée faire de son mieux pour ne pas trembler. L’ombre d’un acolyte de Phényxia s’allongea sous leurs pieds. Quelqu’un était donc derrière eux pour leur barrer toute retraite. Karel fixa Phényxia en surveillant le moindre geste de l’ombre qui les recouvrait.

— Jamais nous n’accomplirons vos projets ! cracha Aquilée en tendant la main, prête à utiliser la magie. Si vous voulez les pouvoirs des Dragons, allez les chercher vous-mêmes !

  Karel tiqua : le pouvoir des Dragons ?

« Les Dragons ont interdit l’accès à leurs pouvoirs aux Clans… »

  Il comprit. Ils avaient enlevé Aquilée pour passer devant les Dragons à leur place. Mais pourquoi Aquilée spécialement et pas quelqu’un d’autre, de plus expérimenté ? Elle avait tout juste la majorité, et ne savait visiblement pas comment se comporter face aux dangers !

Suite ===>

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