Chapitre 14 - 4
— Phényxia… demanda une voix grave dans leur dos. Je peux lui arracher la langue ? Elle n’en aura pas besoin pour faire ce qu’on lui demande !
— Nul besoin, répondit Phényxia avec un sourire carnassier. Quoi qu’il arrive, ce petit oisillon ira tenter sa chance devant le Septième.
Elle fixa Karel ostensiblement. Celui-ci fit de son mieux pour rester de marbre. Un sourire cruel s’étira sur les lèvres de la démone. Elle s’approcha des Sorciers jusqu’à se retrouver à leur hauteur.
— Mais ne serait-ce pas « l’Enfant de la Prophétie » que nous avons attrapé dans nos filets ? Tu as bien changé, dis-moi… Pas mon style, un peu frêle pour moi, mais tu feras l’affaire !
L’expression de Karel se durcit, à défaut de pouvoir riposter. Son agacement augmenta face à l’expression amusée de Phényxia. Elle le plaqua violemment contre le mur d’une maison sous un cri de terreur d’Aquilée. Sonné, le jeune homme tenta tant bien que mal de se remettre du choc afin de rester le plus réactif possible. Phényxia se rapprocha encore, il sentit son souffle contre sa peau. Il se glaça quand elle plaqua son corps contre le sien et le saisit par les cheveux. Karel sursauta vivement à la sensation de sa langue qui lui brûla le long de la gorge. Il aurait crié de douleur s’il l’avait pu. Sonné par la souffrance qui paralysait son système nerveux, Phényxia le transperça du regard en s’humectant les lèvres de son sang.
— Que penses-tu à ce moment précis, Petit Sans-Voix ? provoqua-t-elle.
Karel se raidit. Pas question de céder. Ce genre de regard, il avait vu plus impressionnant, et même mieux, il avait grandi avec. Phényxia eut un rictus moqueur.
— Oh… ? Je vois dans tes yeux que tu as bien envie de répliquer, de me dire quelque chose… Quel dommage, n’est-ce pas, Petit Sans-Voix ?
Elle insista bien sur le terme de « Petit ». Karel résista et s’encouragea à ne pas se laisser atteindre par ces mots. Sa volonté fut mise à l’épreuve lorsque Phényxia longea son visage de l’un de ses doigts fins.
— Pauvre petit être… Être obligé de tout subir sans rien… Dire. Tu es obligé de m’écouter t’écraser sans pouvoir te défendre.
Sa colère enfla. Karel détestait tout en elle. Ses mots, ses provocations physiques comme verbales, son mépris total des limites personnelles, et surtout sa manière de le traiter comme son dernier jouet. Il se surprit à trouver d’excellent goût cette grande cicatrice en croix sur le visage de la démone. Ses traits se détournaient ainsi de la perfection. La paralysie passée, il attira son artéfact par télékinésie et attaqua Phényxia, qui esquiva dans un éclat de rire moqueur. Karel se maudit pour son geste : il était évident qu’elle avait l’avantage, tant sur le plan physique que magique.
Sa colère ne reflua pas pour autant. Il en avait assez de ce genre de parole. Karel lutta contre une furieuse envie de se jeter sur Phényxia pour soulager sa douleur, mais cela serait adhérer à son jeu. De plus, elle n’était pas seule.
« Au moins, elle n’est plus sur moi… » soupira-t-il sombrement.
— Assez joué, annonça Phényxia d’un ton qui ne tolérait aucune contradiction. Karel, tu vas te mettre à notre service, et aussi récupérer les pouvoirs des Dragons.
« Non, mais elle est sérieuse ? »
Énervé de s’être fait humilier, Karel abaissa sa lame vers le sol et une crevasse fila comme l’éclair vers Phényxia pour toute réponse. Elle esquiva aisément en bondissant sur le côté.
— C’est tout ? C’est tout ce que le Bâtard t’a appris ? Je suis déçue !
Karel tendit brusquement sa main dans sa direction et envoya une onde psychique pour la repousser, mais son attaque resta sans effet. Le grand gaillard derrière Aquilée ne réagit pas, ce qui était mauvais signe : cela signifiait que sa patronne n’était absolument pas en danger. Phényxia fondit de nouveau sur Karel et attrapa sa lame de ses mains qui rougit dangereusement, tirant une intense grimace de douleur à son propriétaire. Son artéfact brûlant lui échappa au moment où la peau de ses mains se disloquait. Phényxia passa dans son dos et lui bloqua ses poignets avec une force physique difficilement soupçonnable pour une personne de son gabarit. Karel se crispa contre ce contact indésirable dans son dos et ce maudit souffle dans sa nuque. Phényxia pénétra ses ongles dans sa chair en dégageant une chaleur à partir de ses paumes. Karel manqua de défaillir et serra les dents, luttant pour ordonner à ses jambes de le maintenir debout. Ses veines le brûlaient comme si Phényxia y déversait des flammes. Son cœur s’accéléra. Sa vision se brouilla alors que son être se tordait dans la souffrance.
— Non !
Aquilée voulut tenter quelque chose, mais le gaillard robuste la jeta brutalement sur le sol et posa son pied sur son crâne.
— Bouge, et je t’écrase, menaça-t-il, en joignant le geste à la parole.
Phényxia cessa sa torture et rapprocha les lèvres de son prisonnier.
— Nous savons qui tu es, et que tu le veuilles ou non, tu vas devoir l’accepter. Tu vas accomplir cette Prophétie. Sauf que tu ne le feras pas pour Weylor… Tu le feras pour nous. Tu vas raisonner les Dragons avec des acolytes, obtenir leurs pouvoirs, que vous nous céderez bien gentiment après. Simple, n’est-ce pas ?
Karel ignorait comment une telle chose pouvait être possible, mais il se doutait que, pour se donner autant de mal, Phényxia avait dû trouver un moyen pour accomplir ce miracle avant de les prendre en chasse.
— Si tu tiens à la vie, tu as intérêt à m’obéir, ou toute ta petite famille en paiera le prix.
« Je n’ai plus de famille ! »
Il s’en était éloigné pour ce cas précis. Karel se savait concerné par une Prophétie dont il ne comprenait pas le sens, à part qu’elle mettait en danger ceux qu’il aimait.
Phényxia effleura son oreille et saisit sa gorge.
— Tu m’inspires un fantasme. Sache que je trouverai le moyen de te faire hurler, si tu refuses ma proposition.
Karel détourna le regard pour faire comprendre à son ennemie qu’il refusait. La prise se resserra et il se tordit de douleur. Ses jambes manquèrent de céder face à cette souffrance insupportable. Sa vue se brouilla quand il sentit le feu s’intensifier dans ses veines. Au moment où Phényxia ouvrit la bouche pour parler, elle fut interrompue par une voix impérieuse.
— Relâchez ces jeunes gens immédiatement et allez-vous-en !
Enfin, Phényxia le libéra. Karel se sentit soulagé. Au moins, cette chaleur désagréable n’était plus, bien que des traces rouges marquaient ses poignets à présent. Il tourna la tête en direction de la voix et aperçut le Directeur de l’Académie.
Malgré le poids de l’âge, il avait toujours une allure aussi imposante : son long corps de serpent émeraude occupait l’espace, ses yeux verts brillaient d’une lueur menaçante, et ses grands bois en ajoutaient à sa présence imposante. Il portait une épée dans une main. Son attitude indiquait qu’il ne plaisantait pas, surtout avec cette lueur de rage profonde qui animait ses yeux.
— Tiens, encore debout ? ricana Phényxia en lui faisant face.
L’affrontement entre eux avait dû être acharné : le bouc blanc de Valkor était partiellement tâchée de sang vert, de même que ses cheveux argentés, et de nombreuses blessures parsemaient son corps. Sa tenue était brûlée par endroits. Pourtant, Karel le trouvait encore impressionnant, au vu de sa stature, de son regard et de ses muscles encore taillés pour le combat malgré son âge avancé.
Valkor envoya une onde de choc qui sonna tout le monde, ennemis comme prisonniers. Son corps reptilien attaqua le sbire de Phényxia qui ne put esquiver. Il se défendit en saisissant le corps de serpent à deux mains et usa d’un sort pour le brûler de l’intérieur, arrachant un cri de douleur à son propriétaire. Valkor esquiva une attaque simultanée de Phényxia qui carbonisa le sol là où il s’était trouvé l’instant précédent.
Phényxia esquissa un large sourire, comme si elle se délectait de la scène.
— Arrêtez ! hurla Aquilée en se relevant.
Des blocs de pierre surgirent du sol et frappèrent de plein fouet l’homme du Clan, déjà déséquilibré par Valkor. Karel, accroupi sur le sol et une main dessus, y mit toute la puissance qu’il put. Il ne pouvait pas vaincre ces gens, mais peut-être au moins les déstabiliser. Son attaque fut suffisante pour permettre à Valkor de se libérer. À temps pour créer un puissant bouclier psychique contre lequel vint se heurter Phényxia.
Karel jeta un regard entendu à Aquilée : ils allaient distraire le compagnon de Phényxia afin de l’empêcher de s’attaquer simultanément à l’Apokeraos.
Aquilée repoussa le colosse avec un mur de vent et Karel fit surgir des racines qui ligotèrent leur adversaire de la tête aux pieds. Sans surprise, le démon les réduisit en cendres. Karel le harcela en faisant surgir d’autres racines pour aussitôt remplacer les précédentes. S’il gérait bien ses capacités magiques, il avait une chance de tenir le temps que Valkor mette Phényxia hors d’état de nuire et s’occupe de son compagnon.
— Vous êtes la lie de Weylor ! rugit Valkor. Je vous ordonne de quitter la ville immédiatement !
Il assena un large coup d’épée vers l’avant, que Phényxia esquiva.
— Pas avant d’avoir récupéré ce que je suis venue chercher ! cracha-t-elle.
Le corps serpent surgit pour la ligoter afin de lui broyer les os. Valkor serra ses anneaux de plus en plus fort à ses risques et périls : avec les Clans, il ne fallait jamais y aller à moitié. Phényxia s’enflamma et blessa grièvement son adversaire. Valkor invoqua juste à temps une membrane psychique autour de son corps afin d’absorber la majorité des dégâts. Phényxia en profita pour dégager ses bras et concentrer ses flammes le long de ceux-ci. Des lianes de feu surgirent comme s’il s’agissait d’une extension d’elle-même. Elle ligota son ennemi qui grimaça sous l’intensité des brûlures. Phényxia afficha un sourire cruel.
— Dis-moi, le vieux, cela fait combien de temps que tu n’as plus changé de peau ? Je peux t’y aider, si tu le souhaites !
Valkor serra plus fort et maintint son bouclier psychique pour résister à la morsure des flammes. En dépit de ses efforts, le feu lui dévora la peau au travers de ses écailles noircies. Il avait beau resserrer son étreinte, Phényxia ne semblait pas manquer d’air. Ses os ne cédèrent pas d’un pouce.
— Laissez-nous tranquilles ! intervint Aquilée.
Rapidement, elle créa une lame de vent vers Phényxia et une autre vers le sbire qu’elle affrontait avec Karel.
Phényxia souffla et la lame de vent prit feu. Dans la même seconde, elle attira Valkor en plein dans la trajectoire du rideau de flammes sans laisser le temps à quiconque d’intervenir, sous le hurlement désespéré d’Aquilée. L’acolyte de Phényxia profita de la fraction de seconde où les Sorciers étaient paralysés par le choc pour jeter Aquilée au sol et immobiliser Karel en lui bloquant fermement les bras dans son dos.
— Un pas de travers, et je fais fondre tes frêles os, le menaça-t-il. Je ne joue pas comme ma maîtresse, je préfère consommer directement !
Un bruit sourd se fit entendre. Phényxia laissa retomber le corps meurtri de son adversaire. À la grande surprise de tout le monde, Valkor remuait encore, bien que faiblement : ses brûlures étaient si graves qu’il ne parvenait plus à se relever.
Phényxia s’éloigna et se replaça face à Karel. Son homme de main le saisit brutalement par les cheveux pour l’obliger à relever la tête. Phényxia saisit le menton de Karel.
— Rentre-toi ça dans le crâne : tu m’appartiens, désormais. Je te le répète : accepte d’accomplir cette mission pour nous, avec l’aide de cette fille, où j’anéantis toutes les personnes auxquelles tu tiens.
Karel hésita, encore choqué de voir Valkor, la légende vivante de Weylor, à terre. Phényxia n’avait pas une seule égratignure. Les Clans ne déméritaient pas leur sombre réputation. Si même Valkor et son équipe, pourtant expérimentés, n’avaient pu avoir le dessus…
Valkor se redressa sur les coudes avec difficulté et croisa son regard.
— Refuse, lui ordonna-t-il par télépathie. Tu ne dois rien accepter d’eux ! Fuis, et ne t’en fais pas pour moi.
Le jeune homme lança un regard lourd de sens à Phényxia. Le dédain anima son visage, mais au moins elle le relâcha enfin.
— Toujours pas convaincu ? Très bien. Alors voyons si cela pourra te convaincre !
Elle fit signe à son acolyte, qui fit apparaître trois personnes à l’aide d’un sort jetable. Le cœur de Karel se glaça à la vue de Lya.
« Qu’est-ce que tu fais ici, pauvre idiote ! »
La colère l’anima, à la fois contre ce Clan et Lya qui s’était mise en danger. Phényxia se jeta sur Lya qui n’eut pas le temps de se débattre : la cheffe de Clan l’immobilisa et invoqua une lame de flammes en extension de son doigt, quelle posa sur la gorge de sa prisonnière.
— Karel, si tu tiens à cette fille, tu vas devoir m’obéir. Tant que tu le feras, elle aura la vie sauve, ainsi que le reste de ta misérable et insignifiante petite famille !
Lya se débattit, mais Phényxia l’immobilisa en lui enfonçant ses ongles dans sa gorge. Lya signifia d’un regard à son frère de ne pas accepter malgré-tout, mais Karel se résigna.
« Non… Ça… je ne peux pas… Pas elle… »
Vaincu, il baissa la tête en signe d’assentiment. Il venait de se condamner. Le problème, c’était que Lya l’était aussi.
— Bien, fit Phényxia en faisant disparaître sa lame enflammée. Eau, feu, terre, vent, et un vieux savant. Les éléments de la Prophétie sont réunis. Je vous laisse tous faire connaissance. Peu m’importe la manière dont vous vous y prendrez. Dirigez-vous vers la Tour du Vent et défiez le Dragon. Ne tentez surtout pas de nous doubler. Nous surveillerons vos faits et gestes de loin.
Sur ces mots, elle poussa brutalement Lya dans les bras de Karel et disparut avec son acolyte.
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