Chapitre 17
Monts de la Mort, 12 ans plus tôt.
Haletant, Karel avait l’impression de cracher ses poumons, les mains appuyées sur ses genoux. Il avait beau avoir l’habitude d’être souvent poussé jusqu’à l’épuisement, il doutait de s’y faire un jour. Lorsqu’enfin, son mentor annonça la fin de l’entraînement, l’adolescent se laissa tomber à même le sol sombre, se contrefichant de ce que son mentor pourrait penser. Cette fois, ses remarques lui passeraient au-dessus. Son corps était en feu, le moindre de ses muscles lui était douloureux. Comment faisait le Mage pour ne pas paraître épuisé ?
Sentant son regard peser sur lui, Karel se fit violence pour se relever : c’était vrai, après chaque séance, il devait encore solliciter sa mémoire afin d’analyser tout ce qu’ils venaient de faire avec le plus de recul possible, afin d’apprendre de ses erreurs.
Il se redressa et aperçut le Mage qui attendait sa réponse, encore debout face à lui et les bras croisés. Lui expliquer qu’il était trop éreinté pour réfléchir de manière convenable ne serait donc pas une réponse acceptée.
— « Tu as paniqué. Tu ne dois jamais te laisser envahir par la peur. » lui signa le Mage.
Karel soupira de dépit. Il ne savait plus quoi faire à ce propos. Il avait pourtant essayé. Il fixa le Mage droit dans les yeux et lui demanda comment s’affranchir de la peur et comment ne plus la ressentir.
Le Mage ne s’adressa à lui qu’après un long moment de silence.
— « On ne peut pas. »
La frustration envahit Karel aussi vite qu’un éclair. Agacé, il jeta un regard noir au Mage et lui reprocha de lui imposer des exercices impossibles. Le Mage l’arrêta d’un signe de la main.
— « On ne peut que l’affronter et la transformer en une force qui nous permettra de toujours plus nous surpasser. La peur est une faiblesse uniquement si c’est elle qui nous surpasse. Si tu es effrayé, c’est parce que tu sais qu’il te manque le moyen de l’affronter. Alors il ne te reste plus qu’à trouver ce moyen, ce qui contribuera à te faire grandir et évoluer tout au long de ta vie. »
***
Ère actuelle, ville de Sheyral.
Après avoir terminé de rassembler le peu d’affaires qu’il avait emporté, Karel rejoignit Aquilée, qui n’osait plus sortir de la chambre de l’auberge. Elle n’avait plus prononcé un mot depuis l’attaque de Phényxia. Lorsque Karel frappa doucement à sa porte, la jeune fille détourna aussitôt son regard en faisant mine de terminer de rassembler ses affaires, déjà empaquetées.
— Je… Je suis désolée, de t’avoir caché la vérité.
« Ce n’est pas de ta faute… »
Après une seconde d’hésitation, Karel s’approcha et lui posa une main rassurante sur son épaule. Aquilée se dégagea d’un mouvement sec.
— J’ai été tellement stupide !
Karel fut frappé par la colère qu’elle exprimait au travers de ses yeux violets.
« Mais c’est normal de refuser d’être un pion voué à être sacrifié… Aquilée, tu n’as rien fait de mal… »
— Qui peut échapper à ces maudits Clans, après tout ? J’ai osé avoir la prétention de le croire ! Voilà où ça m’a menée ! J’ai encore de nombreux morts innocents sur la conscience ! Et comme si ce n’était pas assez, je les ai conduits à… à toi.
Karel ne répondit pas, occupé à encaisser la tourmente d’Aquilée.
— Karel, je te jure que j’ignorais qui tu étais ! Je ne voulais pas de cette situation, je…
Le jeune homme leva une main pour la couper dans son élan.
« Je ne sais pas qui tu es dans ta Tribu, Aquilée, mais tu dois avoir un statut suffisamment important pour que la pression de Phényxia fonctionne. S’ils interviennent, vous serez tous massacrés… tu as fait ce que tu as pu pour protéger tout le monde. »
Karel se contenta d’afficher une expression sereine, en espérant qu’Aquilée comprendrait qu’il la croyait et qu’il n’avait aucune raison de lui en vouloir. Il avisa une bougie allumée, posée sur la table de chevet. Il humidifia son index et son majeur et moucha la petite flamme en regardant Aquilée droit dans les yeux.
Elle afficha un léger sourire, bien que difficile.
— Tu… Tu crois vraiment que nous pourrons échapper à Phényxia ?
Karel acquiesça, soulagé que son message, du moins l’essentiel, eut été compris.
— Tu… Phényxia ne te fait donc pas peur ?
Karel ne sut comment lui répondre. Sans comprendre la langue des signes, c’était difficile.
— Excuse-moi… Sincèrement. Je reformule : as-tu peur de Phényxia ?
Karel lui envoya un regard reconnaissant : cela faisait du bien de rencontrer des personnes qui ne le prenaient pas pour un diminué mental lorsqu’elles faisaient face à son problème. Il répondit d’un simple signe affirmatif de la tête : bien sûr qu’il avait peur. Mais il ne pouvait pas accepter de se résigner.
Aquilée sembla comprendre et, après une seconde de silence, elle lui offrit un léger sourire.
— Merci, Karel.
Ils quittèrent la pièce afin de rejoindre les autres membres du groupe au rez-de-chaussée. Ils quittèrent la ville en direction du sud, vers la Forêt de l’Air.
Un peu plus tôt, Karel avait convenu avec Lya de garder leur code télépathique secret. La jeune femme lui avait pourtant indiqué que les autres étaient dignes de confiance, mais son frère préférait rester prudent. La présence d’Uriel le perturbait, sans être capable de savoir pourquoi. Mais Karel ne pouvait s’empêcher de se dire que rien n’était dû au hasard. Lya lui avait raconté son périple. Comme elle, Karel trouvait étrange qu’elle ait aussitôt été rejoint par deux inconnus lorsqu’ils avaient su qu’elle lui était reliée.
Karel fit signe à Lya.
— Whélos, pouvez-vous nous en dire plus sur la Prophétie ? traduit-elle.
— À condition de me tutoyer !
Lya afficha une expression amusée.
— Si c’est tout ce qu’il faut…
— Mais avant ça, fit le chercheur. Je pense qu’il serait judicieux d’apprendre un peu le langage de Karel. À la longue, cela risque de ne pas être pratique que tu traduises tout le temps !
Karel se sentit gêné. Encore une fois, il avait l’impression de s’imposer d’une manière déplaisante. Lya lui assura d’un regard que tout allait bien.
— Pas de problème ! répondit-elle. Commençons déjà par l’alphabet ! Ça sera un bon point de départ ! Vous êtes prêts ?
« Attends… pourquoi Whélos a aussitôt dévié le sujet ? »
Le jeune homme ne pensait pas que le chercheur avait de mauvaises intentions, mais une chose était certaine, il en savait bien plus qu’il ne le disait.
Uriel le rejoignit et lui tendit la main.
— Nous sommes dans la même galère. Soyons amis, au moins jusqu’à pouvoir nous en sortir, tu veux bien ?
Karel hésita pendant une demie seconde, mais répondit au geste.
« Pourquoi sa présence me dérange ? Il ne m’a rien fait, cette sensation est stupide… Uriel s’est fait enrôler de force comme nous, qu’aurait-il à se reprocher ? »
Ou alors, sa gêne venait de son malaise à se retrouver en groupe, et non de son sixième sens qui l’alertait que quelque chose n’allait pas ?
Uriel avait de l’assurance et une attitude bien détachée par rapport à la situation.
« C’est peut-être sa façon de gérer cette pression. » se convainc-t-il.
Karel s’ordonna d’être raisonnable : pour sauver leurs cinq vies, ils devaient coopérer. Sinon, pourquoi Phényxia aurait-elle pris la peine de les rassembler ?
« Ce doit être mon imagination. Nous avons tous passé une journée difficile, mes sens doivent être altérés. C’est juste moi qui ne sais pas comment me comporter, comme souvent… »
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