Chapitre 24 - 1

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100 ans plus tôt.

  Un craquement sinistre déchira le ciel pourtant illuminé par un soleil éclatant. Sur la plaine bordant la ville de Winror, les échos de l’orage invisible résonnèrent jusqu’aux bois alentours.

  Un éclair aveuglant surgit de nulle part et rejeta un corps sur la terre brûlante dans une mare de sang argenté.

  Le contact de l’air chaud sur son bras droit éventré acheva de lui faire reprendre connaissance. Aveuglé par cette lumière intense, Sang-Mêlé grimaça. La moindre parcelle de son corps était paralysée par la souffrance. La vue trouble, il peinait à retrouver ses esprits.

  Un gémissement de douleur lui échappa et l’affolement le gagna. La peau sur sa main gauche se consumait de la même manière qu’un papier à l’approche d’une flamme. Pourtant, il n’avait jamais craint la lumière du jour. Son corps se consumait dangereusement comme un livre ancien se désagrégerait au contact de l’air après de nombreuses années de conservation.

  Affolé, l’esprit embrumé, il agit sans réfléchir. Sang-Mêlé appela ses pouvoirs malgré le risque d’en perdre le contrôle. Des sillons argentés recouvrirent l’intégralité de son corps, décuplant la morsure du feu.

  Incapable de maîtriser son corps ni ses pouvoirs, il hurla d’agonie alors qu’une enveloppe blanche le submergea et l’aveugla. Ses entrailles lui donnaient la sensation d’exploser les unes derrière les autres. Le sang dans sa bouche manqua de l’étouffer. Son bras lui donnait l’impression de se faire pilonner.

  Tout devint noir et il succomba aux ténèbres.

Quartier pauvre de Winror.

  Sa conscience émergea. Il se sentait lourd, si lourd… Il avait la désagréable impression qu’une caravane de chariots lui avait roulée dessus. Enfin, il retrouva la sensation d’avoir un corps. Une douleur torturait son bras droit. Son esprit était embrumé comme s’il se réveillait d’un très long sommeil.

  Il recouvrit enfin la vue. Au-dessus de sa tête, un toit de tôle. La température y était désagréable.

  Désorienté, ces lieux ne lui disaient rien. Des vertiges le malmenaient. Il attendit que ses souvenirs reviennent, mais rien ne vint. Un malaise l’envahit alors qu’il découvrait qu’il ne se souvenait de rien. Ni même de son nom.

« Qui suis-je ? D’où je viens ? Pourquoi suis-je blessé ? Pourquoi je me sens aussi… vide ? »

  Une autre sensation plus préoccupante le gagna. Pourquoi se sentait-il aussi épuisé nerveusement ? Une colère sourde et puissante grondait au creux de ses entrailles, prête à exploser tel un volcan sur le point de se réveiller.

« Mais pourquoi ? Pourquoi j’éprouve une telle colère ? »

  Il eut beau forcer sa mémoire à se rappeler, rien ne lui vint. Ce poids était comme un poison qui le dévorait de l’intérieur. Ne pas en connaître la raison le perturbait.

  Lentement, il prit appui sur ses mains pour se redresser mais un élan de douleur sur son bras l’interrompit.

— Eh, on n’a pas énormément de moyens, alors si tu pouvais éviter de casser tout mon travail, ça serait sympa, merci !

  Une voix de femme au ton désagréable. Il ne répondit pas et se contenta de se redresser à moitié pour procéder à un examen de lui-même. Peut-être trouverait-il des indices sur ce qui s’était passé ?

  Il nageait dans ses vêtements. Des haillons. Cette tenue était dans un tel état de délabrement qu’il se demandait ce que ça avait pu être avant. Une simple cordelette faisait office de ceinture et ses pieds étaient nus. Sa peau était aussi blanche que la neige, et cette pâleur ne semblait pas provenir de son état. Il jeta un œil à sa main gauche : une main fine, des doigts longs pourvus de courtes griffes blanches.

« Non-humain, donc. »

  Il passa sa main sur l’une de ses oreilles : pointues.

« Un elfe, peut-être ? Non… les elfes n’ont pas de griffes. Un démon ou autre chose, alors. »

  Il releva enfin les yeux vers la voix. Peut-être que cette personne lui apporterait une réponse. Une humaine dans la soixantaine lui faisait face. Ses longs cheveux noirs parsemés de mèches blanches étaient retenus par un bandana rouge. Ses yeux sombres le fixaient avec un mélange de curiosité et de méfiance.

  Le blessé se découvrit une vue perçante lorsqu’il aperçut son reflet avec une netteté surprenante dans les yeux de son interlocutrice. Il dépassait à peine la vingtaine d'années. Des cheveux raides et bleus comme le ciel lui descendaient jusque sous ses épaules et encadraient un long visage fin. Ses yeux étaient particuliers. En amande, pupilles verticales comme les animaux, iris rouge orangé sur sclère rouge. Un regard perçant et froid que sa pâleur faisait d’autant plus ressortir.

« Un hybride ? » s’étonna-t-il. « Mais de quelles ascendances ? »

  Il posa un regard sur son bras droit, caché sous un bandage rudimentaire de l’épaule jusqu’à son poignet.

« Que m’est-il arrivé ? »

— Cela fait plusieurs jours que tu es inconscient, lui expliqua la femme en lui tendant un bol d’eau.

  La méfiance s’empara de lui alors qu’il acceptait l’offrande. Il porta le bol à ses lèvres sans lâcher cette inconnue des yeux et profita de son action pour essayer de se souvenir. Qui était-elle, que faisait-il ici ? Amie, ennemie ? Que savait-elle sur lui ?

— C’est mon fils qui t’est tombé dessus lors d’une chasse. À ce qui paraît, ce n’était pas beau à voir… On peut savoir d’où tu sors ?

  Le blessé la regarda et mit un très long moment avant de répondre. Il posa le bol désormais vide sur le sol.

« Bonne question. »

  Son esprit était aussi vide qu’une page blanche. Une bibliothèque dépouillée de toutes ses connaissances même les plus simples. C’en était frustrant.

— Je l’ignore, répondit-il enfin.

  Son hôte sembla réfléchir. Il resta sur ses gardes. Cette femme, il en était sûr, en savait bien plus que ce qu’elle voulait dire. Sans être capable de se l’expliquer, il ressentait son pouvoir psychique. Elle avait certainement lu dans son esprit pendant son coma, sans parvenir à trouver de réponses au vu de l’amnésie dont il était atteint. Toutefois…

— En revanche, vous, vous avez des doutes.

  Il ignorait comment il en était arrivé à cette conclusion. Peut-être le regard de cette femme, son instinct, quelque chose comme ça.

— En effet, admit-elle. Mais je n’ai que trop peu d’hypothèses pour arriver à une théorie fiable. Cette réponse devra donc attendre. Tu ne te souviens vraiment de rien ? Même pas de ton nom ?

— Pour être honnête, je comptais sur vous pour me le dire.

— Je l’ignore, répondit son hôte. Moi, c’est Hinama. Mon fils, c’est Roan. C’est lui qui t’a amené ici.

« Quelque chose ne va pas. Pourquoi cette méfiance dans son regard ? Qu’a-t-elle trouvé sur moi pour se comporter ainsi ? Pourquoi refuse-t-elle de partager le peu qu’elle a découvert ? »

  Portait-il un secret dangereux ? Toutes ces questions le frustraient. Il plongea son regard dans le sien.

— Qui suis-je ? demanda-t-il cette fois avec un sérieux intense.

— Je te l’ai dit, je n’en sais rien pour l’instant, répondit Hinama d’un ton catégorique. Et si ça se trouve, mes suppositions sont totalement fausses.

— Dans tous les cas, vous avez l’air d’en savoir plus sur moi que moi-même.

— À part le fait qu’il est étrange de trouver quelqu’un comme toi dans tout Weylor, je ne sais rien d’autre, affirma Hinama. Alors inutile d’insister. Tu ne ressembles à aucun Clan, ni à aucune Tribu. Mon fils t’a trouvé baignant dans ton propre sang dans des lieux censés être habités que par des animaux, avec un bras éventré. Un sang bien étrange, d’ailleurs… Tu en as tant perdu que personne n’a pu te soigner. Peut-être est-ce ce choc que tu as reçu qui t’a rendu amnésique, je n’en sais rien. En attendant, Amnésis, va falloir que tu te contentes de la situation au moins le temps de te remettre de tes blessures, et sans nous causer d’ennuis.

— Qu’est-ce que ce sobriquet ?

— Un moyen plus pratique de te désigner en attendant que tu retrouves tes esprits, jeta Hinama en haussant les épaules.

  Sur ces mots, elle se releva et disparût dehors sous le regard de l’hybride. Il jeta un coup d’œil à la cabane. Encore pris de vertiges, il entreprit de fouiller les lieux à la recherche d’éventuels indices. Il fouilla le moindre recoin, la moindre cachette potentielle, mais ne trouva rien. Une latte grinça. Il souleva un coussin du sol et aperçut une planche mal alignée. L’hybride la souleva et découvrit une cachette. Vide.

« La garce ! »

  Il replaça avec dépit la latte. S’il possédait quelques effets personnels, Hinama les avait emportés avec elle. Il fixa le seuil de la cabane, là où elle avait disparu.

« C’est suspect. »

  Hinama détenait la clé de ses souvenirs, c’était sûr et certain. Si elle refusait de prendre le risque de l’aider à les recouvrir, cela signifiait que ceux-ci devaient contenir des informations compromettantes.

« Tu perds ton temps, Hinama. Sache que je trouverai un moyen de te forcer à me rendre ce qui m’appartient. Je retrouverai mes souvenirs, que tu le veuilles ou non, de gré ou de force. À toi de choisir. »

Suite ===>

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