Chapitre 24 - 4

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  En dépit des cris et des pleurs, Amnésis demeura insensible. Si jusqu’à présent, les humains s’étaient accommodés de sa présence, certains le regardaient désormais avec crainte. Il n’y prêta pas attention, plongé dans ses réflexions.

  Ces hommes reviendraient. Il ne pouvait pas rester plus longtemps. Amnésis devait absolument savoir pourquoi il était poursuivi. Sans surprise, Hinama s’était hâtée de disparaître.

« Tu n’iras pas loin. Tu vas respecter ta part de notre marché, de gré ou de force. Pas après les risques que j’ai pris. »

  Il se dirigea vers la cabane d’Hinama lorsque Roan l’arrêta. Il transpirait et était blessé au bras.

— Tu as été incroyable !

— Ton bras, ordonna Amnésis en lui tendant la main.

— Ah, ça, ne t’inquiète pas, ce n’est rien ! Ça va guérir très vite ! Un pillard m’a blessé, mais j’ai réussi à lui régler son compte.

— Donne.

  Il ne lui laissa pas le loisir d’y réfléchir. Il saisit son bras et se concentra. La magie afflua dans ses veines. Son pouvoir sonda chaque parcelle de tissu déchiré. Lentement, il rapprocha les chairs et puisa dans l’énergie de Roan afin de les ressouder. Roan écarquilla les yeux, impressionné.

— Comment fais-tu ça ? C’est bien la première fois que je croise quelqu’un qui maîtrise plusieurs magies !

— Je ne sais pas, ça me vient sans réfléchir, répondit Amnésis en le relâchant. Mais ne te méprend pas. Ton bras n’est pas guéri, j’ai juste refermé la plaie. Cela t’évitera au moins de perdre trop de sang.

— Ta main…

— Une égratignure, fit Amnésis en haussant les épaules. J’ai eu pire.

— Tu te fiches de moi, tu saignes beaucoup plus que moi !

— J’ai dit : t’occupe, répéta Amnésis cette fois sur un ton plus autoritaire qu’il ne l’aurait souhaité. Tu en as assez fait.

  Pourquoi se sentait-il gêné par autant de sollicitude alors qu’un bain de sang ne l’ébranlait pas ?

— Bon. Dans ce cas, merci infiniment pour ce que tu as fait, ajouta Roan. Je t’en suis très reconnaissant.

  Amnésis devint silencieux. Son regard se perdit dans le vague.

— Est-ce que ça va ? s’inquiéta Roan.

— C’est vraiment étrange, comme sensation. J’ai… l’impression que c’est la première fois que j’entends ces mots. J’ignore ce qu’ils signifient.

— Tu n’as toujours pas recouvert la mémoire, ça doit être pour ça !

— Non. Il y a une nuance entre ignorer et ne plus se souvenir, Roan.

— Eh bien, il faut bien une première fois à tout, alors. La reconnaissance, ça te parle ?

— Pas vraiment.

— Cela veut dire que je suis content que tu aies agi de la sorte. Cela me touche.

— N’est-ce pas exagéré ? s’étonna Amnésis. Parce que tu sembles bien être le seul à avoir apprécié l’effort.

— Au contraire, sourit Roan. En quoi tes actes ont été différents des miens, aujourd’hui ? Moi aussi, j’ai tué des hommes pour nous sauver. Pourquoi devrait-on me regarder comme un héros alors que je viens de commettre les mêmes crimes que toi pour sauver les autres ? Et ne me réponds pas parce que je suis humain et que l’on me connaît par ici. Nos actes ont été les mêmes. Seules les méthodes ont été différentes.

  Il ne sut pourquoi les mots de Roan l’affectaient. Sa façon d’appréhender le monde tranchait avec la sienne, et Amnésis trouvait dans cette simplicité une opposition intéressante à sa propre façon d’aborder les choses. Il y avait peut-être un équilibre à trouver entre les deux.

Après un court silence, il regarda Roan.

— Tu vois. Il n’y a pas besoin d’être hautement instruit pour voir au-delà des apparences, releva Amnésis.

— C’est sympa de me dire ça. Bon, je vais aller aider les autres. À plus tard !

  Amnésis attendit que Roan s’éloigne de la cabane d’Hinama. Il déchira un bout de ses haillons pour s’en envelopper la main gauche et reprit son chemin.

Lorsqu’il franchit le seuil, il la vit, assise en tailleur à même le sol. Il lui jeta un regard menaçant.

— Je suis venu réclamer mon dû, Hinama. Donne-moi ce que tu m’as promis.

  D’un geste, elle l’invita à s’installer en face d’elle. Amnésis s'exécuta et toisa son hôte.

« Comme il est étrange, de me dire qu’il y a quelques jours à peine, j’étais ici-même en position de faiblesse. Voilà qui n’est pas déplaisant. »

— Pas la peine de me servir ces grands airs, lui jeta Hinama. Je vais tenir parole. Mais je ne te garantis pas les effets.

— Arrête de tergiverser. Viens-en au fait. J’ai assez perdu de temps comme ça. Que m’as-tu volé ?

  Un silence pesant s’ensuivit. Hinama fouilla dans une petite besace qu’elle gardait toujours sur elle, d’où elle sortit plusieurs objets.

— Voici ce que j’ai trouvé, expliqua-t-elle en étalant les différents objets entre eux deux. Tu es vraiment quelqu’un de singulier.

  Une dague elfique dont le manche était épaissi avec une bande de tissu, un pendentif accroché sur une fine chaîne en argent représentant un dragon à sept têtes. Enfin, cinq écailles noires de petite taille et bordées de rouge s’exposaient sous ses yeux.

  Amnésis comprit mieux pourquoi Hinama s’était méfiée de lui et pourquoi elle avait pris la décision de les dissimuler, le temps d’en savoir plus. À sa place, il aurait fait la même chose. Outre la dague, le pendentif et les écailles sortaient de l’ordinaire. D’où provenaient ces objets ?

— Est-ce tout ce que je portais ? s’étonna-t-il.

  N’avait-il pas un sac avec des provisions ou de quelconques autres objets pouvant faciliter d’éventuels voyages ? S’il avait des capacités en combat, n’avait-il pas une sorte d’armure, ou même quelque chose pour porter cette dague autrement qu’à la main ? Était-il réellement si bas dans l’échelle sociale ?

— Oui, confirma Hinama. Tu dois me croire. Des souvenirs te reviennent ?

— Non.

— Touche-les, alors, ça provoquera sûrement quelque chose, conseilla-t-elle. Tu es bien la première personne que je surprends avec des écailles de dragon sur elle.

— Ce ne sont pas des écailles de dragon.

— Tiens donc, tu commences à te souvenir ? Cela y ressemble pourtant.

— Non. C’est autre chose.

— À quoi le vois-tu ?

  Amnésis prit le temps de la réflexion. Pourquoi attestait-il avec autant d’assurance qu’il ne s’agissait pas d’écailles de Dragon ? Des images affluèrent enfin dans sa mémoire. Il s’immobilisa, surpris.

  Une forme floue et de taille titanesque lui faisait face. Amnésis manqua d’air lorsqu’il reconnut Vohon’, le Dragon rouge.

« Comment ai-je pu être en contact avec un Dragon ? »

  Cela ne pouvait pas être possible… Incapable de trouver la réponse, Amnésis se recentra sur la question d’Hinama et analysa son début de souvenir.

— Au visuel et à ce qui s’en émane. Les écailles des Dragons sont bien plus grandes, au moins de la taille de deux poings, et plus épaisses. Les Dragons Fondateurs émanent quelque chose de grandiose. Rien ne se dégage de ces choses sous nos yeux. Cela ne leur appartient pas. J’ai du mal à déterminer de quoi il s’agit.

  Ses souvenirs commençaient à revenir. C’était bon signe.

— Le collier aussi, m’a interpelée. Le matériau qui le compose n’existe pas chez nous.

— Parce qu’il est fait en écailles de Dragons.

  Un autre silence tomba entre eux. Amnésis se figea.

« Pourquoi je possède un objet aussi puissant ? Est-ce une sorte d’artéfact ? »

— Tu as donc bel et bien rencontré au moins l’un des Sept dans ta vie. J’avais vu juste. Tu es lié aux Dragons d’une manière ou d’une autre, et c’est la raison pour laquelle on te poursuit.

« Il est temps de savoir. »

  Amnésis écarta les doigts de manière à effleurer les trois lots en même temps. Une décharge le saisit, mais il résista à l’envie de se retirer. Des maux de tête le prirent alors que le monde disparaissait autour de lui.

  Toute sa vie antérieure défila sous ses yeux. Il se découvrit sous une apparence différente. Un demi-elfe vivant enchaîné et torturé, à la peau cendrée et aux longs cheveux noirs. Il ressentit le poids de ces chaînes, la violence de son esprit brisé, ses souffrances et son désespoir, répétés jours après jours, heures par heures, alors qu’il se demandait pourquoi la mort se refusait à lui.

  Ses doigts tremblèrent. Il refusa de lâcher. Il devait savoir. Sa vie continua à défiler à une vitesse vertigineuse. Amnésis comprit pourquoi il avait eu du mal à maîtriser son corps. Celui de sa vie antérieure était brisé, avec deux membres presque hors d’usage.

  Enfin, un homme impressionnant au long corps de serpent et aux grands bois majestueux. Il l’avait éduqué, développé ses capacités physiques et intellectuelles. La seule personne de son passé dont il se sentait le plus proche. Une personne qu’il admirait en dépit de sa sévérité par moments.

« Je vais aller à la rencontre de tous les Dragons et leur poser la question », lui disait-il, sous l’expression désapprobatrice et inquiète de son Maître.

  Les Tours. Les épreuves qu’il avait surmontées. Et enfin, les Dragons. Sa vie qui avait basculée lorsqu’il avait rencontré Crystal et Illuyankas.

— Amnésis ?

— Serymar.

  Hinama le toisa d’un regard noir.

— Un nom en Dragon ? Tu ne manques pas d’air ! Je ne te savais pas si prétentieux ! Comment oses-tu porter un nom dans leur langage sacré ? Tu n’es qu’un gamin arrogant ! J’espère que la vie te fera un jour redescendre de ce piédestal imaginaire sur lequel tu crois être !

  Serymar préféra l’ignorer. Lui répondre ne serait que pure perte de temps.

« Mais pourquoi suis-je en colère ? Je n’en ai pas vu assez ! »

  D’instinct, il prit le collier dans sa main et son esprit sombra.

***

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