Chapitre 24 - 5

4 minutes de lecture

 Les flammes embrasèrent la forêt, relayant l’odeur de chair et de sang calcinés de ses habitants. Des cris de terreur et d’agonie s’élevèrent autour de lui. Serymar sourit. Voir les elfes noirs souffrir lui était jouissif. Il avait tant attendu ce jour, tant attendu l’occasion de leur rendre au centuple tous les crimes qu’ils avaient commis à son égard. Par le passé, il leur avait promis qu’un jour, il serait celui qu’ils craindraient. Ce jour était enfin arrivé. Une seule chose entachait cependant le tableau.

  Un énorme monstre mécanique et immobile lui faisait face, et rien ne l’affectait. Un totem en forme de crâne composé de métaux et de tuyaux, aussi haut qu’un bâtiment, à l’intérieur duquel il avait passé dix ans de sa vie à se faire torturer de toutes les manières possibles et inimaginables.

  Le jeune Mage l’avait pourtant attaqué avec toute la puissance dont il était capable et de diverses façons. Par le feu pour le faire fondre. Par télékinésie pour le démembrer. Aucun de ses éléments en fer ne s’était écrasé sous sa seule volonté. Par la foudre pour ébranler ses rouages. Ni par noyade, ni en l’encrassant par la terre, rien. Ce monstre de fer n’avait pas une seule éraflure en dépit de toutes les offensives qu’il avait pu imaginer.

  Les orbites géantes d’où s’émanaient une lueur rouge morbide le narguaient. Pire encore, cette entité lui avait renvoyé la moindre de ses offensives. Comment ce tas de ferraille pouvait résister à ce point à la moindre attaque magique, à la moindre arme ? L’inévitable arriva. Essoufflé, haletant, des sillons d’argent parcoururent son corps jusqu’à son visage cendreux et ses pouvoirs lui échappèrent. Son sang pulsa dans ses veines, son cœur battait plus fort alors que quelque chose prenait possession de lui.

  Le corps du jeune Mage lévita à un mètre du sol, cheveux noirs aux vents. Des racines entourèrent ses bras complètement recouverts des manches de sa cape de voyage. C’était comme si des créatures attendaient ses ordres. Sa tête lui tournait dangereusement. Sa peau le brûlait, son thorax se comprimait de douleur alors qu’il se demandait ce qui lui arrivait.

  Alors que le feu sous sa peau s’intensifiait, Serymar se rendit compte qu’il avait perdu la maîtrise de son corps brisé, comme s’il était possédé. Pourtant, sa conscience était encore là. Comme pour répondre à sa volonté, la pluie tomba, violente et impitoyable, sans éteindre les flammes pour autant. Au contraire, celles-ci s’élevèrent davantage. La Nature elle-même se déchaînait en l’utilisant comme catalyseur. Il devint la terre, le vent, l’eau, le feu, la foudre, la glace, l’esprit, l’ombre et la lumière. Des hurlements paniqués s’élevaient à quelques mètres de lui.

« Crevez. »

  Des lances de glace furieuses surgirent de terre et empalèrent les elfes paniqués avant qu’ils aient pu se retourner, provoquant d’autres cris de terreur. Une allégresse morbide saisit le jeune Mage qui se délecta de cette revanche qu’il leur avait promis. Se tenir enfin au-dessus d’eux et les écraser était une sensation enivrante. Il souhaita détruire cette maudite forêt. Les flammes répondirent à sa volonté et embrasèrent les arbres comme une vision de l’enfer. Serymar voulait satisfaire sa profonde rancune et se montrer aussi impitoyable que l’on avait été avec lui, il voulait leur faire ressentir la même terreur et le désespoir qui lui avaient été infligés. Cette puissance était magnifique, jouissive.

  Une silhouette menaçante émergea des flammes. Elle se tint suffisamment loin pour rester hors de portée. La taille plutôt haute, les épaules larges, d’après le peu que le demi-elfe put percevoir au travers du brouillard.

  Une voix glaçante surgit, mêlant voix d’homme et voix métallique.

— Bien… Continue. Le Pouvoir Universel est une merveille qui m’appartient de droit. Il est temps pour ma création de retourner à son propriétaire et d’accomplir sa destinée.

  S’il ne contrôlait plus son corps, sa volonté était encore là. La rage aida le jeune Mage à en reprendre la maîtrise alors qu’il comprit sur cette seule phrase à qui il devait, entre autres, ses fêlures les plus profondes. Les racines qui entouraient son corps se transformèrent en lances mortelles et foncèrent à une vitesse fulgurante vers cette silhouette à l’étrange œil rouge.

  Une masse percuta le jeune Mage avec violence et le projeta plus loin contre un tronc d’arbre. Sa connexion avec les éléments se coupa brusquement et son corps chuta, inerte. Il prit conscience à quel point ses membres étaient devenus lourds et dépourvus de force, comme s’il n’avait été qu’un pantin inanimé. Il avait l’impression d’avoir le corps brisé.

  Au moment où il sentit sa conscience sombrer, il aperçut les silhouettes géantes des Dragons s’interposer entre lui et cet homme avec son monstre de métal aussi haut que la cime des plus hauts arbres de la forêt.

***

  Il reprit connaissance. Essoufflé, Serymar fixa ses effets personnels. Il savait désormais d’où venait cette profonde rancœur qu’il ressentait depuis son réveil.

  Après qu’il ait attaqué les elfes, les Dragons l’avaient confronté. Et ça s’était très mal terminé. Dans sa colère, Vohon’, le plus impulsif, avait manqué de lui arracher le bras droit. Les Dragons l’avaient ensuite condamné à un sort éternel, hors du temps et de l’espace, dans le silence et le vide le plus total. Une autre prison.

  Il avait failli en devenir fou. Serymar était incapable de savoir pendant combien de temps il avait été prisonnier, ni comment il s’était libéré. Son corps s’était transformé à ce moment-là, et le Mage se souvenait avoir subi une souffrance indéfinissable.

  Serymar attendit que les tremblements de ses mains cessent. Retrouver une telle quantité de souvenirs d’un seul coup avait de quoi étourdir, surtout quand la majorité d’entre eux étaient violents.

  Il se redressa enfin, avec lenteur, une expression satisfaite sur le visage. Le regard d’Hinama pesait sur lui. Il ramassa ses affaires, se releva et la toisa.

— Je te remercie, Hinama. Grâce à toi, je vais pouvoir accomplir mes projets. Par respect pour Roan, je m’en tiens là avec toi. Adieu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0