Chapitre 18***

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  Monts de la Mort.

  Elma avait beau s’être habituée au silence de cette région sombre, en ce jour, ce silence lui pesait. Le cœur lourd, elle demeurait silencieuse comme ses congénères. Et cette fois, ce n’était pas sous le coup d’une menace du Maître des lieux.

  Elle risqua un œil vers lui. Lui aussi ne disait mot. Tous les regards étaient fixés depuis de longues minutes sur un tas de terre noire retournée. Lorsque la jeune femme posa de nouveau son regard dessus, son cœur se serra davantage : la veille, Enorën les avait définitivement quittés.

  Serymar s’agenouilla sur le sol et planta à l’extrémité de la tombe la canne qu’il avait fabriquée pour le vieil homme. Il soupira, posa sa main blanche sur la terre meuble, juste à l’endroit où il avait planté la canne. Des branches poussèrent dessus, suffisamment tendres pour l’enlacer, tels des serpents descendant d’un arbre. Les ramifications s’étalèrent sur le sol et recouvrirent toute la parcelle sous laquelle était enterré Enorën. Du lierre acheva de décorer la tombe.

— Ainsi, ton corps retourne à la terre. Que ton âme rejoigne le paradis d’Illuyankas. Reposes-y en paix, Enorën. Si jamais tu te réincarnes, sache que je serais honoré de te rencontrer à nouveau.

  Elma joignit les mains et pria, comme Orën et Raël. Un autre silence s’abattit sur les lieux. Quand elle repensait à leur première rencontre et à leurs échanges, particulièrement les dernières…

« Merci de nous avoir accompagné, mon ami, et de m’avoir soutenue. Repose en paix, tu le mérites. »

  Tour à tour, les deux hommes présentèrent leurs hommages avant de se retirer solennellement. Serymar ne changea pas de position. Elma remarqua qu’il était fatigué. Ses traits étaient tirés, témoins des nuits blanches qu’il avait enchaînées à s’occuper d’Enorën ces derniers jours. Chacun ignorait comment. Serymar avait refusé la moindre sollicitation et avait ordonné de ne pas être dérangé. Il n’était revenu que pour leur annoncer le décès d’Enorën.

  Elma attendit d’être seule avec lui. Une fois Orën et Raël partis, le Mage resta encore là, sans bouger. Il fixait le tombeau, le regard dans le vague.

— Cette sépulture est magnifique, tenta Elma avec douceur. Merci pour lui.

  Serymar laissa planer un long silence. Son visage était impassible, mais Elma n’y voyait qu’une de ses façades habituelles.

— Je ne fais que respecter mes engagements. Il n’y a rien de méritant là-dedans. Enorën méritait cet honneur. J’appréciais discuter avec lui. Son sens de l’observation était toujours intéressant à écouter.

  Elma ne répondit rien. Elle se souvint qu’Enorën était arrivé quelques mois après elle. Comme elle, il avait été une personne désespérée qui n’attendait plus rien de la vie, suite à des horreurs subies qui lui avaient été difficiles à encaisser. Comme tous ceux qui travaillaient pour Serymar.

  À ses débuts, Elma se souvenait d’un homme profondément aigri et désagréable. Encore adolescente et se remettant à peine de ses propres blessures, elle avait éprouvé de la crainte à chaque fois qu’ils s’étaient croisés. Comme pour elle, Serymar avait géré très intelligemment la situation : il n’avait pas fait la même erreur qu’avec Elma. Il ne l’avait pas guéri de ses blessures sans sa permission. Ils avaient longuement discuté sur le sens de la vie, partageant leurs expériences qui les avaient conduits à leur vision des choses sur ce sujet complexe. Comme pour elle, Serymar lui avait imposé un choix, en lui faisant bien comprendre qu’avec sa situation précaire avec les Dragons, il ne pouvait pas faire comme si de rien n’était. Ce fut ainsi qu’Enorën décida de finir sa vie ici.

  Cinq jours. Cinq jours que leur ami avait été alité juste avant de s’éteindre. Cinq jours de discussions interminables, comme un accompagnement en douceur vers son prochain voyage. Elma songea qu’il n’y avait que Serymar pour être capable d’offrir ce dernier cadeau sans ciller, tel un serviteur de la Mort, comme si tout était le plus normal du monde. En apparence.

  Elma retint un réflexe consistant à poser une main sur l’épaule du Mage. Encore plus qu’elle-même, elle se rappelait qu’il ne supportait pas le moindre contact physique sans consentement préalable. Surtout par surprise.

— Maître, vous devriez vous reposer, lui conseilla-t-elle. Enorën est parti, maintenant. Vous ne pouvez pas l’accompagner plus loin.

— Je sais, répondit Serymar dans un murmure.

Cinq jours plus tôt.

— Je me souviens du jour de notre rencontre, indiqua Enorën. Je n’ai pas eu peur, au contraire. J’étais soulagé. J’ai pensé que vous étiez un signe des Dragons, celui qui me libérerait de mes souffrances.

— Cesse de m’allouer ce genre de chose. Je n’ai jamais été quelqu’un de bien, Enorën. J’avais senti que tu me serais utile. Il ne faut pas chercher plus loin.

— Certes. Mais vous avez quand même libéré de mes tourments qui me rendaient fou de douleur. Si nombre de vos actes sont très discutables, pourquoi ne retenir que celles-ci et oublier le positif que vous nous avez apporté ?

— Parce qu’il s’agit d’intérêts communs dont nous profitons les uns des autres.

  Le vieil homme sourit. Serymar se demanda pourquoi. Il n'insista pas.

— Je t’envie.

  Allongé, Enorën le dévisagea de ses yeux clairs et fatigués. Nulle trace d’étonnement dans ses prunelles. Il esquissa un faible sourire.

— De mourir ? Je vous comprends. L’idée d’être enfin libéré de ses pires tourments est… en effet, libérateur.

Monts de la Mort, ère actuelle.

  Enorën avait gardé une expression sereine sur le visage lorsqu’il s’était éteint. Puis le pacte s’était brisé.

  Serymar revint à la réalité, les yeux toujours rivés sur la sépulture.

— Laisse-moi seul, Elma, s’il te plaît. J’ai besoin de tranquillité.

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