Chapitre 35 - 1

8 minutes de lecture

  Karel avait beaucoup de mal à réaliser qu’il se retrouvait à nouveau si proche d’un Dragon. Son appréhension grandit alors que les veines de son bras gauche s’embrasaient. Il se sentait minuscule. L’ombre du Dragon les recouvrait tous, menaçante. Aucune échappatoire ne leur était permise, la trappe par laquelle ils étaient passés avait disparu.

  Le jeune homme comprit mieux pourquoi le peu de personnes qui eurent tenté de sauver les Dragons n’étaient jamais revenus, en plus d’échouer. Aucune sortie. Aucun moyen de se téléporter. Un puissant sort bloquait l’accès vers l’extérieur. Une fois que l’on se trouvait ici, on ne pouvait plus revenir en arrière, sauf si on obtenait l’accord du Dragon que l’on venait déranger.

  Karel s’était toujours demandé pourquoi les gens avaient décidé d’apprendre à vivre avec cette malédiction. Il avait désormais sa réponse.

« Un danger duquel on n’a aucune chance d’en revenir… C’est compréhensible. »

  Un hurlement les figea tous et ils plaquèrent leurs paumes sur leurs oreilles. Cette fois, aucun autre Dragon ne viendrait les secourir. Ce domaine était celui de Zmeï. Ils étaient seuls face à lui.

  Enfin, le Dragon se posa lourdement sur les dalles. Le sol trembla si fort que le groupe manqua de perdre l’équilibre.

  Karel risqua un œil au Dragon. La scène avait quelque chose de terrifiant et triste. Zmeï se débattait, pris de convulsions et de mouvements saccadés. Des interstices de ses écailles luisantes s’échappaient des volutes sombres et rouges, plus particulièrement au niveau de son cou et de ses yeux, tel un serpent empoisonné s’accrochant avec fermeté sur son corps.

  Un autre rugissement manqua de leur percer les tympans. Zmeï se débattit encore et rejeta son long cou vers l’arrière, poussant un autre hurlement qui déchira le ciel.

  Les volutes s’épaissirent et se changèrent en miasmes qui se répandirent sur le Dragon en souffrance lorsque Zmeï posa ses larges pattes sur le sol. Elles devinrent de plus en plus denses, comme si elles gagnaient en force à mesure que le Dragon luttait. Ses yeux brillaient d’une lueur jaune malsaine et les miasmes atteignaient la moitié de sa tête et l’ensemble de son corps. Bientôt, il serait trop tard.

« Tant de souffrances en continu, pendant deux siècles… » gémit-il avec un pincement au cœur.

  Prendre la mesure de cette condition avait quelque chose de dérangeant. Qui était l’auteur de cette abomination ? Comment faire pour l’en libérer ?

— C’est horrible… déplora Aquilée d’un ton angoissé.

  Zmeï les fixait sans les voir. C’était comme s’il était possédé par une entité maléfique qui les examinait d’une lueur agressive, digne des Enfers. Zmeï se plaça en position d’attaque. Karel hésita. Le Dragon les attaquerait-il s’ils se mettaient aussi dans cette position agressive ?

  Il bloqua aussitôt Uriel d’un bras.

« Répondre par l’agressivité ne nous aidera pas. Le moindre geste peut nous coûter la vie ! »

  Karel avait pu observer ce phénomène chez les animaux qu’il soignait : le Dragon était possédé, tel un animal sauvage et agressif. Il fallait, au contraire, dominer avec sang-froid. Toutes ces leçons qu’il s’était efforcé d’oublier ces dernières années lui revenaient en mémoire.

  Pétrifiée, Aquilée fut incapable de bouger. Elle resta auprès de Whélos qui demeura en retrait, prêt à donner des conseils au besoin. Lya rejoignit Uriel et Karel, et d’un commun accord, avancèrent ensemble.

  Les miasmes resserrèrent leur emprise lorsqu’ils approchèrent. Zmeï s’agita et grondait.

  Karel toucha le bras de Lya.

— Il faut viser les différentes sources. Tu vois les endroits où cette espèce de liquide maudit suinte ? C’est là qu’il faut viser, j’en suis sûr. Il doit y avoir une source quelque part, comme les racines dans la forêt, dans une zone inaccessible pour Zmeï. Je dirai quelque part sur son cou. Sur le système nerveux.

— Il faut s’en prendre à la malédiction elle-même, expliqua-t-elle aux autres. Partout où elle dépasse pour l’affaiblir, afin de s’en prendre au noyau de celle-ci. Vous êtes prêts ?

— Comment tu sais un truc pareil, toi ? questionna Uriel.

— Ce n’est pas le moment, coupa Aquilée. Il arrive !

— Allez-vous en ! Plus aucun Mortel n’est admis ici !

  Une voix rauque et profonde semblant venir de nulle part résonna dans leurs esprits. Une voix chargée de menace.

  Zmeï poussa un autre hurlement à en déchirer les tympans et balaya le groupe d’une énorme patte griffue.

  Uriel et Lya esquivèrent tandis que Karel poussa Aquilée sur le côté. Une douleur fulgurante l’aveugla quelques instants et lui coupa le souffle. Il entendit à peine le hurlement de sa sœur. Entraîné, Karel prit sur lui et recula en se tenant le bras droit jusqu’à mettre le plus de distance possible entre lui et le Dragon, le temps que son étourdissement passe. Il sentit Whélos le soutenir et l’aider à s’éloigner davantage.

  Lorsque Karel revit clair, haletant, il décocha un regard sévère sur Lya, comme pour lui exiger de ne pas se laisser déconcentrer si elle ne tenait pas à finir comme lui.

  Son cœur manqua un battement lorsqu’il vit le Dragon l’attaquer encore. Aquilée se reprit et repoussa les deux hommes d’une barrière de vent afin de les mettre hors de portée.

  Whélos fouilla rapidement dans son sac et entreprit de bander son bras lacéré. Le tissu s’imbiba aussitôt de sang.

— Je t’arrangerai ça plus tard, quand nous aurons le temps et les moyens. Bon sang, tu ne pouvais pas invoquer un bouclier psychique ou ce genre de chose ?

  Karel ne répondit rien. Whélos avait raison. Il avait agi dans la précipitation et cette erreur aurait pu lui coûter encore plus qu’une blessure profonde.

  Lya courut vers le Dragon et bondit afin d’esquiver un autre coup de patte. Elle atterrit dessus. Le Dragon tenta de se débarrasser d’elle. Lya perdit l’équilibre mais parvint à se réceptionner sur ses pieds.

— Aquilée ! appela-t-elle. Aide-moi !

  Karel comprit aussitôt. De tous les quatre, Lya était la plus agile. Elle s’était beaucoup entraînée ces dernières années pour ses concours. Le Dragon bougeait trop vite pour eux. Ils devaient s’unir. Le jeune homme se dégagea de Whélos en le remerciant et sortit son artéfact. Il courut rejoindre les autres Sorciers. Il était hors de question de laisser Lya prendre des risques seule et à la merci du Dragon.

  Aquilée envoya une masse d’air afin de propulser Lya en hauteur et elle atterrit sur son épaule. Zmeï se cambra violemment et la délogea. Karel fit surgir un pilier de pierre afin de l’empêcher de chuter de si haut. Le Dragon se jeta sur elle, gueule béante. Lya se jeta dans le vide en direction de son frère qui la réceptionna d’un bras.

— C’était moins une ! s’exclama-t-elle, une main sur son cœur battant.

« Nous allons essayer de l’occuper. »

— Eh ! hurla Uriel. Viens donc un peu par ici !

  Une vague d’eau s’abattit sur le Dragon afin de détourner son attention. Zmeï fondit sur lui pendant qu’Aquilée le contourna pour rejoindre Lya. Toutes les deux échangèrent un regard entendu.

— Je compte sur toi, Aquilée, lui fit Lya en lui tendant son poing fermé.

  Aquilée assentit en imitant son geste.

— D’accord.

  Lya courut vers la longue queue du Dragon et grimpa dessus avec l’aide de la magie d’Aquilée. À peine arriva-t-elle à monter que Zmeï bougea furieusement et la projeta au sol, sous sa patte arrière. Aquilée l’extirpa de l’ombre du Dragon avant que son amie ait eu le temps de retrouver ses esprits. Karel soupira de soulagement. Aquilée gérait bien mieux que ce qu’il aurait cru. Elle aida Lya à se relever et elle courut à nouveau vers le Dragon en essayant d’échapper à sa vigilance. Lya dût se baisser pour éviter un autre coup de queue.

« Vas-y. Tu peux y arriver ! » l’encouragea le jeune homme.

— Karel ! cria Lya.

  Son frère la vit mimer un demi cylindre avant de saisir Aquilée par le bras afin d’échapper à un coup de griffe du Dragon.

  Elle avait une idée derrière la tête. Karel pointa son arme vers elle et fit surgir du sol un mur en demi-cercle de plusieurs mètres de hauteur sur laquelle Lya se percha. Le Dragon gronda, ouvrit la gueule et cracha du feu contre le mur de Karel. Aquilée envoya un tourbillon d’air et les flammes gagnèrent en puissance. Lya profita de leur puissance pour bondir sur la masse d’air et, soutenir par la magie d’Aquilée, se jeta sur le dos de Zmeï. Ses flammes se retournèrent contre lui et la créature poussa un hurlement déchirant alors que certains tentacules de miasmes se rétractèrent.

  La vague de feu passée, ces dernières se démultiplièrent et renforcèrent leur emprise. Karel croisa le regard d’Uriel et ils attaquèrent ensemble les zones d’où les miasmes suintaient. L’attention du Dragon fut aussitôt sur eux.

— Uriel ! cria Whélos. Tu peux éviter les attaques avec tes pouvoirs !

— Compris !

  Le Sorcier de l’Eau invoqua une grande masse aqueuse envelopper la patte de Zmeï afin de la ralentir, ce qui leur permit de s’éloigner pour éviter le coup de justesse. Le Dragon fondit, gueule béante sur eux. Karel invoqua aussitôt un mur de pierres soutenu par une vague d’Uriel. Ils s’éloignèrent prestement alors leur mur s’effondra au simple contact de Zmeï.

— Qu’est-ce que t’attends, Lya ? gronda Uriel.

— Je fais ce que je peux, imbécile !

  Karel eut envie de le frapper. Les miasmes grandirent encore et le Dragon se cambra de plus belle. La jeune femme trébucha sur une écaille et dégringola de son dos sur plusieurs mètres. Elle s’accrocha an dernier moment à une épine dorsale pour s’épargner une chute mortelle. Aquilée tendit la main pour l’aider à se relever. Le Dragon se jeta sur elle.

  Karel se jeta sur elle pour l’écarter de la trajectoire de Zmeï en invoquant un mur derrière eux. Il se désagrégea aussitôt lorsque les crocs du Dragon le heurtèrent, projetant les deux Sorciers au sol. Il entendit à peine les hurlements de peur à leur égard. Karel serra Aquilée contre lui et tendit son bras blessé dans un réflexe incontrôlé et stupide. La douleur l’aveuglait alors que ses veines lui brûlaient plus intensément. Le Dragon s’arrêta net à quelques centimètres d’eux.

  Aquilée sentit le souffle du Dragon dans son dos. Les deux Sorciers furent aussi stupéfaits que le Dragon lui-même.

— Cette odeur…

  Aquilée crut mourir d’angoisse lorsqu’elle sentit le contact du Dragon sur eux. Karel resta immobile, le cœur battant.

  Il essaya de soutenir le regard flamboyant du Dragon. Une lutte semblait se dérouler en son intérieur. Zmeï se rapprocha davantage.

  Ne pas baisser le regard. Ne pas céder. Tenir tête. Il ne pouvait rien faire d’autre, acculé comme il l’était : le Dragon lui coupait toute retraite avec ses énormes pattes griffues de chaque côté d’eux.

  Le Dragon renifla de nouveau.

— Ce sang… Comment cela se fait-il que ton sang d’humain ait cette odeur ?

« De quoi parle-t-il ? »

Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0