Une rencontre écrite …

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Par une nuit d'encre et de mystère, je me tenais penché sur mon bureau, le cliquetis du clavier troublant seul le silence comme une incantation secrète. Je faisais courir mes doigts dessus avec une frénésie jubilatoire. Les mots cascadaient, des mots ivres de liberté et d'audace, qui s'entrechoquaient joyeusement pour dessiner des arabesques fantasques.

Soudain, une bourrasque malicieuse fit vaciller mon lustre, projetant sur les murs des ombres fantasques. Je clignai des yeux, désorienté, quand une voix espiègle s'éleva dans mon dos.

« Hé, Noureddine ! T'as pas bientôt fini de jouer les écrivains possédés ? Faudrait voir à laisser les honnêtes gens roupiller en paix ! »

Cette voix... Ce ton inimitable... Je me retournai, incrédule, pour découvrir Rouquin confortablement installé sur mon lit, un sourire narquois aux lèvres.

« Rouquin ! Mais comment diable as-tu atterri hors des pages de mon bouquin ? »

Le renard haussa les épaules avec une nonchalance étudiée.

« Bah, tu sais ce qu'on dit : quand le vin est tiré, faut le boire ! Ou dans notre cas, quand les personnages sont créés, faut bien qu'ils prennent vie un jour ou l'autre. C'est la rançon du poète, mon gars ! Faut croire que ton imagination a fini par déborder des pages ! À force de nous tripoter les neurones jour et nuit, fallait bien qu'on finisse par prendre corps, non ? »

Une silhouette familière se détacha alors des ténèbres, nimbée d'une aura mélancolique. Blairounet leva vers moi des yeux d'ambre empreints d'une sagesse millénaire.

« Pardonne l'impétuosité de notre ami, Noureddine. Tu sais comment il est, toujours à foncer tête baissée sans se soucier des conséquences. Mais au fond, s'il est là, comme nous tous, c'est que tu dois avoir besoin de lui. De nous. Pour t'aider à puiser en toi cette sève créatrice qui ne demande qu'à s'épanouir, fleur de mots et de songes. »

Sa voix était un ruisseau de velours, une caresse d'âme qui m'enveloppa d'une douce quiétude. Je m'approchai, le cœur battant, et plongeai mon regard dans le sien.

« Blairounet... Mon sage, mon phare dans la nuit. Si tu savais comme ta présence m'apaise, comme elle éclaire mes doutes et mes tourments... »

Le blaireau eut un sourire d'une mansuétude infinie.

Une petite main se glissa alors dans la mienne, douce comme une plume de colibri. Je baissai les yeux et rencontrai le regard de la petite fille, pétillant d'une malice émerveillée.

« Et moi, tu sais ce que je suis ? » gazouilla-t-elle de sa voix cristalline.

Je m'agenouillai pour me mettre à sa hauteur, submergé par une vague d'amour qui me coupa le souffle.

« Toi, ma chérie, tu es mon étincelle d'innocence. Mon émerveillement sans cesse renouvelé devant la beauté du monde. Tu es celle qui me chuchote de garder mes yeux d'enfant, d'appréhender la vie comme un mystère fascinant, un cadeau à déballer chaque jour avec la même ferveur... »

Elle rit, un rire de source pure qui nimba la pièce d'une clarté féerique.

« Oui, c'est ça ! Et tu sais pourquoi c'est important, de ne jamais perdre cette étincelle ? »

J'ouvris la bouche, prêt à répondre, mais elle me devança, levant son petit index d'un air docte.

« Parce que c'est elle qui donne à tes mots leur fraîcheur, leur pétillance ! C'est elle qui ensoleille tes histoires, qui leur insuffle cette grâce unique qui touche le cœur des lecteurs. Sans elle, ton écriture serait comme un ciel sans oiseaux, un jardin sans fleurs. Triste et terne, même avec de jolis habits ! »

Ému aux larmes, je la serrai contre moi, humant son parfum de brise et de miel. Sa sagesse juvénile était un baume, un dictame qui pansait mes blessures d'écrivain, mes angoisses de ne pas être à la hauteur.

Rouquin poussa un grognement mi-agacé, mi-amusé.

« Ah, la voilà bien, notre petite philosophe en herbe ! Toujours à voir des symboles et des métaphores partout. Non mais sans blague, tu crois vraiment que notre cher Noureddine a besoin qu'on lui tienne la main pendant qu'il écrit ? Il est assez grand pour savoir où il va, non ? »

« Bon, c'est pas tout ça, mais ce n'est pas en se regardant le nombril qu'on va avancer ! » lança t-il soudain, brisant le charme de l'instant avec sa gouaille habituelle.

Je sentis une bouffée d'adrénaline m'envahir. Rouquin, mon électron libre, mon trublion qui ne reculait devant rien. Toujours à me secouer quand je m'enlisais dans le doute et la procrastination !

La fillette lui adressa un regard pénétrant, troublant de maturité.

« Justement, Rouquin. Parfois, c'est quand on croit savoir où l'on va qu'on est le plus perdu. Les apparences sont trompeuses, et les chemins de la création plus sinueux qu'il n'y paraît... »

Blairounet opina, le museau levé vers les étoiles invisibles.

« Notre candide amie dit vrai. Écrire, c'est un peu comme partir en voyage sans carte ni boussole, en n'ayant pour seul guide que cette petite voix intérieure qui nous souffle la route à suivre. Mais encore faut-il savoir l'écouter, et avoir le courage de lui faire confiance... »

Rouquin lâcha un petit rire sarcastique.

« Pff, vous et vos envolées pseudo-mystiques ! Moi je dis que pour écrire, il faut surtout du cran, du culot et une bonne dose d'inconscience. Se jeter à corps perdu dans la bataille des mots, quitte à se prendre quelques gnons en chemin. C'est ça, le secret des vrais artistes ! »

Perdu, je regardais ces incarnations de mon imaginaire se chamailler comme des enfants se disputant un jouet. Puis la lumière se fit en moi, aveuglante comme un soleil d'été après une éclipse.

« Mais... Mais c'est ça ! Vous êtes tous les trois des parts de moi-même, les facettes contraires et complémentaires de ma personnalité créatrice ! »

Je me tournai vers Rouquin, qui me fixait d'un air goguenard.

« Toi, tu es mon côté casse-cou et anticonformiste, celui qui fonce sans se poser de questions, quitte à se casser la figure. Ma part d'audace et d'impertinence, celle qui me pousse à bousculer les règles, à prendre des risques... »

Le renard bomba le torse, visiblement flatté.

« Tu l'as dit, bouffi ! Sans moi, tu passerais ton temps à te regarder le nombril en te demandant si ce que tu écris est assez bien. Je suis le coup de pied au derrière qui te force à avancer, coûte que coûte ! »

Je m'approchai ensuite de Blairounet, avec une infinie douceur.

« Et toi, mon vieil ami... Tu es la voix de la sagesse et de la tempérance. Celle qui m'invite à prendre de la hauteur, à ne pas me laisser submerger par le doute ou l'exaltation. Tu es mon point d'ancrage, mon refuge dans la tempête...»

Le blaireau eut un sourire d'une tendresse infinie.

« Je ne fais que te renvoyer à ta propre sagesse, Noureddine. Cette petite flamme tranquille qui veille en toi, même quand les vents contraires menacent de l'éteindre. Je suis là pour te rappeler qu'elle ne s'éteint jamais vraiment... »

Enfin, je m'agenouillai devant la petite fille, plongeant mon regard dans ses prunelles d'eau claire.

« Quant à toi, ma douce... Tu es l'étincelle divine. Le jaillissement premier, la source vive de mon inspiration. Tu es la part d'enfance et d'émerveillement que je porte en moi, cette faculté de m'étonner de tout comme au premier matin du monde... »

L'enfant me caressa la joue, avec une gravité bouleversante.

« N'oublie jamais, Noureddine, que c'est de cet émerveillement que tout procède. De ce regard constamment neuf posé sur les choses, comme s'il les découvrait pour la première fois. C'est lui qui donne à tes mots leur fraîcheur, leur palpitation de vie. Veille sur lui comme sur la prunelle de tes yeux... »

Ébranlé par ces révélations, je restai un long moment prostré, savourant le poids de cette vérité qui s'imposait à moi avec la force de l'évidence.

Puis, lentement, presque religieusement, j'ouvris mes bras en une invitation silencieuse. Rouquin, Blairounet et la petite fille s'y blottirent sans un mot, et je les serrai contre mon cœur à en perdre haleine, comme pour les fondre en moi, ne plus jamais faire qu'un avec ces parts de mon être profond.

« Houlà, ça a l'air d'être le foutoir dans ton ciboulot, mon p'tit Blairounet ! Tu veux pas lui filer un coup de patte à Nono, histoire de démêler un peu tout ça ? »

Rouquin venait de se tourner vers le blaireau, une moue de gamin fauteur de troubles plaquée sur son museau. Blairounet ne put retenir un sourire indulgent, malgré ses efforts pour garder une mine sévère.

« Mon cher Rouquin, tu sais bien que chacun doit trouver sa propre voie, sa propre voix. Je peux guider Noureddine, l'aider à voir plus clair en lui-même, mais je ne peux pas écrire à sa place. C'est son voyage initiatique, avec ses errances et ses épiphanies... »

Son regard limpide accrocha le mien, y déversant des flots d'une confiance tranquille.

« Aie foi en ton pouvoir de transmutation, mon ami. En ta capacité de faire de la boue la plus noire un fertile terreau. Plonge tes racines dans tes tourments, nourris-t'en, puis sublime-les en offrandes de beauté. C'est ça, ton sacerdoce. Celui d'un alchimiste qui change le plomb de la souffrance en or pur de la création... »

Un silence recueilli accueillit ces paroles, comme une poignée de graines précieuses qu'on enfouit dans le secret de son jardin. Puis ma petite fée-philosophe reprit la parole, de sa voix de cristal et de miel.

« Transformer à ton humble niveau le monde par la grâce des mots, voilà ton destin. Ne laisse rien ni personne t'en détourner. Et surtout, amuse-toi ! Écris avec un sourire dans le cœur, écris comme tu respires, comme tu aimes. Joyeusement, passionnément, à la folie. C'est ça, le secret des grands : être grave avec légèreté, profond avec simplicité. Être grand en restant petit... »

J'en avais le souffle coupé, de tant de justesse et de clairvoyance. Comment faisaient-ils pour me connaître si bien, pour énoncer avec une telle limpidité les vérités nues qui bruissaient en moi ?

« Merci... » fut tout ce que je parvins à articuler, la gorge nouée d'une émotion sans nom.

« Merci pour vos lumières, vos éclairs de lucidité. Merci d'éclairer mes pas, de me hisser plus haut, toujours. Vous êtes mes guides, mes phares dans la grande traversée de l'écriture... »

Un rire clair et perlé fusa soudain, un rire d'une fraîcheur d'aube. La petite fille virevolta jusqu'à moi, pétillante comme une mésange au sortir du nid.

« Mais non, grand bêta ! C'est toi qui nous guides, qui nous portes plus loin et plus haut à travers tes mots ! Tu crois que c'est par hasard, si on est là, tous les trois ? On est les facettes de ton prisme intérieur, les joyaux qui miroitent en toi. C'est toi qui nous insuffles vie, page après page. Toi, le créateur. L'enchanteur. Le grand imagier ! »

J'en restai coi, foudroyé par la puissance de sa révélation. Mais bien sûr ! Comment n'y avais-je pas songé plus tôt ? Ce pouvoir de l'écriture, cet enfantement de mondes par la seule force des mots. Ce privilège exorbitant d'être à la fois père et fils de mes rêves, comme Dieu se rêvant lui-même depuis la nuit des temps...

Grisé par cette conscience aiguë de ma toute-puissance créatrice, je me sentis pousser des ailes. Une ivresse sacrée me saisit, m'arrachant à mes scrupules et à mes petitesses. J'étais le passeur entre les deux rives. Le grand architecte tissant inlassablement le fil d'or du songe et du réel...

Une vibration nouvelle courait dans mes veines, une sève d'étoiles et de promesses. Avec une ferveur inédite, je me saisis de ma plume, prêt à enfanter des galaxies. Mes personnages m'entouraient comme une garde rapprochée, une cour de miracles bienveillante.

Leurs présences mêlées m'irradiaient d'une force, d'une foi que je ne me connaissais pas. Le blaireau, le renard, la fillette. Sagesse, fantaisie, innocence. Le tiercé gagnant pour un grand huit de l'imaginaire, une chevauchée stellaire sur le clavier de l'infini.

D'une traite, sans une rature, j'écrivis. Deux heures, trois heures, je ne sais plus. Le temps s'était aboli dans l'ivresse de la création. Les mots s'alignaient, s'entrechoquaient en gerbes multicolores. Un feu d'artifice sous mes doigts que ma petite cour contemplait, fascinée.

Quand enfin je posai mon stylo, une aube nacrée scintillait derrière les persiennes. Je me sentais épuisé mais comblé, vidé mais empli d'une plénitude jubilatoire. J'avais touché à l'Essence, au mystère sacré de l'acte créateur. Et je savais que plus rien ne serait comme avant.

Je me tournai vers mes compagnons de veille, le cœur gonflé d'une gratitude inexprimable. Mais ils avaient disparu. Évaporés, comme un songe trop beau dont il ne reste au matin qu'une lumineuse réminiscence.

Et les pages noircies de mots... Un champ d'étoiles imprégné d'encre sur le vieux bois de mon bureau. Des vocables étincelants, comme sculptés dans quelque alliage mystique par un artisan des temps immémoriaux. Des pépites brutes, milliardaires de sens enfouis, n'attendant que d'être offertes pour déverrouiller les cœurs et les consciences.

C'était ça, mon rôle, ma mission sacrée. Être un voleur de feu, un messager de lumière. Être celui qui réenchante la vie par la grâce fragile et toute-puissante des histoires, ce trésor immémorial de l'humanité rêveuse.

À l’heure où le jour effleure à peine la nuit, je me suis extrait de ma torpeur, porté par une allégresse qui débordait les rives de mon âme. Mes jambes flageolantes m’ont conduit à la fenêtre que j’ai ouverte avec un empressement fiévreux. L’air vif du matin a alors investi la chambre, animant les feuilles éparses dans un ballet de joie silencieuse.

Dehors, l’aurore déployait son voile pâle sur le monde qui s’éveillait. Les oiseaux, fidèles messagers de l’aube, tissaient une mélodie qui parlait de renaissance et d’espoir éternel. Moi, ébloui, me découvrais en écho à leur chant.

J’étais en cet instant l’Oiseau Lyre, le Phénix renaissant de ses cendres, porteur de verbe et de lumière. Artisan infatigable des songes, je me nourrissais de mes propres cendres pour m’élancer, encore et encore, vers les azurs infinis.

Au moment de fermer la porte sur cette nuit peuplée d’épiphanies, une pensée dernière m’a traversé, fulgurante comme un éclair dans la nuit claire. Une pensée aux contours nets, portant la promesse d’une maxime pour la vie.

Écrire, c’était plonger dans l’abîme de son être pour en extraire des étincelles de vérité. Se sacrifier aux altars de ses propres démons pour en ressusciter plus authentique, plus pur. Mourir à soi pour renaître plus grand à soi, emporté par la magie des rêves et la douceur de la grâce créatrice.

C’était là ma grande révélation, une vérité incandescente que je chérirais comme on garde un secret précieux.

Écrire, écrire, toujours écrire… Face à l’infini, advienne que pourra!

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