Chapitre 2

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Plantée au milieu de la pièce, la fillette tâchait de démêler les fils du mystère. D’abord, le temple. Que pouvait-il y avoir là-bas qui nécessitât qu’on y courut au milieu de la nuit ? Il n’y aurait aucune célébration ou festivité avant celle du jasmin, dans 10 jours, Evren en était certaine. Elle connaissait les dates de toutes les fêtes, et pour être sûre de ne rien manquer, demandait tous les jours. Cela n’aidait pas le temps à passer mais du moins la fillette pouvait imaginer les parfums fleuris auxquels se dispute les odeurs de banquet, les couleurs fauves de l’été, les murs du temple chauffés par le soleil... Evren rêvait d’y retrouver ses amis, ses cousins et peut-être même un inconnu à qui elle ferait la cour, et avec qui elle passerait la nuit à regarder les reflets cuivrés des lumières du temple sur la surface du lac…

Tout en réfléchissant, Evren observait sa soeur qui s'entêtait à faire rentrer dans sa besace une fourrure qu’elle ne mettait jamais. Elle se remémora alors le spectacle des serviteurs courant en tout sens avec, dans leurs bras, la moitié de leurs biens.

À supposer qu’on allait bien au temple, se dit-elle, cela n’expliquait pas pourquoi il fallait emporter jusqu’aux tapisseries et assez de vivres pour une semaine ! Elle se dit que sa sœur devait en savoir plus qu’elle ne le prétendait.

— Dunya, pourquoi allons-nous au temple avec autant de bagages ?

Evren s’approcha de sa sœur et observa les affaires encore étendues sur sa couche, attendant d'être emballées : ses colliers et bracelets préférés, quelques robes, ses amulettes favorites, plusieurs paires de sandales…

Dunya semblait fixer son lit sans bouger. Elle ôta soudain ses mains de sur le manteau, qui, comme un animal rebelle, bondit hors de sa cage.

— Evi, dit-elle enfin, Aba est morte.

La fillette eut l’impression de recevoir un coup à l’estomac. Elle réprima un haut le coeur qui se changea en brûlure dans sa gorge. Une seconde plus tard, ses mâchoires se comprimèrent, le nez lui piqua, ses yeux s'inondèrent.

Dunya la prit dans ses bras en réprimant la tristesse qui l’envahissait elle aussi.

— Aba… articula péniblement Evren, sans rien ajouter.

Quelques minutes interminables s’écoulèrent ainsi, avant que Dunya, en reniflant, demande à sa sœur de se préparer.

Comme Evren s'agrippait à elle, Dunya dut la décoller lentement, membre après membre, avant de la repousser doucement vers son côté de la chambre.

— Allons Evi, commanda Dunya, choisis tes bijoux préférés, tes vêtements, tes amulettes, et fourre les dans ton sac.

Puis elle ajouta, encourageante:

— Tu penses y arriver ? Maman et Yaya ont besoin que tu le fasses, d’accord ?

Evren acquiesça sans écouter, et se mit à piocher, sans y penser, des objets dans son coffre.

C’était la première fois que quelqu’un de sa famille mourrait. Elle avait déjà réfléchi à la mort, en arrivant à la conclusion que mieux valait ne pas y penser. Mais aujourd’hui sa tante était morte, et Evren ne pouvait simplement pas ne plus y penser. Elle revivait déjà dans son esprit ses souvenirs d’avec Aba, entrecoupés des minutes qui annonçaient sa disparition. Evren repassait alors en boucle ce moment, comme si elle avait les moyens, en pensée, d'en changer l'issue.

Pendant une seconde, Aba n’était plus morte, et Evren se sentait mieux. La seconde d’après, Aba mourrait à nouveau, et la fillette se remettait à pleurer.

Au bout d’un certain temps, il sembla à Evren que son esprit sombrait dans une spirale dont elle ne pourrait échapper seule. Sans se retourner, elle écoutait attentivement derrière elle, espérant capter les preuves audibles que sa sœur pleurait. Alors elle se retournerait et lui dirait toute sa détresse !

Mais Dunya ne pleurait pas. Elle était forte.

Aussi, pour ne pas la décevoir, Evren étouffa sa détresse, et commença, enfin, de rassembler ses affaires.



Comme elles ne savaient ni où elles allaient, ni pour combien de temps, les filles avaient des difficultés à se préparer. Elles avaient enfilé des chausses de voyage, de bonnes sandales, et même un gilet par dessus leur tunique. Elles auraient chaud quand le jour se lèverait.

Leur oncle Ardim passa la porte de la chambre. Il souriait, en dépit des circonstances. Evren se demanda pourquoi, et surtout comment, il parvenait à afficher une si bonne humeur. Si cela avait été sa sœur Dunya qui…

Evren se remit à pleurer.

Ardim s’approcha, la saisit sous les épaules, et la catapulta contre lui. Elle enroula ses bras autour de son large cou et plongea sa figure contre sa poitrine. Elle renifla quelque fois, puis redressa le cou, et observa son oncle. Celui-ci sourit timidement, avant de détourner le regard. Il ramassa la besace de la fillette, puis demanda à Dunya de les suivre, sans oublier d’éteindre les bougies en partant.

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