Chapitre 7
Lorsqu’il entendit un second cri, il n’eut plus de doute, quelqu’un était en danger. Il déposa pêle-mêle ses outils, et prit le chemin de la maison. Comme il approchait, il aperçut sa femme, dans l’encadrure de la porte, le regard pointé vers la forêt.
— Tu as entendu toi aussi ? lui demanda-t-il inquiet.
Elle baissa les yeux sur lui en faisant la moue. Souvent, lorsqu’elle pensait, sa bouche se tendait en avant, puis d’un côté, ou de l’autre, parfois des deux à la fois.
Ana quant à lui, n’avait pas besoin de réfléchir très longtemps pour savoir que sa femme lui interdirait d’aller voir, surtout aujourd’hui.
— Tu n’as pas l’intention d’y aller rassures-moi, fit-elle.
Il secoua la tête, mais son sourire le trahit.
— Non ! riposta-t-elle, j’en ai plus qu’assez ! tu te fiches de moi !
Sans cesser de sourire, il la poursuivit à l’intérieur, et tenta de la saisir par la taille.
— C’est toi qui me fait rire Mona, pardon, je t’en prie, ne sois pas fâchée.
Elle croisa les bras en signe de refus, puis donna une tape sur sa main qui approchait.
— Je suis sérieuse Ana ! tu ne vas pas aller voir, tu vas rester avec moi, et préparer le déménagement, comme prévu.
— Mais oui, ne t’en fais pas, promit-il en souriant.
Elle l’observa, les lèvres et les sourcils froncés.
— Oh! c’est un baiser que tu veux ? plaisanta-t-il en se penchant vers sa bouche.
Aussi loin que le menait la piste des souvenirs, il y avait des images de Mona. Une belle fille, fine, élégante, avec de longs cheveux blonds et des yeux perçants. Elle avait toujours eu du caractère, même petite ! Mais cela ne lui avait jamais fait peur. Ana aimait son caractère décidé. Elle exigeait sans cesse une vie meilleure pour sa famille, et il ne voyait rien à redire à cela.
Mona avait entendu parlé de Vrai-Bastion, et de la vie confortable qu’on y menait. Depuis quelques années maintenant, les gens désertaient les villages et les fermes isolées pour un nouveau mode de vie. La ville bénéficiait des récentes avancées technologiques : thermes, bains publics, éclairage publique la nuit, maison chauffée par le sol, Mona assurait que les habitants payaient — mais de cela Ana en doutait — pour faire leur besoins en public. On y vivait différemment : nul besoin de se lever aux aurores, de se coucher au crépuscule. On y travaillait comme artisan, danseur, scribe, commerçant, juriste même, Mona disait. Elle pourrait y apprendre à lire et à écrire, découvrir l’architecture et la philosophie Vèlienne. Lui pourrait devenir menuisier, ou potier, s’il le désirait.
Mona lui avait parlé de Vrai-Bastion aussi souvent que lui lui avait raconté son amour pour la vie à la ferme, mais elle avait fini par le convaincre. Aujourd’hui, il préparait son déménagement, et demain, une fois son bétail vendu, ils s’en iraient.
Un nouvel appel à l’aide arracha Ana à ses pensées. Il posa son regard sur la ferme voisine, y avait-il quelqu'un d'autre que lui pour aller voir? Silence. Tant pis! Mona serait furieuse, mais elle lui pardonnerait. Elle lui pardonnait toujours.
Ana saisit son bâton de marche, puis se dirigea vers son âne, qu’il chargea du premier sac de grain venu. Il se dit qu’ainsi, il pourrait toujours passer pour un itinérant en voyage. Depuis l’arrivée de l'armée d'occupation Vèlienne, la violence était devenue chose commune. Soldats, étrangers, paysans, mieux valait éviter les inconnus.
Ana saisit sa mule par la bride, et l’entraîna avec lui vers le bois. Au fond de son champs, les cultures redevenaient doucement sauvages ; la forêt reprenait toute entière ses droits. Ana se contentait de sculpter le paysage autour, en laissant le hasard décider aussi souvent que possible. C'était un fermier très doué. On ne pouvait pas en dire autant de ses aptitudes avec les gens, qu'il ne comprenait pas toujours.
Enfin, se disait-il, peut-être qu'une fois à la ville...
Ana réalisa que son esprit digressait sans cesse et qu'il avait du mal à se concentrer. Il fit claquer sa langue, et sa mule se mit à trottiner. Il lui lâcha la bride, et il glissèrent à travers le sous-bois comme un serpent agile. Bientôt, ils aperçurent le chemin qui coupait la forêt en deux.
— Hé ! Fit-il, et sa mule s’arrêta.
Ana jeta un œil vers le nord, puis vers le sud. Des deux côtés le sentier disparaissait, dévoré par les arbres.
— Si tant est que nous soyons au bon endroit, pensa-t-il à voix haute, il n’y a plus personne ici.
Le chemin qui menait au village était souvent emprunté, et ce trafic laissait toute sorte de traces. Impossible donc, de lire quoi que ce fut dans le sol piétiné.
— Alors Neige, que fait-on maintenant ? On rentre ? On fait comme si de rien n’était ?
Ana parlait souvent à sa mule, qui sait ? Peut-être le comprenait-elle. Il lui flatta la croupe, puis, sans cesser de la caresser, se dit que, puisqu’ils étaient déjà tournés vers le nord, autant poursuivre dans cette direction. Ils seraient au village en un rien de temps, et du moins aurait-il alors une excuse pour s’être absenté.
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