Chapitre 9

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Evren n’avait jamais vu de village tel que celui-ci. Chez elle, les habitations étaient grandes et longues, on y vivait tous ensemble. La fillette se demanda si les familles ici étaient si petites qu’une maison de quelques pas de large suffisait à les abriter.

Par ailleurs, ici, tout était lisse et terne. En comparaison, chez elle, rien n’était plus rare qu’un mur non décoré. Evren avait le souvenir — elle devait avoir huit ou neuf ans — de cette maison qu’on construisait près de la sienne. À peine un mur s’élevait-il que déjà ses futurs occupants le peignaient, le couvraient de fleurs, y gravaient des messages, ou y dessinaient le contour de leur mains.

Evren suivait l’homme qui s’était proposé de l’aider à retrouver Dunya, sans détacher ses yeux de ces maisons qui ressemblaient à des carrés de boue recouverts d’un manteau d’herbe boursouflé. Par le toit s’échappait une fumée blanche et grise ; y avait-il le feu ? Les ouvertures noires, flanquées au milieu des maisons, ne révélaient rien sur ce qui s’y tramait. En passant tout près de l’une d’elles, la fillette se pencha et aperçut deux formes. Elle eut un mouvement de recul lorsque leurs yeux se braquèrent sur elle. Les silhouettes immobiles se dressèrent, et Evren bondit en arrière. Sans détacher ses yeux de la porte, elle s’éloigna à reculons. Un homme et une femme apparurent. La femme avait de longs cheveux dorés, comme Evren n’en avait jamais vus, sa peau était claire et ses yeux ronds. L’homme portait une curieuse bosse sur le haut du crâne, et Evren eut soudain l’impression que les gens qui vivaient ici n’étaient pas de la même espèce, un peu comme ces chevaux que son oncle Ardim avait un jour rapporté d’un lointain voyage.

En avançant vers le coeur du village, Evren eut le loisir d’inspecter des maisons similaires et de dévisager d’autres inconnus. Elle croisa un homme aux cheveux gris et courts, qui s’arrêta en la voyant, curieux. Ils se toisèrent un instant, puis la fillette détourna le regard. Elle aperçut deux hommes couverts d’une carapace argentée, la main solidement ancrée sur une lance aussi grande qu’eux. Une série de coups métalliques tout près la fit bondir ; un homme frappait avec vigueur une pointe rouge.

Le passage qu'elle avait emprunté débouchait sur une grande place où brûlaient de petits feux. Autour s’affairaient des femmes, plus grandes que celles de son pays, tandis que leurs enfants les plus jeunes les regardaient en mâchonnant de petites galettes dorées. Ça sentait les céréales, l’huile, et Evren, qui n’avait rien avalé depuis un moment, en eut l’eau à la bouche. Elle se sentit un peu coupable d’avoir faim, mais fut bien vite distraite par le spectacle de ces femmes, qui, les mains enfoncées dans de grands bols ronds, riaient fort. Cette vision rassura Evren.

— Evi, voici la hutte du chef, n’aies pas peur, d’accord ?

La fillette détourna le regard et fut saisie par cette habitation massive qui la toisait. Ana s’en approcha, et tout en enroulant la bride de sa mule autour d’une poutre en bois, appela :

— Iris !

Un homme au visage marqué en sortit. Il embrassa Ana sur les joues, puis observa Evren. La fillette et le vieil homme se dévisagèrent une seconde. Ses yeux clairs, son nez droit, son front plissé, ses épaules larges, couvertes de longs cheveux blancs... elle ne savait s'il fallait lui faire confiance.

Evren aperçut soudain dans son regard un éclat particulier, qu’elle prit pour de la bonté. Elle sourit de toutes ses dents, et l’inconnu sourit à son tour. Il l’invita à la suivre d’un signe de tête, puis se tourna vers Ana et le conduit à l’intérieur. Evren jeta un dernier regard aux villageois qui avaient interrompu leur tâche pour l’observer. Elle leur fit un signe de la main puis s’engouffra dans la hutte du chef.

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