13
Avec Hugo, nous sommes de plus en plus proches. Mon affection est immense, car ses aveux m’ont touché au plus haut point. Je dois respecter sa confiance. J’ai envie de le serrer dans mes bras, comme un frère, de le protéger. Physiquement, sexuellement, je ne suis pas attiré par lui. Il est mignon, il est aussi fin que moi, mais il est trop poilu ! Même sur les mains ! Je n’ai jamais vu ses bras, mais je devine. Il a une barbe courte qui lui va très bien. Tous ces poils me rebutent et m’attirent. Pourtant, il y a une distance terrible qui me retient.
Tu vois, je te raconte tout ! Tu n’as pas à être jaloux. Tu as compris que je l’aime, mais comme un ami, oui, un grand ami, mais pas plus.
Dans ses interrogations, il est parfois amusant. Il est trop paumé.
— Joachim, je peux te poser une question intime…
— Euh, oui ?
— Est-ce que tu te touches le sexe, est-ce que tu te…
— Pourquoi ?
— Non, rien. Excuse-moi.
— Hugo, on ne parle pas de ça ! On le fait, seul ou non, mais on ne demande pas.
— Oui, oui. Désolé.
— Tu sais, j’étais mal à l’aise avec ma sexualité, pas autant que toi, car je me suis masturbé très jeune.
— Non, tais-toi.
— Avec toi, ça ne me gêne pas d’en parler. Je crois que tu te compliques trop la vie. Au début, je me sentais sale et mal. Clément a tout changé.
— Je ne veux pas savoir.
— Au début, tous les deux, nous étions vraiment maladroits, honteux. Mais l’envie a tout balayé. Nous nous sommes découverts et nous avons découvert l’autre. Il avait de l’expérience avec les filles, ce n’est pas tellement différent.
Son attention était trop forte. J’ai été obligé de m’arrêter.
— Excuse-moi ! Je vois que tu es tout rouge. Cela te gêne. Je ne dois pas te parler de cela. En plus, c’est mon histoire…
— Non ! C’est vrai que je suis gêné, mais je veux savoir ce que c’est que deux mecs qui… Mais sans être indiscret ! C’est très intime, c’est votre truc…
Voilà ! J’ai commencé à nous raconter, avec des mots doux, pour lui, et parce que c’était réellement doux. Lui formuler, c’est revivre ces instants, retrouver le même plaisir qu’avec toi. Tu étais là, avec la même présence, la même attention, la même délicatesse. Je n’ai pas pu me taire. Je lui ai confié toute notre histoire. En en parlant, en voyant ses yeux enchantés, j’avais presque envie de la chanter, tellement ce fut une belle histoire. Tu le sais bien !
Clément, je lui ai tout dit, tout ce que nous avons fait, tout ce que j’ai ressenti, tout ce que j’ai reçu, tout ce que j’ai voulu te donner.
— Hugo… tu m’écoutes ?
— Oui, continue… c’est tellement beau…
— Hugo, lève les yeux, regarde-moi !
— …
— Tu étais avec nous, c’est bien. C’est merveilleux, accepte-le ! C’est normal !
— Je ne sais pas… Ce que je sais, c’est que je suis bien à t’écouter, c’est beau. Tu peux continuer, s’il te plait…
Tout me revenait, chaque seconde, chaque geste, chaque parole. J’avais été une révélation, m’as-tu dit si gentiment. Pourtant j’avais agi par instinct, pour toi, pour moi. Tu m’as tout appris, tu as levé tous mes doutes. Tu nous as conduits vers l’amour absolu et entier.
J’ai dû rester longtemps dans mes souvenirs. Je retrouvais la dureté douloureuse dans le bas de mon ventre. Hugo me fixait, l’œil attendri. Je suis sûr qu’il y a lu ce que j’ai vécu. Je reprenais pour lui :
— Je ne sais plus quand nous avons fait quoi. Chaque fois était nouvelle, chaque fois était unique. Il avait une façon de me regarder, de me caresser qui me durcissait presque douloureusement. Avec une seule envie, être lui, être un, nous retrouver soudés. Nul mouvement, juste une étreinte infinie. Puis, aller plus loin, plus haut, le sentir dans son moindre frémissement, le porter longuement, doucement, vers l’étourdissement. Enfin, le relâchement, toujours unis, la béatitude. Se séparer est un déchirement. La sollicitude, une consolation, les caresses, un apaisement. Se rencontrer dans un léger baiser, lire dans ses yeux notre dépassement, s’endormir dans son parfum et nos odeurs d’orgasmes.
Se réveiller contre sa chaleur, nous rejoindre sous la douche pour le savonner tendrement, effacer délicatement chacune des traces de notre amour, puis nous lever, partager le repas, encore chauds de notre nuit, sentant que le bonheur vous fixe de ses yeux généreux. Retrouver le monde, l’autre, dans cette fusion.
Attendre le soir avec détachement, indifférence, car IL sera là, pleinement là…
Clément, je lui raconte tout, car je crois qu’il a besoin d’entendre une belle histoire d’amour entre garçons. Notre histoire est belle ! Et puis, avec Viviane, la psy, j’ai beaucoup parlé de deuil, d’homosexualité, mais pas tellement de nous ! Il faut que je l’exprime, pour moi, pour nous, pour que les autres connaissent.
Ce qui m’emportait, ce n’était pas nos actes, mais ton sourire, cadeau du ciel qui te faisait rayonner. Savoir que ce soleil était pour moi n’a pas de nom. Le meilleur venait alors, quand, suant, tu t’allongeais épuisé, que tu me murmurais le plaisir que tu avais lu dans mes yeux. Don absolu, plénitude totale.
Je ne savais plus si je parlais ou non, tout s’embrouillait, tout était présent ! J’ai dû le revivre au fond de moi.
— Tu étais avec lui ? Ce que vous avez dû être heureux ! Joachim, tu m’as ému ! J’ai toujours pensé que c’était dégueulasse ! Tu me relates tellement autre chose… Tu crois que moi, je… Non ! Je ne dois pas… Joachim…
Il m’implorait, perdu entre ses pulsions essentielles et les interdictions. Je n’aurais pas dû ! Il n’est pas mûr pour entendre ces choses.
Je lui ai raconté notre amour, car cela me fait du bien de savoir qu’il est intact. Pour lui, entendre ce récit est un drame, car il se défend d’aller chercher son bonheur. Je ne devrais pas lui parler de tout cela. Il me le demande, il aime écouter, mais ça le fait trop souffrir. Je me fonds avec toi quand je nous raconte, mais en même temps, je le détruis. Je ne sais plus quoi faire.
— Hugo, tout va bien aller ! Tu vas vivre ta vie et tes envies. Cela va être difficile avec ta famille, tu feras des choix, mais c’est ton bonheur. Émilie a raison…
— Pourquoi dis-tu ça ? Peut-être que moi, je ne suis pas comme toi et Clément !
— Tu m’as raconté l’histoire du costume et ton intuition…
— Oui, mais… ce n’était qu’une impression ! Jamais je n’ai touché un garçon ! Je veux dire comme toi et Clément !
— Tu ne t’es même pas touché, lui lançais-je en bourrade !
— Comment as-tu su que tu étais homo ?
— Je ne sais pas ! J’ai toujours été bizarre et à part des autres. Je n’ai jamais eu de copains, encore moins d’amis ! J’avais horreur des jeux de garçons, mais j’aimais les regarder dans leurs efforts, lutter pour gagner, et leurs exubérants échanges après la victoire ! ou les gestes doux de consolation après la défaite. Je les trouvais tous beaux ! Forcément, comparés à moi… J’ai toujours su que je serais homosexuel. Tu sais, c’est curieux, mais j’imagine que ma mère l’a deviné très vite. Je me rappelle qu’elle parlait souvent d’acteurs, d’écrivains, de musiciens qui étaient homosexuels. Elle insistait, disant que c’étaient des gens formidables. Je crois qu’elle le pense vraiment et qu’elle le disait pour que je m’accepte !
— Tu as beaucoup de chance ! Et Clément ? Tu sais comment il a su ? D’après ce que tu dis, c’était un coureur de filles…
— Nous avons beaucoup parlé ! J’ai été surpris par la façon dont il m’est tombé dessus. Je ne pouvais pas m’empêcher de douter que c’était peut-être une farce, un pari entre mecs et que j’allais être jeté sous les sarcasmes. Il était gentil et prévenant, mais c’était totalement impossible. Il me dominait complètement. Pourtant, j’ai osé lui poser la question. Il m’a raconté toute sa vie. C’est presque aussi compliqué que pour toi.
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