15
Je ne suis pas venu. Je ne t’ai pas abandonné, c’est impossible. Mais j’ai craqué !
C’est sur un détail que je rapportais à Hugo que tout a éclaté. Le charme s’est rompu brutalement. J’ai compris que c’était le passé, sans avenir. Je venais de plonger dans le froid de ton absence. J’avais tout cadenassé, je savais l’impossibilité d’y retourner. Une crise de larmes jaillit. J’étais perdu.
Je sentis alors deux bras m’entourer, une main apaisante se poser sur mon épaule. Je n’arrivai pas à me contrôler, à tarir ce torrent. Je te pleure, Clément, je te pleurais enfin ! Mon chagrin débordait. Que j’étais malheureux ! Que j’avais mal ! Tout s’arrêtait, plus rien n’avait de sens.
Hugo m’a dit que j’ai sangloté pendant plus d’une heure. Il m’a raccompagné et j’ai dormi vingt-quatre heures. Il a veillé sur moi. Je n’ai pas eu la force de le remercier.
Puis ce fut l’effondrement. Pendant des jours, je n’ai rien vu. La douleur de l’impossibilité de retrouver ces moments était insupportable, lancinante. Je n’étais plus là et je n’étais pas avec toi.
Hugo était près de moi, à chaque instant, dans le silence, dans le respect absolu de mon cheminement. Il se gardait d’exprimer quoique ce soit, me protégeant simplement de son amitié bienveillante.
Tout a changé en moi. Je ne sais plus où j’en suis. Tu es toujours en moi, mais j’ai décidé de ne plus essayer de te ressembler, de continuer à te faire vivre. Je me laisse repousser les cheveux. J’aimais bien mes cheveux longs. J’aime bien ceux de Hugo. Je ne sais plus quoi faire des piercings : je les retire, je les remets… Sauf l’anneau d’or : il est soudé à moi, jamais tu ne me quitteras. Je ne mets plus ton parfum. En fait, je veux redevenir comme avant, comme celui que tu as découvert, que tu admirais. Celui que tu as transfiguré. Je garde les vêtements que nous avons choisis ensemble, car je suis bien dedans.
Je crois que je commence à accepter que tu ne sois plus là. Tu restes intact dans mon cœur ! Je te vénère, je t’adore, même si tes caresses et tes baisers ne me portent plus.
Hugo est encore plus présent, mais plus distant, tu comprends ce que je veux dire ? Son regard est plus admiratif, comme si j’avais réussi un exploit extraordinaire. Être avec toi n’était pas difficile ni périlleux, juste délicieux.
Je dois t’avouer que j’apprécie beaucoup la proximité de Hugo. Il est attentif, accueillant. Sa gentillesse parait infinie. En ce moment, il me fait du bien. Je ne doute pas de sa vraie nature, mais il est si complètement bloqué qu’il n’est pas attirant. J’ai tenté de reparler d’homosexualité avec lui, car j’ai envie de l’aider. Il esquive alors en détournant la conversation. Je lui en ai trop dit.
Tu sais que tu as ta photo collée près de ma tête de lit. M’endormir sous ton regard, me réveiller en te voyant, cela me fait du bien. Quand Hugo entre dans la chambre, c’est le premier regard qu’il jette. Je crois qu’il t’admire et qu’il ne veut pas me le dire pour ne pas relancer le mal.
Je voulais aussi te parler d’un changement chez Hugo. L’autre lundi, il est arrivé avec une démarche baroque. Il cherchait à se dissimuler tout en paraissant inquiet de mon attention. Je n’ai pas compris tout de suite, puis j’ai remarqué son pantalon ! Comme le mien. Je peux te le dire, cela ne te rendra pas jaloux, cela le met bien en valeur !
Je reprends depuis le début. Je lui avais raconté le premier achat de ce pantalon, car tu réclamais que je porte un truc ultramoulant. Je n’étais pas chaud, mais je désirais te plaire. La suite de magasins que nous avons explorés, sans rien trouver d’assez fin pour ma maigreur. Puis ton coup de génie quand tu m’as entrainé au rayon femme de cette grande marque. Franco, tu as demandé à la vendeuse la taille pour toi et pour moi, au milieu de toutes ces femmes qui nous regardaient bizarrement. L’attente pour l’essayage, au milieu d’elles ! J’étais rouge de honte et toi, tu me parlais, tu me torturais avec des phrases à double sens qui augmentaient mon trouble. Tu jouais avec moi et tu voyais mon plaisir à être gêné, à refuser mollement de ne pas paraitre ce que j’étais. Tu amusais la galerie, aussi, comme tu aimes le faire avec succès ! La valse entre nos cabines et le couloir ! Quel mal j’ai eu à l’enfiler et à fermer la braguette ! Ton regard ébloui quand je suis sorti ! Tu étais bien aussi ! Enfin, la queue à la caisse, nous serrant de notre complicité, indifférents aux autres dans nos rires. Bien sûr, c’est toi qui as payé ! Le ouf et le contentement lorsque nous sommes sortis. Tu étais rayonnant, me susurrant ton excitation de me côtoyer ainsi vêtu. L’impression était nouvelle, assez agréable, sans importance par rapport à la joie que je te donnais en buvant tes paroles. Je t’admirais aussi, car cela mettait en valeur ce que j’aime chez toi.
Cet épisode avait amusé Hugo. Le voir arriver dans cette tenue montrait un changement radical. Quand il me raconta l’achat, j’en tombais à la renverse ! Son projet initial avait été d’envoyer Émilie l’acheter, en toute discrétion, faute de pouvoir lui en faucher un. Habilement, elle s’était défilée, l’accompagnant jusqu’au rayon, puis l’attendant pendant l’essayage et le paiement. Les bises et les félicitations avaient gommé ses tourments. Surtout, elle trouvait ce choix merveilleux. Il a terminé en disant que, maintenant, Émilie souhaitait faire ma connaissance ! Surtout, il avait osé, sur l’injonction de sa sœur, porter ce pantalon à la maison. Ses parents n’avaient rien remarqué. Il était soulagé, autant que blessé par cette absence d’intérêt.
Mes compliments, sur son courage, sur le résultat et sur son physique le firent rougir. Je l’ai trouvé beau et attachant. Il m’a ému.
Je te l’avais dit, son côté frigide désarmait toutes les attentions. Il est en train de progresser. Par exemple, il a laissé un peu pousser sa barbe, en la taillant soigneusement. Il a les cheveux sombres, presque noirs. Pourtant sa barbe fourmille de petits poils roux ou blond. C’est extraordinaire à regarder, cela me fascine et m’attire incroyablement.
Clément, jamais je n’aurais pensé une telle chose avec toi à mes côtés. De toute façon, tu m’éblouissais et je ne voyais rien d’autre. Ta chaleur me manque tellement, j’ai tellement envie de sentir des bras aimants me serrer fort. Si c’étaient ceux de Hugo, je crois que j’accepterais, mais il est encore beaucoup trop loin ! Ne m’en veux pas, s’il te plait. C’est un peu ta faute si je dois chercher ailleurs. C’est stupide et j’en souffre, mais je suis un peu en colère contre ton abandon. Je sais que tu n’y es pour rien, mais c’est trop injuste. J’ai besoin de hurler cette barbarie qui m’a brisé.
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