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Aujourd’hui, c’était la rentrée !
L’internat est correct. Je suis étonné, car jamais auparavant je n’aurais accepté de vivre dans la proximité d’autres garçons. Le fils unique, le non-sportif rachitique, le prude ultime a abandonné sa retenue. Je craignais trop que mon attirance se devine, que je me perde dans cette contemplation de formes séduisantes. Cela fait si longtemps que je vis avec cette obsession secrète, la dissimulant au fond de mon âme. Te rends-tu compte du chemin que tu m’as fait parcourir ? Montrer mon corps glabre, si peu viril, ne me gêne presque plus. Au contraire, je cherche à l’exhiber, pour que ton adulation continue par d’autres. J’aime me promener à demi dévêtu au milieu de mes camarades, car cela me rappelle ces moments où, dans cette même tenue, nous refaisions le monde pour qu’il nous accueille, juste avant qu’un effleurement affole nos sens dans une étreinte brulante. C’est ridicule, car ils sont tous indifférents.
Pourtant, je me sens bien dans cette ambiance masculine. Tes parents ont annulé l’appartement que tu devais partager avec un ami… Ils ont compris qui j’étais quand tu m’as présenté ce dimanche après-midi. « Un ami ! », leur as-tu déclamé, tout en me tenant la main. Ils ont été polis, mais leur dégout pour notre duo me salissait. Tu riais, une fois dehors, avant de te rendre compte de cette meurtrissure. Tu m’as consolé si tendrement, te reprochant de m’avoir plongé dans votre enfer familial. « Toi, tu avais l’habitude ! » t’excusas-tu. Je suis mieux parmi ces jeunes hommes que seul face à ma torture ; leurs présences inaccessibles me calment. Cette situation est grotesque de pauvreté par rapport à notre projet de vie amoureuse.
Je ne connaissais personne. J’ai tenté de retrouver ma place habituelle dans l’ombre. Pourtant, cela ne se passe pas comme d’habitude : des groupes se forment et plusieurs filles et garçons m’ont déjà adressé la parole. Leur envie de sympathiser transparaissait trop pour ne pas me troubler. Depuis quand suis-je intéressant ? Maxime et Hugo ont l’air cool, je pense que nous allons devenir amis, si j’arrive à parler un peu. Camille parait très attentive à moi. Avec sa grande copine, Juliette, elles sont adorables. Je crois qu’elles sont ensemble, comme nous. Avant, je regardais pour deviner les méchants, ceux qui allaient se changer en tortionnaires pour l’année. Je n’ai pas repéré de mauvais, je me sens en sécurité.
Beaucoup me regardaient avec une pointe d’admiration. Je ne m’expliquais pas pourquoi, jusqu’à ce que leurs regards me fassent comprendre que mon style est particulier et en complète contradiction avec l’effacement que je recherche. Il dénote peut-être, mais il percute. Surtout, ce que je ressens, c’est que ta lumière est en moi. C’est toi qui rayonnes, masquant ma timidité et ma détresse. « Nous sommes si semblables ! » J’avais oublié ma transformation et je redevenais l’huître fermée accrochée à son rocher. Tu as retiré ma gangue ; les autres me voient maintenant. Mais je ne sais pas comment les aborder. Sans toi, sans tes conseils teintés d’amoureuse ironie, j’ai peur. Tu avais tout à m’apporter : tu m’as donné l’habit, il me manque l’aisance et la confiance. Je suis déguisé en toi, je tente de t’imiter. Reste avec moi.
J’aime les cours, car les professeurs sont jeunes et passionnants et pendant ces heures, mon esprit est avec eux, loin de…
Excuse-moi pour ces bavardages. Tu as deviné ma dissimulation depuis ma première visite. J’ai trop honte de ne pas avoir encore osé te le dire. Aujourd’hui, j’ai le courage : depuis notre dernier baiser, aucune larme n’a coulé de mes yeux. Tu penses bien que ce n’est pas par absence de douleur, c’est juste que mon cœur est sec, à jamais. Je trouve ça odieux de ne pouvoir te baigner de mon chagrin, te montrer mon désespoir infini. Je sais que tu ne m’en veux pas. C’est encore plus difficile. Pourtant, je n’y arrive pas. Un tel creux m’habite. Il me manque l’essentiel, la raison ! Alors j’écris pour moi, j’écris pour toi.
Je vais bientôt te retrouver…
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