4.2.3
Nous savonnons une nouvelle fois nos mains, elle nous laisse envahir sa cuisine. Je lui tourne autour, plaque ma joue contre sa hanche, caresse son bras. Je frictionne lentement sa peau très pâle et gracile. La finesse de l’épiderme provoque à l’œil, la vision d’imperceptibles vaguelettes presque invisibles. L’onde afflue du poignet vers le coude. Elle me laisse faire. J’y appuie le pouce, entrainant sur la peau diaphane, un léger mouvement d’avant en arrière. L’oscillation reflue. Elle me repousse d’un coup de hanche, rit et se met à chanter. Elle roucoule un air d’opérette tout en détachant les feuilles de la salade qu’elle immerge dans la cuve de l’évier. Sa voix aigrelette s’élève en trilles, gonfle puis, constante, déroule les couplets sans aucun accroc. Maladroite, je tente de l’accompagner. Ma voix se superpose à la sienne. Je vire sur moi-même, ouvre les bras, décolle mes talons du sol. Mes yeux se ferment. Je deviens derviche tourneur. Entrée à son tour, ma sœur me saisit les mains et virevolte avec moi. La ronde folle prend fin quand nous nous écroulons à ses pieds. Elle n’a pas cessé de chanter. Elle nous adore, nous vénère, nous aime comme si nous étions ses filles. Je me relève. Mes genoux tremblent encore. Je reprends l’équilibre. Je contemple la laitue, noyée dans l’eau vinaigrée à laquelle elle a ajouté quelques gouttes de javel, on ne sait jamais. Ma sœur s’approprie la coupe du pain. Elle découpe trois tranches sur une planche d’olivier. Je n’ai pas le privilège de toucher au couteau. Je mendie le droit d’essorer la salade dans le panier métallique aux ailes de papillons. Elle me l’accorde et je sors sur les premières marches, agitant mon bras en tous sens dans un mouvement anarchique de balancier fou. L’eau jaillit. Les gouttes sèchent aussitôt qu’elles s’écrasent sur le sol. Je hurle de joie. Elle me rappelle au calme. Je rentre. Elle soulève le couvercle d’une casserole et, après un auguste final, nous convie à la suivre. Nous envahissons la salle à manger. Elle a dressé le couvert, étalé une nappe blanche où je peux discerner deux majuscules entrelacées brodées d’un rouge cramoisi, versé un doigt de vin dans son verre. Nous nous hissons sur les chaises après les avoir écartées avec difficulté de la lourde table de chêne aux pieds globuleux. Je saisis la fourchette en argent qu’elle a pris soin de choisir à notre taille, parmi les cadeaux de l’enfance, réminiscences de nos baptêmes respectifs. Mon couteau est à bout rond, celui de ma sœur, pointu comme une vénérable épée. Un carafon de cristal trône au centre de notre repas. Nous mangeons dans un babillage enjoué traversé parfois par des questions auxquelles je ne sais répondre. Comment va votre mère ?
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