Mercredi 26 juin
Charlotte
Assise au milieu de ma terrasse, je gribouille des logos, imagine des noms pour mon entreprise, choisis des couleurs, cherche l’inspiration sur des sites concurrents que ce soit des pâtissiers amateurs ou des boutiques spécialisées, la variété est incroyable. Je me fais une bonne idée de ce que je ne veux pas, mais pas encore vraiment de ce qui peut me représenter. Manu m’a proposé de m’aider, mais il rentre crevé et je préfère qu’on s’amuse sous la couette plutôt qu’on parle boutique durant des heures.
Mais j’avoue que notre discussion chez les Chablot tourne en boucle et je me vois bien monter mon entreprise à la rentrée. D’après mon mari, je suis un peu trop optimiste, mais c’est bien ce qui fait mon charme non ? J’imagine tenir un stand dans les différentes fêtes villageoises, faire un book de mes créations, poster régulièrement des photos de mes créations sur les réseaux sociaux pour doucement me faire connaître. Je pensais proposer mes services gratuitement, dans un premier temps, mais Manu m’en a dissuadé. Les clients aiment savoir qu’ils ont à faire à une pro et aucun pro ne bosse gratuitement, sauf pour des œuvres caritatives. J’ai donc fait une première évaluation des prix du marché, retiré les frais de locaux et d’employés que je n’ai pas, m’assurant le remboursement des marchandises ainsi qu’une petite marge et le prix d’un simple gâteau d’anniversaire me parait prohibitif. Après avoir refait le calcul une deuxième fois, je prends mon téléphone et appelle ma seule amie du coin.
— Bonjour Charlotte, tu tombes bien. Je voulais savoir si vous étiez libre demain pour un petit apéro dans le jardin.
— Demain ? Mais demain c’est jeudi.
— L’école se termine dans une semaine… et nous ne finirons pas tard.
— Oui… oui, nous sommes libres, dis-je rapidement, surprise par le ton de Julie et sa manière un peu cavalière de commencer notre conversation.
Ça ne lui ressemble pas de paraître si pressée, si peu encline à s’intéresser à autrui.
— Oh ! Pardon, Charlotte, c’est toi qui m’appelles. Qu’est-ce qui se passe ?
Ah enfin ! La voilà, la Julie que je connais.
— Tu me parais toute speed, ça va ?
— Excuse-moi. Ma responsable m’a demandé de la remplacer aujourd’hui et je dois m’organiser. Je cumule les téléphones et j’en profite pour lancer mon invitation. Après ce sera les vacances et j’avais envie d’une petite parenthèse avec nos amis. Tu ne m’as toujours pas dit… toi ?
— Je peux venir manger avec toi ?
— La librairie est ouverte non-stop le mercredi. Je voulais m’acheter un sandwich.
— Je m’occupe de ton repas, si tu m’accordes un coin de table et que tu promets de me donner ton avis.
— Avec plaisir. A quel sujet ?
— Logo, prix, choix, proposition, marchés de la région…
— Ça y est ! Tu te lances ? s’enthousiasme-t-elle.
— J’aimerais bien en septembre. Manu trouve que c’est trop tôt, il pense que je ne serai pas prête…
— Tu as raison de foncer. Oui, viens à midi. Je me réjouis de te revoir. Je file, Charlotte. Je serai en retard sinon.
Souriante, je me replonge dans la liste des gâteaux que j’aimerais proposer et surtout que je maîtrise à la perfection. Dans un premier temps, il faut que j’assure. Ensuite je ferai de nouvelles créations.
Julie
Entre deux clients, je trace mes objectifs de la journée sur la liste : les garçons chez ma sœur dès midi, Tiphaine qui les rejoint en fin de journée, la commande passée chez le boucher que je prendrai après avoir fermé la boutique, c’est fait. Le vin au frais, je n’ai pas oublié ce détail ce matin. Il me reste le dessert… Je pensais le confectionner, mais cette fois je n’y arriverai pas. Je pourrais demander à Charlotte… Non je lui demanderai une tourte pour demain soir, ainsi nos amis verront son travail. Je compose le numéro de la boulangerie au coin de la rue et commande deux pâtisseries légères. Je refuse de gâcher la soirée en terminant le repas avec une lourdeur sur l’estomac.
Heureusement que j’ai pris soin de moi hier soir après un bain moussant. Mon épilation laissait à désirer. Je me sens… je ne sais pas trop… Depuis mon rêve érotique, j’ai l’impression que j’ai retrouvé mon pouvoir de séduction. Je croise plus de sourires charmeur, je rencontre plus de regards admiratifs et cela me donne une assurance différente.
Peut-être aussi, le fait de comparer mon couple à celui de Charlotte et Manu. Je ne rêve pas de leur ressembler, mais retrouver un peu notre complicité perdue avec Tim. Charlotte a raison. Même si nous sommes parents, nous sommes avant tout un couple, un homme et une femme et je rêve de reconquérir mon homme.
Ma lingerie prévue pour ce soir devrait lui plaire d’ailleurs. Je me souviens de nos premières années, avant les enfants et il aimait beaucoup les guêpières. Sans doute comme beaucoup d’hommes. Je ne trouvais pas cet accessoire très pratiques et au fil des années, je l’avais même bannis de mes tiroirs. Mais pour ce soir, pour cette nuit, j’avais trouvé un ensemble très aguichant. Lorsque je l’avais essayé dans la cabine de la boutique spécialisée, j’en avais presque rougi.
Le carillon résonne, je tourne la tête et souris à ma nouvelle amie.
— Sushis, tu aimes ?
Pour toute réponse, j’incline la tête et l’invite à me rejoindre dans l’arrière-boutique. L’espace d’une seconde, la présence de Charlotte me fait penser à Manu… à notre baiser échangé dans cet espace confiné, à cette passion partagée… Heureusement, il n’est plus jamais revenu.
J’ai choisi l’amitié de Charlotte et il n’y a pas de place pour un flirt avec son mari. Pas dans mon esprit en tout cas.
— Et tes enfants ? demandé-je.
— Ils mangent avec Manu. Le mercredi, il prend une plus grande pause pour passer un peu de temps avec les enfants.
Je la regarde déposer notre repas puis un cahier dont je devine plusieurs surépaisseurs. Je crains de salir son travail, mais l’impatience de Charlotte est trop grande et avant même d’avaler une première bouchée, elle tourne les pages et m’explique pourquoi elle a choisi l’émeraude plutôt que le rose et pourquoi elle préfère le logo en bas plutôt qu’en haut. Je ne fais qu’observer, sans émettre, pour l’instant, le moindre avis, tournant les pages au fil de ses descriptions.
Elle a vraiment bien bossé. Il ne manque pas grand-chose pour que son projet soit viable. Et côté marketing, le coup de crayon de son mari fera la différence, lui dis-je.
— C’est vrai ? Tu trouves ?
— Tu as super bien travaillé. J’aime beaucoup l’arabesque qui entoure le cupcake, mais je te conseille de travailler encore un peu la couleur. L’émeraude, même si j’aime cette couleur, pour l’alimentaire, c’est pas vendeur.
— C’était pour rappeler la couleur de mes yeux.
— Ils sont verts, Charlotte et personne ne comprendra le rapprochement. Cherche une couleur naturelle, qui se rapproche des coloris alimentaires. Tu peux jouer sur les pastels, peut-être.
Elle note scrupuleusement ce que je lui propose, tout comme l’emplacement de son nom que je trouve tout à fait adéquat. Charlottises, pour reprendre son prénom et la fin de gourmandises, ou peut-être bêtises. Je souris en lui posant la question :
— Les deux. Pourquoi choisir ?
— Au fait, pour demain soir, tu veux bien nous faire un dessert ? Je te le paie, évidemment. On sera huit, peut-être dix adultes. Je te dirais bien de ne pas trop te compliquer mais ma voisine est friande d’anniversaire en tout genre, par contre la pâtisserie, c’est vraiment pas son for.
— Oh… et tu crois que… ?
— Qui ne tente rien, terminé-je en lui faisant un clin d’œil.
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