Julie

Mes yeux observent encore longuement la porte où Manu s’est enfui.

Je l’avais entendu respirer mon parfum, sa main s’était posée dans mon dos, à la lisière du tissu de ma robe, ses doigts avaient caressé ma peau nue, son torse s’était collé à ma poitrine, j’avais relevé mon visage, fermé les yeux, écarté les lèvres lentement comme une invitation silencieuse. Mais sa bouche s’était posée sur mon front, y laissant un baiser tendre, avant de s’éloigner en murmurant qu’il ne pouvait pas. Qu’il ne pourrait jamais s’arrêter à un simple baiser.

Il avait eu raison, je le sais. La théorie est simple… il bosse avec mon mari, il est marié à ma nouvelle plus proche amie, nos enfants vont à l’école ensemble, j’ai promis fidélité lors de l’échange de nos vœux à Tim et moi… tout chahute dans ma tête et l’ordre n’est sans doute pas le bon, mais les pensées se bousculent et pourtant en pratique, qu’est-ce que c’était difficile de le laisser partir, de ne pas lui courir après, de ne pas l’embrasser langoureusement, de ne pas passer mes mains sur son corps, de ne pas me lover tout contre lui à la recherche du seul cadeau que j’aurais pu recevoir pour mon trente-cinquième anniversaire.

Non, en fait, c’est faux. J’avais reçu des bisous de mes enfants et un parfum de mes parents. Mais rien de Tim, rien de Manu… pas même de la compagnie pour mon repas de fête.

J’essuie une larme qui longe ma joue avant de préparer mon assiette. Non, deux, comme si mon mari allait arriver d’une seconde à l’autre. Je choisis une playlist et lance une mélodie qui me réchauffe le cœur avant de passer à table.

L’assaisonnement était parfait. Même si j’avais une boule au ventre, je refusai de gâcher mon repas. J’avais passé des heures à tout préparer… C’était exclu que je mette le tout à la poubelle. Mon foie gras était un peu trop cuit. Exactement comme Tim l’aime, alors que je préfère quand il est légèrement rosé. Mais il est bon malgré tout. La purée avait plu à Manu, il aurait sans doute apprécié le menu en entier. Y compris le dessert, mais il était resté raisonnable. Il avait semblé ému… c’est vrai que je me sentais particulièrement jolie ce soir. La robe m’allait bien et je sentais bon. Oui… j’aurais pu lui plaire. J’en étais certaine.

Il était plus de vingt-trois heures lorsque je choisis de monter me coucher. La cuisine était rangée, les bougies éteintes, j’avais laissé les trois assiettes en évidence sur la table de la salle à manger avec un petit mot à l’intention de Tim :

« Bon appétit ! C’était excellent chaud, peut-être que froid aussi. Demain matin, je me lèverai tôt. N’oublie pas l’apéro avec nos amis à 18h ! »

Une fois dans la chambre, je me déshabille en serrant les dents. Non, je ne pleurerai pas… Pas encore. Ce n’est pas le moment !

Je me démaquille avec soin, fais un brin de toilette puis me glisse sous la couette en me disant : « Encore une soirée de gâchée… Mais c’était la dernière. À partir de demain, je change de vie ! ».