Mardi 3 septembre
Julie
Cela fait un mois maintenant que j'ai repris une activité et il me semble que je n'ai rien vu passer. L'été s'éloigne, les soirées deviennent plus courtes, et je n'arrive pas à en profiter. Je suis heureuse dans mon nouveau travail et je trouve grisant d'avoir une vie à moi, en dehors de la famille. D'avoir également des anecdotes à raconter le soir pendant le repas, je veux dire, autre chose que la promotion du jour chez le maraicher. Je ne dévalorise pas mes anciennes occupations, qui je dois bien l'avouer, me manque par moment. Mais le fait de ne m'arrêter que sur les aspects positifs de ma nouvelle organisation m'aide à ne pas trop broyer du noir. Parce que ce n'est pas le nirvana, loin de là.
Tim voit de plus en plus son amie, et il semble plus présent pour l'enfant. Pour ce dernier, je suis contente, mais juste pour ce petit bonhomme que je refuse de rencontrer. Par contre, Tim ne m'aide pas plus pour la maison ou le ménage. Tout comme les courses, c'est à moi d'y penser et de remplir le frigo.
Ce qui me manque aussi, c'est de préparer de bons petits plats. Après une journée de travail et quarante minutes dans les bouchons, je n'aspire qu'à me poser, et si les enfants réclament une pizza, j'en suis presque aussi gourmande qu'eux. Une pizza congelée, évidemment.
Avant j'aurais pris le temps de faire la pâte, de l'agrémenter d'ingrédients particuliers pour chacun... là, je fais au plus simple, jambon champignon pour tout le monde. Je sollicite aussi plus d'aide, des enfants et forcément cela ne se fait pas sans ronchonner.
Mais ce qui me manque le plus, c'est de ne plus voir mes amies. La dernière matinée papotage, autour d'une tasse de café date de mai. Et je sens que ces moments de confidences manquent aussi à Charlotte qui ne cesse de m'inviter. Ce matin encore et je profite d'une pause pour l'appeler et fixer un vrai rendez-vous.
— Ah ben quand même. J'ai cru que tu avais bloqué mon numéro, m'accueille-t-elle, avant de s'excuser.
— Je n'y arrive pas, Charlotte. Ce n'est pas contre toi, mais l'organisation peine à se mettre en place, et quand je ne bosse pas ou que je ne m'occupe pas de la maison, je dors. Les trajets m'épuisent et cette formation en accéléré aussi.
— Mais même si c'est à Noël, je veux qu'on fixe une rencontre, Julie. Tu me manques.
Mon visage s'éclaire d'un sourire et je fonds sous cette déclaration si spontanée et sincère.
— Ce soir ?
— Ah, ben, je ne m'y attendais pas. Oui, oui très bien ce soir, s'empresse-t-elle de dire. Tu t'invites pour le repas ?
— En fait, j'aimerais surtout en profiter pour te confier mes enfants pendant une petite heure.
— Je les aime beaucoup, mais c'est toi que je veux voir.
Je rigole et lui explique mes intentions sans entrer dans les détails et je termine en lui proposant d'apporter des glaces pour le dessert. Elle se réjouit tellement, que j'ai l'impression qu'elle applaudit des deux mains. Mais à peine ai-je raccroché que mon téléphone sonne et je reconnais le numéro du collège. Je réponds précipitamment, avant de changer de couleur.
Emmanuel
Un dossier dans les mains, j'ouvre la portière de la berline de Tim et m'installe sur le siège passager. Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas retrouvés sur le même projet. Et je m'en réjouis. Même si face à Julie la situation reste délicate, je suis ravi de travailler avec lui. Nous avons vraiment une bonne complicité et c'est très agréable d'être son collègue. Les dossiers sont toujours parfaitement préparés, il y a très peu de place à l'improvisation, sauf en ce qui concerne l'élaboration proprement parler du concept et sur ce dernier, avec lui j'ai généralement carte blanche. Tim reste la tête pensante, faisant respecter le budget et les délais.
Ce matin, nous nous rendons à Genève, pour rencontrer de futurs potentiels clients. Une chaîne d'hôtel désire redynamiser son image. Mes croquis ont conquis Tim qui n'a pas tergiversé avant de me proposer de l'accompagner.
Ça nous fait du bien de passer un peu de temps ensemble. Chacun à bosser comme des fous dans son coin, ne trouvant plus de moment même pour aller boire l'apéro. Nous avions un peu perdu de vue que nous avions vraiment du plaisir à travailler ensemble.
Alors que nous entrons sur l'autoroute, le téléphone de Tim sonne. Il décroche avec son main-libre :
— Oui ?
— Salut, c'est moi, dit Julie.
Je déglutis. Le fait d'avoir parlé d'elle hier soir en séance avec Charlotte et son thérapeute m'avait quelque peu conforté dans l'idée qu'elle n'était sans doute qu'un fantasme. Ressemblant à une femme enfant, fragile, timide, mon esprit d'homme protecteur s'était réveillé à son approche, mais qu'une fois passée dans mes bras, elle perdrait de son attrait. Sauf que...
En entendant sa voix, ce matin, je comprends que ce n'est pas qu'une envie de sexe. C'est bien plus profond. Elle me manque. Je ne l'ai plus croisée depuis leur retour de vacances et oui, j'aimerais beaucoup la voir. Par contre, une crainte m'envahit. Que Tim découvre cette attirance, notre complicité et mon attachement. Si Julie avait eu du mal à ne pas culpabiliser, son mari ne comprendrait pas cette situation. Je perdrais son amitié, et l'ambiance au bureau serait lourde.
— Salut ! répond Tim d'un ton presque glacial.
— Tu es en route ? s'étonne-t-elle.
— Oui. Tu es sur haut-parleur, mon oreillette est cassée. Manu est avec moi.
— Oh ! Salut Manu, dit-elle la voix nettement plus amicale.
Cela semble toujours aussi tendu entre eux. Ils avaient l'air plus proches à leur retour de vacances. Je salue à mon tour Julie, lorsque Tim s'impatiente :
— Bon, qu'est-ce que tu veux ?
— Vous allez où ?
— Genève. Rendez-vous à 10 heures et ça bouchonne. Pourquoi ?
— Zut ! Qu'est-ce qui t'a pris d'envoyer Tristan à l'école ce matin ?
— Et dis-moi pourquoi il n'y serait pas allé ?
— Il a été malade toute la nuit.
— Il a vomi deux fois !
— Et encore en classe.
— Mince.
— Tu sais que le mercredi je bosse chez ma sœur, tu aurais pu me demander de passer, on aurait pu trouver un arrangement. Le pauvre, les copains vont se moquer et...
— Je suis désolé, Julie je n'ai pas pensé à ça. Mais en même temps, tu m'as dit de me démerder, alors je fais comme je peux.
— Et c'est quand que tu as décidé d'être vraiment con ? cingle Julie sans plus de manière.
— Julie !
Je sursaute alors que mon collègue grogne.
— Quoi ? s'écrie sa femme à l'autre bout du fil. Ton fils est malade et toi, tu l'envoies à l'école alors que ta mère, la mienne ou même moi pouvions le garder. Tu ne vas pas me soutenir que tu es très intelligent sur ce coup, non ?
— Ma mère ne me parle plus.
— M'en fous, tu as mis trop de temps à lui dire !
— Et pour... Tristan ?
— Ben je vais me démerder, comme d'habitude. Je n'ai pas trop le choix ! Je vais le chercher. Bonne journée, Manu. À bientôt.
— Merci toi aussi.
La communication se coupe et Tim freine brusquement, avant d'accélérer et de se déporter sur la piste de gauche, malmenant son levier de vitesse.
— Et moi ? Je peux me brosser pour qu'elle me salue.
Je plisse les yeux, regarde attentivement les autres usagers de la route ralentir une nouvelle fois, puis je tourne le visage vers Tim et demande :
— Là, j'ai besoin d'une explication. Je pensais que vous vous étiez remis ensemble ?
— Quoi ? s'étonne-t-il en me regardant l'air étonné.
— Après vos vacances...
— Pourquoi tu as cru ça ?
— Je ne sais pas, on sentait moins de tensions, certains gestes semblaient plus tendres et surtout Tiphaine a dit à Marion qu'elle vous avait entendu la dernière nuit et même surpris dans les bras l'un de l'autre à votre retour.
— Ouais... ben ça... quelle connerie, tient !
— Tu me racontes, s'il te plaît.
Il paraît ennuyé et je ne sais pas trop si j'ose insister même si j'en meurs d'envie. La circulation reprend, il attend de retrouver une allure correcte avant de m'expliquer :
— Pendant les vacances, on a trouvé un équilibre, je me suis rapproché des garçons et elle de Tiphaine. On a vraiment passé de très agréables moments un peu comme les années précédentes. Le sujet restait tabou et Théo ou même Tristan ne se sont aperçus de rien. J'étais bien en famille et j'espérais que Julie me pardonnerait. J'avais merdé, mais un soir, une seule fois... Une fois de trop tu me diras. On arrivait à rire ensemble et jamais elle ne m'a envoyé un pic.
— Mais Tiphaine n'a quand même pas tout inventé ?
— Elle a sans doute confondu. La veille de notre retour, Virginie m'a appelé et le téléphone a un peu dérapé. Julie s'amusait bien à la soirée organisée par le camping et je lui ai proposé de coucher les enfants. Quand elle est arrivée, elle a surpris ma conversation et a vu rouge. Elle a raccroché au nez de Virginie, puis m'a fait un strip, m'a excité pour me montrer qu'elle aussi était capable de m'émoustiller, puis m'a giflé verbalement. J'ai fini sous la douche puis sur la terrasse. Les voisins n'ont pas cessé cette nuit-là. Tiphaine a dû m'entendre parler puis a dû confondre les gémissements.
— Je comprends mieux. Et vous voir dans les bras l'un de l'autre ?
— Au retour des vacances, Julie était trop fatiguée pour faire le lit dans la chambre d'amis. On venait de partager la même chambre pendant trois semaines, je trouvais son éloignement ridicule. Mais apparemment, je me serai approché... Enfin tu connais les nanas, c'est forcément toujours de notre faute.
Le contact doit lui manquer, à Julie. Je me souviens de la manière qu'elle avait de se lover dans mes bras. C'était peut-être inconscient, mais elle a besoin d'un homme, d'une présence et surtout d'amour.
— Et cette histoire, avec... Virginie ?
— Je la revois. Elle n'a rien demandé pendant deux ans, mais elle a peur des questions de son fils. Et maintenant que je sais, je ne peux plus faire comme si j'ignorais la vérité.
— Mais tu vas le reconnaître ?
— Je vais déjà être plus présent. Il est adorable, ce gosse.
— Et la maman ?
Il garde le silence quelques secondes, écoute le GPS lui indiquer la sortie à suivre, puis marmonne :
— Franchement, j'en sais rien. J'aime bien être avec elle. On passe de bons moments.
— C'est sérieux ?
Il ne répond pas et secoue la tête, mais je ne devine pas le fond de sa pensée.
Tout ce que je retiens de cette conversation, c'est que Julie est seule... Libre. Je ne sais pas trop si c'est une bonne nouvelle, mais je me réjouis qu'il ne puisse plus poser ses mains sur elle. J'espère même en secret qu'aucun homme ne s'en approche.
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