Jeudi 19 septembre / 3
Julie
Je suis complètement sonnée par cette conversation et par ses révélations. Je ne savais même pas que l'on pouvait souffrir ainsi. Elle semble parfaitement gérer son trouble, comme faire l'amour avec un homme dont elle n'est pas amoureuse. Simplement deux corps l'un avec l'autre, sans le partage des émotions. Comment fait-elle ?
— Tu te demandes sans doute comment je fais pour vivre ainsi. Je te répondrai que c'est tout aussi improbable pour moi que tu ne jouisses pas toutes les nuits dans les bras de ton mari. Enfin du moins avant votre séparation. Tu respires plusieurs fois par minute, tu te laves régulièrement, tu manges trois repas par jour... Pour moi le sexe a la même importance. C'est simplement un besoin vital. Je pourrais me morfondre, me rouler en boule et attendre que ça passe, mais bordel, l'orgasme est indispensable. Pourquoi s'en priver ? Il n'y a aucune contre-indication. Cela ne fait pas grossir, cela entretient son corps et surtout son cardio, ça rapproche les êtres. Franchement je vois pas une seule raison de s'en passer.
— La fatigue ? Moins d'envie ? suggéré-je.
— Ouais, ça m'arrive aussi, hein. Mais bon pas souvent. Et pas plus de deux ou trois jours. Après je suis en manque et c'est mauvais.
Elle avale une gorgée de son cocktail puis me le montre à moitié vide. Et un mot me revient à l'esprit : vital. Est-ce que le sexe est vital ? Un plaisir oui, indispensable pour se reproduire aussi, mais vital ? Soudain, j'ai de la peine pour elle. Elle ne connaît donc pas le plaisir simple d'un câlin. Et les baisers ? Ont-ils la même saveur ? La même importance ? Probablement pas, puisque ceux que j'ai échangés avec son mari ne semblent pas la gêner.
— Manu m'a dit que votre premier rapprochement s'est fait par pulsion. Même si cela te paraît aujourd'hui déraisonnable, que tu penses que tu aurais pu te contrôler, je connais l'énergie qu'il faut dépenser pour l'éviter. Et c'est trop puissant pour ne pas se laisser aller lorsque la situation s'y prête. J'éprouve ce genre de pulsion tout le temps. À chaque minute de la journée, ou de la nuit. J'arrive parfois à me contrôler, surtout en présence des enfants ou de personnes étrangères, au travail ou dans un lieu public. Mais c'est épuisant. Manu m'aide énormément.
Elle suçote la paille de son cocktail, avale une grande gorgée alors que je l'observe toujours attentivement. Je reste intriguée par ses propos.
— Pour moi l'acte sexuel en lui-même n'est pas lié aux sentiments ni aux émotions. C'est fait uniquement pour me défouler, me soulager. J'en éprouve du plaisir, bien évidemment, mais je ne cherche jamais à faire durer. J'ai besoin de jouir très rapidement. Je ne veux rien d'autre. Je suis amoureuse de Manu, je partage beaucoup de choses avec lui, j'aime la vie à ses côtés et ce que l'on a construit tous les deux, c'est tellement plus qu'une simple relation sexuelle.
— Lui aussi est amoureux de toi.
— Je sais ! Il me le prouve tous les jours. Et pas parce qu'il me fait l'amour tous les jours, Julie. Il me le montre en restant attentif à moi, à mes besoins. Mais ton arrivée dans sa vie, dans notre quotidien l'a perturbé.
— Charlotte, peux-tu comprendre que pour moi l'acte sexuel, faire l'amour avec un homme représente le moment le plus intime qu'un couple puisse partager ?
— Oui, je peux essayer, murmure-t-elle.
Je remarque une petite ridule entre ses deux yeux et je sais que lorsqu'elle fronce de cette manière, c'est qu'elle réfléchit. Elle passe une main dans ses boucles, s'amuse avec une mèche avant de me demander :
— Tu as une préférence entre boire un café avec Christine ou avec moi ?
— C'est totalement différent, mais j'ai du plaisir avec toutes les...
Je m'interromps et la regarde surprise.
— Ce n'est pas à ce point insignifiant pour toi ? m'exclamé-je.
— Pas loin. Je me retiens pour le faire le plus possible avec Manu, parce qu'il souffre de me savoir dans d'autres bras. Mais honnêtement, le gars derrière son bar ou ton voisin, peu importe. C'est plus amusant quand le mec me plaît, oui.
— Et te donner du plaisir toute seule ?
— Ça m'arrive très souvent, notamment en journée, quand Manu est au travail. Mais je préfère les gestes des autres que je ne parviens pas contrôler.
Perdue dans mes pensées, écoutant les exemples exposés par Charlotte, je m'amuse avec le dessous de verre, cherchant mes mots sans trop oser affronter son regard, lorsque je chuchote :
— Donc, tu n'es pas fâchée qu'on...
— Non.
— Pas même qu'on te l'ait caché ?
— Ça oui, c'est vrai que j'aurais préféré le savoir, mais je comprends pourquoi vous avez gardé le secret. Tim n'aurait pas aimé, je crois.
— En effet. Même si c'est le cadet de mes soucis ce soir.
— Julie, cesse de t'en vouloir. Vous vous êtes embrassés avant qu'on fasse connaissance.
— Il y a un truc que je ne comprends pas. Tu souffres d'une maladie et tu ne contrôles donc pas tes pulsions, mais Manu n'est pas comme toi.
— En effet.
— Alors pourquoi il se permet lui aussi de... rencontrer d'autres femmes.
— Parce que la fidélité n'a pas la même importance pour nous. Au début, il a voulu me montrer que ce n'était pas agréable de savoir son conjoint dans d'autres bras, mais il s'est aperçu que je ne simulais ni mon plaisir ni mes paroles. Il aime le flirt et la séduction. Il ne couche pas souvent sans moi.
— Le fait d'avoir ton autorisation.
— Peut-être. Mais pas seulement. Il n'est pas en manque de sexe, lui, mais de tendresse. De complicité et je pense que tu peux lui offrir ce que je n'arrive pas. Ce qui pour moi est superflu.
— Là, tu délires, Charlotte, explosé-je.
— Non, je suis très sérieuse.
— Manu est plus que comblé avec toi. Il doit même être en surchauffe, dis-je en ironisant.
— Effectivement en ce moment, c'est trop pour lui. Il a demandé une pause. On est allé voir notre conseiller conjugal qui est aussi sexologue. D'ailleurs, il aimerait beaucoup te rencontrer.
— Pardon ? Vous... vous avez parlé de moi à votre thérapeute ?
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