Mercredi 1er octobre
Julie
Il est un peu plus de dix-sept heures lorsque nous rejoignons Tim devant ma future maison. Les enfants ne savent pas ce que l'on vient faire ici et nous voulions leur parler dans un endroit loin des repères affectifs.
Grâce à Tim tout est allé très vite. Les propriétaires ont donné leur accord si rapidement que je peux emménager demain, si j'en ai envie. J'ai prévu de demander aux grands-parents de garder les enfants pendant les vacances d'automne pour pouvoir repeindre leurs chambres et le salon.
Lorsque je sors de la voiture, je ressens un vertige. L'angoisse, sans doute.
— Papa, s'écrient les trois en chœur en accourant vers lui, comme s'ils ne l'avaient pas vu depuis trois mois, alors qu'ils se sont quittés dimanche.
Je suis heureuse qu'ils manifestent leur attachement avec autant d'entrain, mais j'en suis un peu jalouse. Lorsqu'ils reviennent vers moi, je n'ai pas droit au même enthousiasme. Sans doute, parce qu'il n'y a pas réellement de séparation. La semaine où Tim est censé s'en occuper, je les croise quasiment tous les jours, soit pour finir les devoirs ou pour un trajet pour le sport. Alors que lorsqu'ils sont avec moi, Tim ne les voit pas. Pas que je ne le souhaite pas, mais il semble cumuler les heures pour avoir plus de disponibilité lors de sa semaine de garde.
— Qu'est-ce qu'on fait ici ? demande Tiphaine soupçonneuse.
— Nous allons visiter cette demeure.
— Pour faire quoi ? se renfrogne Tristan.
— Je ne peux pas vivre éternellement chez Tante Sophie, annoncé-je.
— Tu peux revenir à la maison, affirme Théo.
— Venez, entrons, propose Tim qui préfère parler de notre histoire à l'abri des oreilles indiscrètes.
Je sors la clé que l'agent immobilier m'a remise cet après-midi après la signature du bail. Ça m'a fait drôle d'être seule pour un papier aussi important. Le montant de la caution a été bloqué sur un compte, j'ai tenu à ce qu'il reste au nom de Tim, malgré ses protestations. Cet argent est le sien et lorsque je déménagerai, il le récupérera avec les intérêts en plus.
La maison est bien plus petite que celle de Tim ou celle des Roucal, mais elle offre un jardin, un salon et quatre chambres à coucher. Trois à l'étage et une au rez-de-chaussée que les anciens locataires avaient aménagé en bureau. J'en ferai sans doute ma pièce, mais je laisserai les enfants choisir.
Ils pénètrent à reculons dans la pièce à vivre avec dans un angle un coin repas qui se devine facilement grâce au bar qui le sépare de la cuisine.
— Beurk, c'est moche ! s'exclame Tiphaine. J'aime pas, c'est foncé, on dirait... un vieux château.
— Sympa ! soupiré-je.
— En plus c'est tout petit et il n'y a pas de lumière, ajoute Tristan.
J'échange un regard avec Tim qui hausse les épaules, impuissant. Je le fixe en plissant les yeux, l'air de dire : « toi, t'as intérêt à m'aider, là ! » C'est exclu que nos enfants pensent que je les oblige à vivre dans une maison qu'ils n'aiment pas, juste sur un coup de tête !
— Je vais ouvrir les volets, dit rapidement mon ex. Vous verrez c'est finalement très clair. Et les murs seront repeints.
— Mais t'as vu ce parquet, il est immonde, renchérit notre fille.
— On peut le changer. Ça se pose facilement, explique Tim.
— Ce n'est pas un argument. S'il y a trop de travaux, ça vaut pas le coup, conclut-elle.
— Allez visiter l'étage, dis-je pleine d'espoir. Les chambres vous plairont peut-être.
— Pas envie. J'aime pas, j'aime pas, dit Tiphaine d'un ton sec en prenant appui contre la rambarde de l'escalier. J'vais pas me forcer.
— Si jeune fille ! Tu vas te forcer un peu quand même, répliqué-je plus durement.
— Pourquoi tu nous as fait venir ici ? dit-elle sans bouger.
Je me trompais en imaginant qu'ils s'extasieraient sur une maison sans savoir la suite de l'aventure. Évidemment ce n'est pas Versailles, mais elle est bien située, près des écoles, des commerces et même de leurs amis. Je prends mon courage à deux mains et demande :
— Vous voulez l'explication avant la visite ?
— Oui, dit Tristan en se retournant brusquement au milieu des escaliers.
J'inspire profondément, cherche le soutien auprès de Tim qui m'approuve d'un sourire ressemblant plus à une grimace. Je sais que je me leurrais en espérant une plus grande implication de sa part.
— Comme vous le savez, Papa et moi, nous n'allons plus vivre ensemble.
— C'était provisoire, tu as dit ! ronchonne Tiphaine.
— Provisoire que je vive chez Sophie, oui. Mais pas notre séparation.
— Pourquoi ? demande Théo les larmes aux yeux.
— Papa et moi, nous ne nous aimons plus comme un couple devrait s'aimer pour pouvoir vivre heureux tous les jours, expliqué-je.
— C'est des conneries ! tonne Tiphaine.
— Tiphaine ! Pourquoi tu dis ça ? m'étonné-je.
— Parce que moi je sais pourquoi vous vous séparez et c'est pas parce que vous ne vous aimez plus. Je sais que vous couchez encore ensemble.
Je me souviens de la confusion. Je secoue la tête en affirmant :
— Non, Tiphaine. Tu te trompes.
— Je vous ai même vu dormir dans les bras l'un de l'autre.
— Une fois, au retour des vacances, un réflexe... rien de plus.
— Mais si tu reviens à la maison, ça redeviendra comme avant, renchérit Tristan.
— Même si ta maman habite à nouveau avec nous, nos sentiments ne changeront pas, mon grand. Elle ne m'aime plus, et moi non plus.
Ah enfin un mot de mon ex. Il était temps !
— Tu dis ça... mais c'est pas vrai. T'y crois pas, explose Tiphaine. Je suis sûre que c'est à cause de lui !
— Qui ça lui ? questionne Tim.
— Son amant. Maman a un mec et elle veut nous faire croire que vous ne vous aimez plus. Mais moi je sais.
— Tiphaine, tu ne sais rien du tout. Tu me soupçonnes, mais tu ne sais rien. Je n'ai pas d'amant. Pas plus qu'il y a deux mois.
— Mélissa m'a dit que l'homme qui buvait un café avec toi te regardait comme s'il était amoureux et que tu rougissais.
— Je t'ai déjà dit que c'était Manu et je ne rougissais pas. Tu préfères croire une de tes copines que tu n'apprécies pas particulièrement plutôt que ta mère ?
— Tu as été boire un café avec Manu ? s'étonne Tim.
— Oui, ça fait un bail en plus. Il est passé à la librairie un jour, je ne sais plus, en mai... un peu après être venu à la maison. Il voulait offrir un cadeau à Charlotte. Oh et pis zut ! Ce n'est pas vraiment le problème, il me semble.
Je soutiens son regard d'un air sombre. S'il ne m'aide pas immédiatement, je ne donne pas cher de sa peau. C'est exclu que je paie son erreur. Et même si ce jour-là, je culpabilisais d'être près de Manu, je ne suis en rien responsable de l'explosion de mon couple. Du moins... Pas comme notre fille l'affirme.
— Non... effectivement.
— Je te déteste, dit soudain Tristan en me regardant.
— Moi ? m'étranglé-je.
— Oui, toi ! C'est toi qui es partie de la maison, qui as repris ton boulot à la con. C'est à cause de toi que notre vie a changé ! Je suis sûr que papa ne voulait pas que tu retournes bosser. Pourquoi tu ne l'as pas empêché ?
Tim le regarde d'un air ahuri puis fixe son attention vers moi. Il déglutit avant de se racler la gorge et murmure doucement :
— Il ne faut pas être fâchés après votre mère. C'est moi qui ai rencontré quelqu'un.
— Toi ? s'étonnent mes trois amours.
Ah enfin ! Même si je ne suis pas certaine qu'il doive endosser toute la responsabilité, je me sens enfin un peu soutenue. J'en ai marre de me prendre des baffes sans cesse.
— Et toi tu ne pouvais pas l'en empêcher ? s'énerve Tiphaine en me regardant méchamment.
— Moi ? répété-je abasourdie.
Ça sera donc forcément toujours de ma faute ?
— Tiphaine, ta mère a essayé, mais les sentiments ne se contrôlent pas.
— Tu vas te marier avec elle ? demande Tristan.
— Mon Dieu Tristan... on n'en est pas encore là.
— Ça fait combien de temps ? grogne notre fille.
Mon regard passe de l'un à l'autre pendant que Tim explique sa relation brièvement. Il ne parle pas encore du bébé et je pense qu'il a raison de ne pas en rajouter. La pilule est déjà suffisamment difficile à avaler. Mais il ne faudra pas qu'il tarde trop non plus. Les enfants ne comprendront pas.
Mon attention se fige sur Théo. Sa panique est lisible. Je m'approche, m'accroupis et fixe ses yeux.
— Qu'est-ce qui se passe, mon cœur ?
— Si... si tu n'aimes plus papa... et que papa ne t'aime plus... Un jour tu ne m'aimeras plus aussi ? hoquète-t-il.
— Non, ça n'a rien à voir. L'amour que l'on porte à son enfant est plus fort que tout. J'ai choisi de partager un bout de chemin avec votre père. Nous nous sommes choisi pour fonder une famille. Je n'aurais pas voulu d'un autre que lui pour être votre père. Aujourd'hui la vie fait que nous nous séparons, que nous nous aimons moins qu'avant. Nous nous respectons, nous nous apprécions, mais plus du même amour. Et cela ne suffit plus pour vivre ensemble. Tu es une partie de moi et de ton père. Jamais, nous ne cesserons de t'aimer, ni toi, ni ton frère ni ta sœur.
Je sens un regard plein de tendresse de la part de Tim sur moi. J'enlace Théo contre moi, alors que Tristan monte à l'étage apparemment encore furieux. Tiphaine ne desserre pas les dents, ses yeux semblent vides. Le temps est comme suspendu. Nous entendons les pas de Tristan, les sanglots à peine étouffés de Théo dans mes bras.
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