EPILOGUE / 3
Emmanuel
Cela fait cinq ans maintenant que Charlotte a quitté nos vies, elle reste présente, évidemment et je trouve que Marion lui ressemble de plus en plus. Je profite de cette pensée pour montrer des photos des enfants à Julie qui m'imite et nous retrouvons ainsi une atmosphère plus détendue. Ses enfants ont bien changé et ils semblent tous heureux. Leurs sourires font plaisir à voir.
Le repas se passe bien, je ne me force à rien, ni à être bien, à commenter ses remarques ou à remplir les silences. Cela me paraît si naturel. Au moment du café, Julie regarde sa montre et s'exclame :
— Tu as un train à quelle heure ? Je ne voudrais pas que tu te retrouves à la rue pour cette nuit.
— Je trouverais bien une chambre d'hôtel, dis-je sur le ton de la plaisanterie.
Mais le sourire qui s'efface sur son visage me fait regretter mes paroles. Je cherche sur le net les horaires et la rassure. Il me reste un peu plus d'une heure.
— Suffisant pour goûter le moelleux au chocolat. Tu prends aussi un dessert ?
Elle choisit un sorbet et nous terminons la soirée sur des notes gourmandes. J'insiste pour l'inviter et même pour la raccompagner.
— Tu veux t'assurer que je rentre sans encombre ? plaisante-t-elle.
Évidemment, je suis un livre ouvert pour elle. Malgré les années, elle sait que c'est exactement ça. Elle me montre la porte de son immeuble, m'explique les fenêtres et la vue qu'elle a du salon.
Le moment de la séparation arrive et je recule... je ne veux pas. Je me sens bien en sa compagnie, lorsque je me souviens de sa réponse : « elle ne vit pas toute seule ».
Je perds mon sourire et elle s'inquiète.
— Tu viendras avec les enfants et je te montrerai le coup d'œil.
— Oui... une fois, répété-je.
Nous savions tous les deux ce que cette petite phrase signifie... Une fois... un jour... peut-être... mais surtout jamais. La rencontre inattendue, la coïncidence n'aura pas lieu chaque semaine.
— Ça m'a fait plaisir de te revoir Julie, dis-je en m'approchant pour la saluer.
Je ne peux m'empêcher de la serrer contre moi et d'enfuir mon visage dans son cou. Je ne devrais pas, je sais. Mais ça a toujours été elle. Je ne lui ai pas montré mes meilleurs côtés, mais depuis j'ai eu le temps d'analyser, d'en parler, de comparer, de vivre d'autres histoires... Et jamais je n'ai ressenti ce que je soupçonnais à l'époque et ce que je devine encore en ce moment pour elle.
— Manu, soupire-t-elle.
— Je sais, excuse-moi. Tu as quelqu'un. C'était... l'émotion.
— Qu'est-ce qui te fait dire que j'ai quelqu'un ?
— Toi ! Tu m'as bien dit que tu ne vivais pas seule.
— Théo est avec moi. Ce soir, il est chez son père, mais habituellement il est là. Par contre, je n'ai personne dans ma vie, Manu.
Julie
Je devrais reculer, l'embrasser sur les joues, lui indiquer la station de métro, lui promettre un téléphone... une invitation... dans un jour ou deux... peut-être même une semaine, mais je n'ai jamais réussi à rester raisonnable une fois dans ses bras.
Ce rapprochement est trop tôt... Beaucoup trop tôt... Et si la disparition de Charlotte me prouve une chose c'est bien que la vie est trop courte pour perdre son temps à palabrer.
Évidemment que j'ai essayé de l'oublier. Patrick n'a été qu'une passade. Un homme pour me détacher de Manu et surtout me reconstruire après mon divorce. Il m'a apporté une certaine stabilité et une présence lorsque les enfants n'étaient pas là, mais je n'étais pas amoureuse. Pas comme je l'avais été de Tim et surtout pas comme je l'étais de Manu.
— Personne ? répète-t-il.
— Tu n'es pas facile à oublier.
Il se détache de mon corps, recule pour me fixer intensément. Ses mains en coupe autour de mon visage écartent mes cheveux, caressent mes joues, puis il m'approche pour l'échange d'un premier baiser. Un baiser si doux que mes jambes flageolent. Un baiser rempli de tout cet amour perdu.
Nous ne nous étions pas rencontrés au bon moment, il aura fallu que la vie retire quelques embuches pour nous permettre de nous aimer. Mais aujourd'hui, les obstacles en moins, la passion va pouvoir enfin nous habiter.
FIN
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