Chapitre 33
Les couloirs du lycée vibraient d’une agitation constante. Les rires, les conversations et les bousculades résonnaient entre les murs, mêlés au grincement des casiers et au bruit sourd des sacs qu’on jetait négligemment sur les tables. Une odeur familière flottait dans l’air : un mélange de papier humide, de désodorisant bon marché et des effluves persistants du déjeuner servi à la cantine. Corentin avançait à travers cette cacophonie, ses épaules légèrement voûtées, évitant instinctivement tout contact visuel.
Il trouva refuge dans une salle vide. La porte grinça légèrement lorsqu’il l’ouvrit, et il la referma avec précaution pour se couper de l’agitation extérieure. Mais il n’était pas seul. Livia était déjà là, appuyée contre une table près de la fenêtre. Les derniers rayons du soleil couchant illuminaient ses cheveux d’une lueur dorée, lui donnant une aura presque irréelle. Son regard, cependant, était grave.
— On doit parler, dit-elle doucement, mais son ton autoritaire n’offrait aucune échappatoire.
Corentin resta un instant figé, surpris par sa présence. Puis, avec un soupir, il s’avança et s’appuya contre une table en face d’elle.
— J’imagine que c’est encore à propos de Nathaniel, ou du Voile, ou d’autre chose que je ne comprends pas, lança-t-il, tentant d’atténuer son malaise par un sarcasme léger.
Livia esquissa un sourire triste et fit un geste pour qu’il s’asseye.
— Tu veux des réponses, Corentin. Je vais t’en donner, dit-elle calmement.
Il s’installa, croisant les bras, son regard méfiant fixé sur elle. Les bruits des lycéens résonnaient toujours dans le couloir, comme un écho lointain.
— Le Voile, reprit Livia, c’est une frontière. Une limite entre notre réalité et… autre chose. Un espace où les règles du monde que tu connais cessent d’exister.
Elle fit une pause, son regard se perdant un instant dans le vide, avant de continuer.
— Cette frontière est fragile. Des forces, des êtres, et même des fragments de mémoire ou d’émotions peuvent la traverser. Le Dylemme, l’organisation à laquelle Nathaniel et moi appartenons, veille à maintenir cet équilibre.
Corentin fronça les sourcils, la mâchoire légèrement crispée.
— Et vous faites quoi exactement ? Vous chassez ces… choses ? demanda-t-il, incrédule.
Livia hocha la tête.
— Parfois. Mais le plus souvent, nous surveillons, expliqua-t-elle. Nous identifions les failles dans le Voile et tentons de prévenir les déséquilibres. Si quelque chose franchit la frontière, c’est notre rôle de… contenir la menace.
Elle marqua une nouvelle pause, son ton devenant plus bas, presque conspirateur.
— Nathaniel et moi avons grandi dans cette mission. Mais lui… il est différent. Il ne voit pas le Voile comme un danger. Il croit qu’il peut en comprendre les secrets, peut-être même les utiliser.
Les mots de Livia tombèrent lourdement dans l’air, et Corentin sentit une sueur froide couler le long de son dos. Une bousculade dans le couloir voisin fit vibrer la porte, ramenant brièvement le bruit des lycéens dans la pièce.
— Et moi dans tout ça ? demanda-t-il enfin, sa voix tremblante. Pourquoi suis-je au centre de tout ça ?
Livia détourna le regard, hésitant.
— Le Voile te voit, Corentin. Il t’attire. Je ne sais pas pourquoi, mais tu as un lien avec lui que même Nathaniel et moi ne comprenons pas encore. C’est pour ça qu’il est obsédé par toi.
Avant que Corentin ne puisse répondre, la porte s’ouvrit brusquement. Nathaniel entra, apportant avec lui un souffle d’air frais et l’odeur du couloir. Son sourire narquois semblait illuminer la pièce.
— Vous parlez encore de moi ? lança-t-il en refermant doucement la porte derrière lui.
Livia, visiblement agacée, croisa les bras et se redressa.
— Oui, on parle de toi, Nathaniel, répondit-elle sèchement. Parce que tu refuses d’expliquer ce que tu fais vraiment.
Nathaniel haussa les épaules, ignorant son ton accusateur. Ses yeux se posèrent sur Corentin, et son sourire s’adoucit.
— Alors, Corentin, tu trouves les réponses que tu cherchais ? demanda-t-il en s’approchant lentement.
Avant que Corentin ne puisse répondre, Nathaniel posa une main sur son épaule. Le geste, bien que simple, semblait chargé d’une chaleur et d’une proximité qui le firent tressaillir. Nathaniel glissa ensuite ses doigts sur sa main, les effleurant avec une douceur presque calculée.
— Détends-toi, murmura Nathaniel. Tu n’as pas à porter tout ça seul.
Corentin, pris au dépourvu, retira instinctivement sa main, mais Nathaniel la reprit doucement, un sourire tranquille sur les lèvres.
— Qu’est-ce que tu fais ? murmura Corentin, son ton teinté d’incompréhension.
— Rien de mal, répondit Nathaniel avec une voix calme, presque rassurante. Je veux juste que tu te sentes… en sécurité.
Corentin retira sa main une deuxième fois, puis une troisième. Mais à chaque fois, Nathaniel la reprenait avec la même douceur. La quatrième fois, Corentin abandonna, laissant les doigts de Nathaniel reposer sur les siens. Livia, debout non loin, secoua légèrement la tête, exaspérée par la scène.
Dans le couloir, Mira passait et aperçut toute la scène à travers la porte entrouverte. Elle plissa les yeux, un sourire taquin naissant sur ses lèvres, mais elle ne dit rien et poursuivit son chemin.
Nathaniel, voyant que Corentin ne résistait plus, ébouriffa ses cheveux dans un geste désarmant.
— Tu es bien trop sérieux, Corentin, murmura-t-il avant de se tourner vers Livia. Et toi, essaie de ne pas trop lui remplir la tête. Il a besoin de temps.
La sonnerie retentit, annonçant la reprise des cours. Nathaniel quitta la pièce d’un pas léger, laissant derrière lui un Corentin confus et une Livia visiblement contrariée.
En sortant de la salle, Corentin retrouva Mira qui l’attendait non loin, les bras croisés et un sourire malicieux sur le visage.
— Alors… c’était quoi, ça ? demanda-t-elle, son ton empreint de moquerie.
— De quoi tu parles ? répliqua Corentin en évitant son regard.
— Oh, tu sais très bien. Nathaniel qui te caresse la main, qui te touche les cheveux comme si tu étais une peluche… Vous sortez ensemble ou quoi ? lança-t-elle avec un éclat de malice.
Les joues de Corentin s’enflammèrent, et il secoua vivement la tête.
— Non ! Ce n’est pas ça, répondit-il, un peu trop fort.
Mira plissa les yeux, feignant la réflexion.
— Hm… Si tu le dis, mais franchement, c’est louche. Et on dirait bien qu’il t’aime bien. Un peu trop, peut-être.
Elle lui donna une tape amicale sur l’épaule avant de partir en riant, le laissant seul dans le couloir.
La nuit tombait lorsqu’il rentra chez lui. La maison était calme, mais Corentin sentait que cette tranquillité n’était qu’un leurre. Ses parents l’attendaient dans la cuisine, leur visage marqué par une inquiétude qu’ils ne cherchaient même plus à cacher.
— Tu es rentré tard, fit remarquer sa mère d’un ton neutre.
— Le club photo, répondit Corentin en haussant les épaules.
Son père s’approcha, son regard grave.
— Corentin, on doit être prudents. Les alertes se multiplient. Si quelqu’un nous soupçonne, tout peut s’effondrer.
Corentin acquiesça, bien qu’un poids supplémentaire s’installe dans sa poitrine.
— Je fais attention, murmura-t-il.
Sa mère posa une main sur la sienne.
— Fais plus que ça. Promets-le.
— Je promets, dit-il, bien que les mots sonnaient vides dans sa bouche.
Dans sa chambre, Corentin s’assit sur son lit, le regard perdu. Attrapant la bouteille soigneusement dissimulée, il versa un verre du liquide rouge sombre et le but d’un trait. La chaleur familière se répandit en lui, calmant temporairement sa faim et son angoisse.
Il s’allongea ensuite, fixant le plafond, les pensées tourbillonnant dans son esprit. Les gestes de Nathaniel, les paroles de Livia, les responsabilités écrasantes… Tout semblait trop lourd à porter.
— Trop, murmura-t-il pour lui-même avant de fermer les yeux. "Qu’est-ce que tu veux vraiment, Nathaniel ?"
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