Jour 7
Nous n’avions pas fermé l’œil de la nuit bien que Jean m’ait fait un lit de fortune avec quelques couvertures. Aucun de nous deux n’avait reparlé de la veille. De nombreuses questions tournaient dans mon esprit, mais je n’osais remettre le couvert, de peur qu’une prophétie ou quelque malédiction se réalise. Je pris congé de Jean en prenant soin de le remercier. Il hocha la tête en guise de compréhension avant de retourner à ses écrits. Il faudrait un jour que je lui demande le sujet de ses labeurs.
Je pris le chemin de l’hôtel, non sans crainte, malgré les va-et-vient incessants des touristes. Je profitais de ce moment de répit pour remettre de l’ordre dans mes idées. Jean m’avait avoué qu’il avait vécu le même tourment et qu’il était bloqué sur cette île depuis. Le point commun entre son histoire et la mienne, semblerait être notre passé. Un passé malheureux qui semble me poursuivre.
Je frissonnai sans en comprendre l’origine : il faisait chaud dehors. Pourtant, intérieurement, un froid glacial m’assaillait. Était-il réellement possible que mes actes me poursuivent et me hantent ? Cela fait un an pourtant. Un an que j’ai commis l’acte impardonnable d’ôter la vie. Mais je ne regrette rien. C’était nécessaire.
Autour de moi le monde ne semblait pas se douter du terrible combat intérieur que je menais. J’observais avec envie ces familles mener une vie normale. Des vacances normales, c’est ce que j’espérais en venant ici. J’étais bien servi.
Le cours de mes pensées fut interrompu lorsque j’aperçus une silhouette familière qui se faufilait parmi les étalages du marché. En me rapprochant, je pus constater qu’il portait un t-shirt similaire au mien et qu’…il me ressemble celui-là ! Je restais effaré un instant en plein milieu d’une place avant de reprendre ma route vers l’hôtel. Toute cette histoire m’embrouille le cerveau. Je fis une pause, mesurant le pour et le contre de retourner dans cette chambre maudite. Finalement, je pris la décision de ramasser quelques linges afin de camper chez Jean.
En sortant, j’aperçus de nouveau cet homme et je ne pus que convenir de la ressemblance. Mon sac à dos en place, j’entrepris de le suivre. C’était l’heure de pointe et les plaisanciers affluaient de toute part pour me barrer la route. Je crus devenir fou. Plus je le regardais, et plus cet homme était mon double. Les mêmes habits, la même démarche, la même gestuelle. Il se promenait comme je l’avais fait le premier jour, le jour de mon arrivée. Il fréquenta les mêmes endroits et rencontra les mêmes personnes. Ces dernières ne semblaient pas me reconnaître en lui. Je finis par le perdre de vue du côté des bars. Je passais vingt minutes à le chercher. En vain. J’essayai alors de me souvenir de ce que j’avais fait durant ce premier jour, mais tout me semblait flou.
Tout se remit alors en place dans mon esprit, à l’instar de pièces de puzzle qui s’emboîtaient enfin. Je repensai à la photo du journal et à ma pause sur la plage quelques jours plus tard, à Mya qui m’avait traité de fou, mes objets contre le mauvais œil, Jean qui devait m’apporter un fruit et celui que j’avais découvert quelques jours plus tôt sur mon lit. Comment ne l’avais-je pas compris ?
Se pourrait-il que tout se rejoue sans cesse ?
Je frissonnai de nouveau. La sensation dans mon cou n’avait jamais été aussi forte.
Si tout se rejouait, alors il y avait une chance que je m’en sorte. Il faut que je prévienne celui qui vient d’arriver. Il faut que je le fasse partir de cette île.
Une intuition me dicta le chemin de l’hôtel voisin. Il fallait qu’il sache. Il y avait encore de l’espoir. Je pourrais briser ce cercle, cette boucle, cette spirale infernale. Je me devais de m’échapper de ce monde parallèle qui me retenait prisonnier.
Sans m’en rendre compte, j’étais arrivé dans la chambre, y jetant un regard circulaire. Elle semblait déjà occupée. Par mon autre moi. Plus rien ne m’étonnait à présent et seule l’idée de mon probable échec me poussait à agir. Que pouvais-je faire ? Je me dirigeai vers la salle d’eau, face au miroir. Mon reflet semblait me questionner. Quelle démarche devais-je suivre ?
Il fallait que mon message ne soit visible que par mon autre moi. La chose qui le traque ne devait pas être au courant de cette correspondance. Je pris un stylo noir que j’avais dans mon sac, me tournai vers les toilettes, et inscrivis sur la cuvette « Quitte l’île, Maintenant ».
En revenant vers le village, j’espérais qu’il ne soit pas trop tard. Pourtant, j’avais l’impression que le piège s’était refermé sur moi. Je n’avais plus aucune emprise sur ma vie. J’avais perdu et je n’étais pas parvenu à m’échapper. C’est sans doute de là que vient l’expression « Le passé nous rattrape toujours ».
Mon corps devenait de plus en plus froid et j’avais du mal à respirer. Cette chose dont parlait Jean m’avait apparemment retrouvé. Si tel est mon sort, autant mourir comme le destin le veut, pensai-je résolu. Je laissai tomber mon sac, n’ayant plus la force de le porter, et entrepris de marcher vers mon hôtel où la mort m’attendait. Je n’avais plus peur. Quand on est fatigué, la peur n’est plus nécessaire. On veut s’endormir vite. Je n’avais plus la foi de penser à ma vie et à ce qu’elle aurait dû être. Il fallait avancer, qu’importe le chemin, qu’importe notre fardeau. Je passai une dernière fois le seuil de mon hôtel. Deux fois à droite, une fois à gauche. La clé dans la serrure, la porte se déverrouilla. Mon corps devenait de plus en plus lourd, de plus en plus froid. Je trébuchai de nombreuses fois avant d’atteindre le fauteuil au fond de la pièce. Je m’y installai, dos à la fenêtre.
Je laissai alors la douleur prendre possession de tout mon être, chuchotant une dernière fois :
— Viens me chercher, je t’attends.
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