Chap 3 : Mort et orphelinat

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« C’est par sa mort parfois qu’un homme montre qu’il était digne de vivre. » Francis Ponge

La Lune ronde, se trouvait haute dans le ciel quand Fiona sortit, appuyée d’une canne. Derrière elle, Latha observait avec émerveillement les mille et une couleur colorant Dawn. En se rapprochant du centre, la foule se densifia et de nombreuses odeurs parvinrent à la gamine. Les épices lui piquèrent un peu le nez, mais une senteur plus douce et plus appétissante se mêlait parmi elles. L’eau à la bouche, elle se glissa entre les badauds, Fiona à sa suite. Tout sourire, elle atteignit la queue pour des brochettes de viande au caramel. Se retournant vers sa grand-mère, elle essaya de se distraire pour faire passer l’attente plus vite.

« Pourquoi fête-t-on le nouvel jier ?

- Pour célébrer l’année qui arrive et remercier celle qui s’achève, répondit Fiona en souriant doucement.

- Célébrer ?

- Fêter fonctionne aussi.

- C’est quoi une année d’ailleurs ?

- Ce sont plusieurs saisons qui se suivent. L’année commence par la saison de l’eau, puis il y a celle de la terre, celle du feu et celle de l’air. Tu sais, c’est pendant celle-là que nous fêtons ton anniversaire.

- Et il n’y a pas de saison de l’esprit ?

- Non, seuls les nuits de fêtes lui sont consacrés. »

Absorbant doucement les informations, Latha s’avança pour commander une brochette. Le doux goût du caramel sur sa langue lui fit oublier toutes ses questions. Fiona adressa un regard tendre à sa petite fille. Ils sont si mignons à cet âge-là, pensa-t-elle.

 La mort était un concept abstrait jusqu’à ce qu’on l’expérimente. Fiona mourrait à petit feu, elle ne pouvait plus se lever et manger devenait compliqué. Latha pleurait régulièrement devant l’état de sa grand-mère. Elle ne comprenait pas entièrement ce qu’il se passait, juste que bientôt, Fiona partirait.

La vieille femme se sentit aux portes de la mort un soir au début de la saison de l’eau. Sa petite fille venait juste de revenir de l’école et s’assit sagement aux côtés de la mourante. Elle était tellement fatiguée qu’elle ne comprenait pas tout de ce que racontait l’enfant. Le babillage faussement joyeux s’interrompit lorsqu’une quinte de toux grasse secoua Fiona. Latha avait l’impression que sa respiration sifflante était assourdissante.

« Latha, ma petite, il faut que je te dise… »

L’alitée reprit sa respiration avant de continuer.

« Tu vas devoir aller dans un orphelinat, mais pas longtemps, ne t’inquiètes pas. Tu auras de nouveaux parents et tu resteras en sécurité, loin du Sud. C’était le souhait de tes parents, que tu restes éloignée de la magie et de la guerre…

- Mes parents, je ne les reverrai… Jamais ? demanda la gamine tout en sanglotant.

- Ils continuent de veiller sur toi, près de Dieu. Et je vais les rejoindre, bientôt. Durant ton sommeil. »

Un lourd silence s’installa, briser de temps en temps par des bruits de pleurs ou de toux. Bien plus tard, alors que Latha somnolait, fatiguée par ses larmes, elle reprit la parole.

« Mais grand-mère, qui est Dieu ? »

 Latha observa son petit sac rouge vif. Elle se sentait très triste, sa grand-mère avait rendu l’âme quelques nuits plus tôt, la laissant seule. Comme prévu, l’orphelinat Math fortan, la prit à sa charge. Être entourée tout le temps par ses semblables lui remontait le moral, et bientôt, à la fin de la saison de l’eau, elle ne pleurait plus que lorsqu’elle rêvait de Fiona.

 Malgré cela, ses émotions hautes en couleur interrogèrent ses accompagnateurs, trop jeune pour être testée, ils se contentèrent de laisser un simple commentaire sur son dossier.

« Potentiellement Sensible. »

 De plus, l’enfant montrait une grande curiosité à l’égard de tout, surtout la nature. Mais cela n’avait rien d’anormale, puisque c’était propres à sa tranche d’âge. Pourtant une question persistait, pourquoi n’y avait-il pas de soleil ? Où était-il ? La réponse la plus courante restait le conte de la Lune et du Soleil. Bien-sûr, certains accompagnateurs détournaient sa question vers d’autres sujets ou l’emmenée jouer avec ses camarades. Elle s’était moyennement intégrée, jouant régulièrement avec un petit garçon aux cheveux blancs, Noah. Ils formaient un drôle de duo, lui si calme et elle si vivante. Sa peau translucide contrastait avec celle légèrement bronzée de son amie. Il était l’un des rares à ne pas la juger sur son apparence, beaucoup d’autres l’évitaient à cause de cela. Mais elle s’en fichait, elle ne se souciait que des jeux qu’ils inventaient.

 Noah avait malgré tout des périodes de « vide », c’était ainsi que les adultes les appelaient. Le petit restait les yeux dans les vagues pendant des nuits, mangeant à peine et s’exprimant que pour les formules de politesse. La première fois, Latha avait paniquée, ne comprenant pas pourquoi son ami avait soudainement arrêté de parler. On avait alors expliqué à la gamine que son ami avait quelquefois des périodes où il n’était pas là. Elle avait voulu poser de nombreuses questions, mais en voyant les visages tristes des accompagnateurs, elle s’était retenue. Depuis, elle faisait tout son possible pour être auprès de son ami dans ses périodes. Elle lui racontait des histoires, notamment le conte de la Lune et du Soleil qu’elle avait fini par connaître par cœur. Pourtant, voir le regard vide de Noah l’angoissée parfois tellement qu’elle ne pouvait plus continuer à lui parler. Noah ne lui en tenait pas rigueur quand elle partait en courant se réfugier dans sa chambre, de toutes manières il n’en gardait aucun souvenir. Tout ce temps passé ensemble les rapprochèrent définitivement.

 Bien qu’inséparables, l’inévitable finit par arriver. Des grandes personnes venaient régulièrement les rencontrer et bientôt, Noah fût emmené. Latha semblait détruite par cette séparation brusque et ni les bonbons, ni les contes ne la firent quitter son état catatonique.

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